Le cas du VOMA : l’économie de circulation des œuvres dans les musées virtuels

Camille Bourgeois
museonum
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10 min readMay 24, 2022
Capture d’écran prise sur le site du VOMA, exposition Why We Shout: The Art of Protest — https://visit.voma.space/?_ga=2.87266392.1553930750.1650975921-1685352980.1648497712

Malgré ce que l’on a tendance à penser, les musées virtuels ne sont pas qu’une apparition récente dans le paysage de la muséologie numérique. Déjà en 1947, l’écrivain André Malraux publie un essai intitulé Le Musée Imaginaire où il évoque un espace d’exposition sans mur, sans limites et qui pourrait être vu par n’importe qui à travers le monde (Kılıçaslan et Sağlam 2021, p. 14). Les véritables premiers musées virtuels se manifestent quelques décennies plus tard, dans les années 1990, et prennent initialement la forme de pages web qui répertorient les objets composant une collection visée. Avec le temps et la récente pandémie qui a accéléré le besoin d’espaces numériques où se cultiver, les différentes institutions se sont engagées dans des projets de plus en plus étonnants. Les musées virtuels ont atteint un nouveau plafond, s’incarnant désormais dans des lieux fictifs possédant leur propre architecture, où l’on peut se promener et interagir avec des objets. La création du Virtual Online Museum of Art, en 2020, est l’un des témoins de ces développements. Premier musée entièrement virtuel, laissant sous-entendre qu’il n’est pas relié à un espace physique ou même à une collection préexistante, le projet du VOMA soulève une foule de questions relatives à l’économie des prêts d’œuvres d’art. Qu’est-ce que l’on y présente ? Quelles sont les conditions de partages des objets ? Et quels sont les potentiels avantages et les défis d’une telle logistique ?

Un espace plus ou moins près du musée

A virtual museum is a digital entity that draws on the characteristics of a museum, in order to complement, enhance, or augment the museum experience through personalization, interactivity, and richness of content. Virtual Museums can perform as the digital footprint of a physical museum, or can act independently, while maintaining the authoritative status as bestowed by ICOM in its definition of a museum. — (Hazan et al., 2014)

Comme le mentionne Sofia Pescarin, les expositions en ligne sont avant tout des produits de communication qui jouent habituellement sur les notions d’immersion et d’interactivité (Pescarin 2014, p. 134). Bien qu’ils s’en inspirent, les musées virtuels d’aujourd’hui ne sont pas toujours des répliques en ligne de musées traditionnels. Une certaine typologie commence déjà à se profiler, en passant de la page déroulante interactive à la visite de style « Google Street View ». Le projet du VOMA appartient à un tout autre type, car il est produit à même un lieu fictif, créé par CGI. Aussi, bien qu’il possède plusieurs liens avec les musées que nous connaissons, il n’est lié à aucune collection physique.

Même dans cette situation, l’espace virtuel conserve toutefois des éléments de référence par rapport au musée traditionnel, surtout au niveau des normes de présentation des œuvres. Cependant, le volet numérique permet certaines choses qui seraient complexes dans notre monde physique. À plusieurs égards, le musée virtuel ne fonctionne pas et n’agit pas au même niveau qu’un musée traditionnel.

Les avantages des expositions plus immersives ont été maintes fois abordés. Bien évidemment, au sein du contexte pandémique, elles permettaient avant tout de rester chez soi et d’éviter les contacts avec d’autres individus. Plusieurs institutions ont d’ailleurs développé leur offre virtuelle dans ce contexte.

L’expérience d’une exposition en ligne évacue également quelques-uns des éléments moins agréables d’une visite au musée. Pas de longues files d’attente, moins de bruit ambiant et surtout, davantage de temps pour apprécier les détails d’un tableau. Aucun·ne gardien·ne de salle ne viendra vous dire de vous éloigner de l’œuvre, c’est certain. Généralement accessibles à toute personne possédant un appareil électronique connecté à internet (téléphone, tablette ou ordinateur), les musées virtuels sont défendus comme plus démocratiques, bien que cette affirmation puisse être contestée.

Plusieurs problèmes de logistique sont également évacués par la nature du projet, le transport et l’entretien des œuvres n’étant pas applicables dans le cas des expositions en ligne. Mieux encore, les musées virtuels ne souffrent pas du constant manque d’espace qui frappe les musées d’un peu partout dans le monde. Or, les musées virtuels ne sont pas des solutions parfaites et engendrent aussi leur nombre de défis et de questionnements.

Le Virtual Online Museum of Art (VOMA)

L’artiste anglais Stuart Semple formule l’idée du VOMA dans les années 1990 et réalise enfin son projet en 2020, à la suite d’une fructueuse campagne de financement lancée sur Kickstarter. La somme amassée sert à mettre sur pied un site web et une application téléchargeable. L’environnement dans lequel circule les viteur·euse·s est créé de toute pièce par l’architecte Emily Mann en collaboration avec l’équipe technique d’Augmented Entreprise, qui sont spécialisés en modélisation 3D, CGI et réalité virtuelle (VR). La direction et le commissariat sont assurés par Lee Cavaliere, un ancien employé de la Tate Museum.

Sur son site web, le VOMA énonce quelques principes fondateurs vers lesquels l’institution tend : collaboration et partage d’autorité, anti-nationalisme, exploration et célébration des différences, innovation et réflexion, truth-telling et écoute attentive des besoins des publics (VOMA s.d.). Le musée est présenté comme un espace sans limites, ouvert à tou·te·s, qui démocratise l’accès à l’art.

« I believe art should be for everyone. The internet is the most inclusive and democratic public space we have, and it’s time we had a digital museum-style institution ready to inspire and connect online audiences with great art » (Stuart Semple, 2020)

Concrètement, le VOMA est un musée qui se déploie dans un espace entièrement virtuel dont la division en salles s’apparente à celle d’une institution traditionnelle. Nous y retrouvons, entre autres, trois galeries d’exposition, un pavillon de sculpture, un café, une boutique ainsi qu’un mur incitant le public à faire un don pour le projet. Le parcours peut être réalisé de différentes manières, laissant le choix aux visteur·euse·s, mais le point de départ initial est prédéterminé par les concepteur·trice·s.

Plan du VOMA — Hare Kılıçaslanet Kübra Sağlam, 2021

À chaque visite, nous nous matérialisons d’abord à l’extérieur du musée. Oui oui, nous sommes accueillis dans un jardin paisible, bercé par le vent et parsemé de sculpture, celui-ci étant pensé comme l’un des espaces de déambulation. Au départ, nous avons aussi l’option d’activer, ou non, le son : des bruits de vague et de feuillages peuvent agrémenter notre parcours lorsqu’on se trouve au dehors du musée. L’expérience immersive est non seulement sonore et visuelle, mais elle est complétée par l’ajout d’espaces comme le coin lecture qui permet de compléter nos apprentissages.

La réception du projet est généralement positive. Un article de la chercheuse Sofia Pescarin a démontré que les musées d’aujourd’hui doivent jongler avec le sentiment de stabilité que cherchent les visiteur·euse·s, l’innovation et la flexibilité (Pescarin 2014, p. 134). Le VOMA réussit assez bien à incarner ces trois valeurs. La lacune de cette initiative se trouve plutôt au niveau des problèmes techniques. En effet, la circulation n’est pas toujours aisée et il arrive que l’on ne puisse pas consulter les cartels ou que l’on se trouve bloqué dans une section du musée, par exemple. Une étude menée sur l’expérience des publics au VOMA a établi que le projet était considéré de « valuable but unpredictable » (Kılıçaslan et Sağlam 2021, p. 25). Le musée, étant encore plutôt jeune, mériterait donc d’être amélioré du point de vue des problèmes techniques, mais est reconnu comme une expérience intéressante et pertinente.

Une question nous brûle toujours les lèvres quant à ce mystérieux musée : que présente-t-il ? La réponse peut paraître banale : le VOMA met en valeur des œuvres d’art, contemporaines et plus anciennes. On y peut y voir, entre autres, des artistes bien reconnus comme Diego Rivera, Eugène Delacroix, Otto Dix et Matisse. Les expositions, présentées dans trois salles (Gallery Zero, Gallery One et Artist Space), proposent différents sujets en rotation. Au moment de la rédaction de cet article, le VOMA accueille deux expositions, soit Why we shout : the art of protest et Entartete Kunst (Degenerate art). Plusieurs œuvres sont également intégrées à l’architecture fictive du bâtiment et à la cour extérieure.

Les juxtapositions d’œuvres sont parfois éclectiques, sûrement en raison de la grande liberté qui découle du fait de ne pas posséder une collection et de pouvoir travailler avec différentes œuvres de partout à travers le monde. Qui donc accepte de prêter des œuvres à cet énigmatique musée virtuel ? Comment le VOMA peut-il recevoir des œuvres d’un tel prestige ?

Capture d’écran prise sur le site du VOMA, environnement extérieur du musée — https://visit.voma.space/?_ga=2.87266392.1553930750.1650975921-1685352980.1648497712

Pour une plus grande mobilité des œuvres d’art

L’importance des partenariats

Le VOMA fonctionne grâce à un nombre impressionnant de partenaires. Il s’associe d’abord à plusieurs institutions muséales qui possèdent des collections impressionnantes, comme la Tate Modern, le Rijksmuseum, l’Art Institute of Chicago ou le Metropolitain Museum of Art. Le musée virtuel négocie également des prêts directement avec des artistes ou leurs agent.e.s. Nous savons notamment que le groupe d’artistes Pussy Riot travaille avec le VOMA. Finalement, les partenariats s’étendent aussi à certains organismes, comme Save the Boards, un projet communautaire qui vise à recueillir et conserver des pancartes de manifestation en lien avec le mouvement Black Lives Matter.

Que savons-nous sur le processus de prêt ?

Outre les partenariats qui sont fièrement affichés, nous en savons très peu sur les modalités des ententes qui viennent fournir les salles virtuelles du VOMA. Dans son article sur la « digitalisation » des institutions culturelles durant la pandémie, Anne Goh aborde brièvement les échanges qui ont lieu entre le musée virtuel et le musée physique (Goh 2021, p. 12).

Les institutions muséales fournissent au VOMA des images en haute résolution qui, elles, sont reproduites en 3D par l’équipe d’Augmented Entreprise (Goh 2021, p. 12). Cette transformation est essentielle pour que l’observation de l’œuvre sous différents angles soit la plus naturelle possible. Les images sont ensuite intégrées à l’environnement du musée et rassemblées par thématiques sous le commissariat de Lee Cavaliere. Cette technique est de plus en plus prisée dans le monde muséal, que ce soit dans une optique de conservation ou de montage d’expositions disponibles en ligne.

Ni le VOMA ni les musées partenaires n’ont adressé les modalités de ce type de prêts vers des lieux numériques. Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’un processus similaire à n’importe quel prêt d’œuvre, mais en version simplifiée. Si le transport et l’assurance de l’œuvre par le VOMA ne sont sûrement pas nécessaires, il doit tout de même y avoir signature d’une convention de prêt. Aussi, nous pouvons présumer que des frais doivent être payés par le VOMA, que ce soit pour les droits d’auteurs, les droits patrimoniaux et/ou les droits de reproduction, selon la situation. La question juridique doit être particulièrement intéressante dans le cas de l’emprunt d’un tableau pour un musée virtuel, car elle soulève instantanément tant de questions. Les œuvres présentées doivent-elles toutes être dans le domaine public ? Peuvent-elles être repartagées ou remixées ? Le tableau réel peut-il être présenté en même temps que sa version numérique ? Quelle est la responsabilité du VOMA quant à ces œuvres ?

L’observation des licences

En portant attention aux licences qui se trouvent en dessous de chaque œuvre présentée au VOMA, nous pouvons peut-être répondre à quelques-unes de ces interrogations. L’œuvre Love is in the air de Banksy nous accueille à l’entrée de l’une des expositions, et il est précisé que celle-ci fait partie du domaine public puisqu’elle est exposée à même une rue dans la ville de Bethléem. Une œuvre de Francisco de Goya fait aussi partie du domaine public, mais appartient aux collections du Musée du Prado. D’autres tableaux, entre autres celui de Delacroix, possèdent une simple mention de leur lieu de conservation (Musée du Louvre, dans ce cas). Les œuvres plus contemporaines sont identifiées au nom de l’artiste les ayant créées. Ainsi, des droits différents encadrent les œuvres au sein d’une même exposition.

Exemple de cartel comportant la licence de l’oeuvre — https://visit.voma.space/?_ga=2.87266392.1553930750.1650975921-1685352980.1648497712

Conclusion

À travers cet article, nous avons introduit différents enjeux qui sont soulevés par les musées virtuels concernant la mobilité des objets. Malheureusement, étant donné le peu d’informations disponibles, beaucoup de nos questions demeurent non adressées. En fait, lors de la préparation de ce court article, nous avons réalisé que peu de textes se concentrent exclusivement sur l’économie d’échange d’œuvres particulière aux musées virtuels. Pourtant, avec les contraintes amenées par la COVID-19 et les préoccupations environnementales de plus en plus partagées, la discussion sur la circulation des collections muséales est incontournable (Mucchi et al. 2022, p. 2). Ainsi, les processus de prêts virtuels pourraient devenir plus fréquents et des normes particulières devront les encadrer pour faciliter le processus.

BIBLIOGRAPHIE

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