Les « Open API », des outils devenus incontournables pour la démocratisation culturelle

Alicia Demoulian
museonum
11 min readDec 20, 2019

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Le 25 octobre 2018, le Metropolitan Museum of Art de New-York (Met) annonçait le lancement de la deuxième étape de son programme Open access pour un partage élargi de sa collection : la création d’une API Publique. Déjà, l’institution new-yorkaise avait finalisé, le 7 février 2017, le premier stade de son projet avec la mise à disposition de toutes ses données et ses images sous licence Creative Commons Zero (CC0) autorisant ainsi leur libre réutilisation à des fins artistiques ou même commerciales par les utilisateurs. Inspiré par des initiatives menées auparavant par le musée de la Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa ou le Williams College Museum of Art (Massachussetts), le lancement de cette API par le Metropolitan ajoute une nouvelle pierre à l’édifice dont les enjeux sont d’accroître la notoriété du musée en donnant une meilleure visibilité à ses collections, d’amener les communautés d’utilisateurs à élaborer de nouveaux concepts par l’utilisation de ses données mais également de développer des partenariats avec des entreprises technologiques afin de donner un meilleur accès aux collections de l’institution. Cependant, qu’est-ce qu’une API et quels avantages un tel dispositif numérique pourrait apporter à une institution muséale aujourd’hui ?

Si l’on s’en tient à la définition proposée par la plateforme Wikipédia, une API ou Application Programming Interface (Interface de programmation) serait : « un ensemble normalisé de classes, de méthodes, de fonctions et de constantes qui sert de façade par laquelle un logiciel offre des services à d’autres logiciels ». Comme moi, cette explication ne vous éclaire pas davantage ? Tentons donc d’expliquer ce concept en des termes plus accessibles pour les néophytes du domaine de l’informatique. Dit plus simplement, une API permet à deux systèmes ou logiciels de communiquer entre eux en échangeant soit des données, soit des fonctionnalités. Elle constitue donc le lien qui permet à un logiciel d’accéder à des données ou à des fonctionnalités dont il a besoin. Pour donner un exemple, admettons qu’une galeriste décide de créer son propre site web afin de vendre en ligne les collections de sa galerie d’art ; si elle souhaite donner la possibilité aux utilisateurs de commander des œuvres en ligne et donc de réaliser des transactions sur son site web, elle devra intégrer une fonctionnalité à l’intérieur même de son site. Pour cela, deux choix s’offrent alors à elle : créer sa propre application de paiement en ligne afin de la relier à son site internet ou utiliser une API comme celle publiée par PayPal qui lui permettra d’utiliser les fonctionnalités de l’application PayPal déjà existante. Il apparaît rapidement que l’utilisation d’une API s’avère bien plus commode que la laborieuse élaboration d’une application qui ferait perdre à la fois du temps et de l’argent.

Dans le contexte d’utilisation d’un musée comme le Metropolitan un tel dispositif numérique permet donc surtout de donner une meilleure accessibilité aux données des collections. En effet, l’API sert présentement à consolider sa relation amorcée avec Google car elle permet de verser automatiquement les données de la collection The Met sur l’application et sur le site web de Google Arts & Culture. L’avantage d’une telle technologie est qu’elle libère le musée de la charge des opérations techniques relatives au versement opéré manuellement jusqu’alors pour seulement 757 illustrations. Grâce à l’API, le Met a pu faire rayonner davantage sa collection sur la plateforme Google en passant à 205 000 images numérisées. Ainsi, dès que les collections entrent dans le domaine public, elles sont directement numérisées par le Met (les données sont alors placées sous licence CC0), et grâce à l’API, elles sont automatiquement transférées à des plateformes comme celle du Google Art & Culture (GA&C). La version la plus récente des collections du Met reste donc toujours disponible sur le site internet de l’institution et sur GA&C.

Par conséquent, si l’emploi des API est déjà bien établi depuis une trentaine d’années dans l’univers du web, il apparaît que l’utilisation accrue d’internet par les utilisateurs renouvellent leur rôle en tant qu’elles deviennent aujourd’hui, dans le champ muséal, un outil indispensable pour permettre l’accessibilité aux données. En effet, depuis l’avènement du cloud, les API ont pour principal intérêt de permettre la migration des données muséales vers l’internet dans le but de donner une meilleure accessibilité aux utilisateurs. Dans le monde du commerce, cette relation, liant le site internet du Met, les plateformes de Google, puis les utilisateurs, possible grâce à l’API se désignerait par l’acronyme B to B to C, c’est-à-dire Business to Business to Consumer.

En ce sens, on identifie trois types d’API en fonction de la latitude d’accessibilité que l’on souhaite laisser à ses utilisateurs : les API privées qui ne permettent qu’une utilisation en interne des données, c’est-à-dire à l’intérieur même de l’institution ; les API partenaires qui permettent, quant à elles, de transférer des données à des partenaires sélectionnés par le musée. Dans ces deux premiers cas, afin d’accéder aux données générées par l’API, l’utilisateur devra respecter des politiques d’authentification et d’autorisation dans un souci de sécurité. En effet, afin de protéger ses données et d’éviter leur fuite sur le web, l’institution peut imposer à ses utilisateurs d’utiliser une clé d’API (API Key) ou de s’enregistrer pour s’identifier comme ayant les droits nécessaires pour se servir de l’API. Enfin, le troisième type d’API consiste en des API publiques accessibles au plus grand nombre. C’est le cas de l’API du Met qui n’impose à ses utilisateurs aucune nécessité de s’enregistrer ou d’utiliser une clé d’API pour accéder aux données librement diffusées.

Par ailleurs, l’API du Met est également une API web, conçue selon le style d’architecture REST (Representational State Transfer). Ce modèle d’application permet de standardiser l’échange des informations entre les API de plus en plus nombreuses sur internet. Une architecture ne constitue pas un protocole, elle ne soumet donc pas les API REST à une quelconque norme officielle ; celles-ci doivent seulement respecter dans la mesure du possible six règles que nous ne développerons pas ici. Les API REST sont basées sur le protocole de requêtes HTTP, elles imitent donc le style de communication du web ce qui en facilite l’utilisation. Concernant l’API du Met, en tant qu’utilisateur, si vous souhaitez avoir accès à une image numérisée de la collection du musée, une peinture de Van Gogh par exemple, vous n’aurez qu’à faire une simple recherche sur Google car l’API permet de verser les données et images de la collection directement sur les plateformes de ce moteur de recherche. De plus, les API REST utilisent souvent un format informatique de représentation des données JSON (JavaScript Object Notation) ce qui facilite le transfert des données via les navigateurs web : ce format étant standardisé, donc reconnaissable partout sur internet et facilement manipulable avec JavaScript, les données codées en JSON peuvent être lisibles n’importe où sur le web. Les API REST ne posent donc pas le problème de l’hétérogénéité des données. En l’occurrence, l’API du Met permet de lancer des requêtes basées sur le protocole HTTP et d’obtenir des réponses en format JSON, texte ou image.

« L’API Met Collection est une autre étape fondamentale de notre programme Open Access, qui permet de faire de la collection du Musée l’une des ressources les plus accessibles, découvrables et utiles sur Internet. L’API Met Collection est l’endroit où tous les fabricants, créateurs, chercheurs et rêveurs peuvent désormais se connecter aux données et images les plus récentes d’œuvres d’art de la collection The Met, représentant cinq mille ans d’histoire humaine ».

Pour Loic Tallon, directeur des technologies numériques du Met Museum, cette collaboration avec la plateforme GA&C s’avère être un exemple permettant de mettre en avant l’opportunité de démocratisation culturelle qu’offre la libre accessibilité et réutilisation des données d’une collection muséale sur internet. En effet, le réel succès de ce projet numérique se manifeste par la combinaison des deux éléments suivants : la création d’une API publique, certes, mais aussi la mise sous licence CC0 des collections du Met. Si les utilisateurs ont un total accès aux données et images de la collection The Met diffusées par l’institution via son API, ils sont aussi entièrement libres de les réutiliser comme bon leur semble. Afin de « réduire la distance entre les personnes et les objets qui les intéressent » (Tallon, Loic, 2018), le vrai enjeu consiste donc à montrer aux utilisateurs ce qu’ils pourraient réaliser par l’utilisation de ces données. Souhaitant donner un premier élément de réponse à sa communauté numérique, le Met a notamment collaboré avec les étudiants en visualisation des données de la Parsons School of Design de New-York dans le but de donner des exemples de la manière dont les données du Met pourraient être réutilisées par les utilisateurs : la créativité de sa communauté est attendue par l’institution notamment pour permettre de libérer des connaissances, faire avancer la recherche ou encore créer de nouvelles applications utiles à tous.

Un musée aussi prédominant dans le réseau muséal mondial que le Met souhaite donc, à travers son Programme Open Access, ouvrir une voie d’avenir pour d’autres institutions qui ont encore des difficultés à concilier les enjeux d’accessibilité et de conservation. En effet, si le Met ou autres institutions muséales internationales de grande envergure ont massivement adopté ces nouvelles pratiques d’ouverture, ce n’est malheureusement pas le cas de la majorité des musées français. Le constat est grave car la France accuse un retard particulièrement sensible du point de vue de la diffusion de son patrimoine culturel et muséal en Open Data et Open Content. Les institutions culturelles françaises n’ont pas bonne presse quant à leur régime restrictif sur les droits de reproduction des collections nationales. Par ailleurs, les données sur les collections sont très peu accessibles sur le web. La complexité du contexte français s’avère être un obstacle préjudiciable pour la réutilisation des reproductions des œuvres conservées dans les collections françaises. Parmi certains paramètres pouvant expliquer cette situation : le Ministère de la Culture palliant considérablement à sa mission d’encourager la diffusion libre des images, la crainte de perdre le contrôle sur leurs œuvres par les musées, ou encore un régime juridique rigide en ce qui concerne la protection des images incarné par un système de taxation très contraignant.

Cette situation a d’ailleurs été particulièrement bien appréhendée par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) au sein de son programme Images/Usages dont le rapport a été publié en octobre 2018. Ce rapport a souligné les problèmes rencontrés par les professionnels de l’art qui sont souvent forcés de se tourner vers les collections des grandes institutions étrangères comme le Met pour mener à bien leurs recherches et les diffuser : « Quand vous avez le choix entre un tableau du Louvre (payant sur le site de la RMN) et un tableau gratuit du Met, vous êtes incités à choisir le tableau du Met pour votre étude » (Institut National d’Histoire de l’Art, 2018). Exprimant leurs craintes et leurs difficultés, les professionnels de l’art ne cautionnent plus cette autocensure qui les ont souvent amenés à adopter des pratiques illégales s’apparentant à des pratiques de pirate. De plus, cette résistance à l’innovation numérique s’avère également être un frein pour les institutions elles-mêmes dont les collections ne rayonnent pas hors-les-murs et sont vites délaissées au détriment des collections anglo-saxonnes et nord-européennes.

À l’heure actuelle, la recherche et les musées français sont donc dans l’impossibilité de rejoindre la communauté internationale pour participer aux futurs projets numériques alors que tant d’avantages se dessinent pour la société en général mais également pour les musées eux-mêmes. Des programmes d’Open Access qui font intervenir des outils numériques tels que des API s’avèrent incontournables pour servir la démocratisation culturelle. Des institutions comme le Met ont su montrer activement ce que peut signifier être un musée à l’ère du numérique. Ces derniers doivent désormais abandonner le contrôle de leurs collections afin de donner une meilleure accessibilité aux utilisateurs par la voie du numérique et pour encourager de nouvelles études et créations. Une telle approche pourrait avoir comme bénéfice pour les musées d’augmenter la consultation et les réutilisations de leurs collections en ligne et donc de contribuer à leur rayonnement et d’attirer un public encore plus large au sein de leurs murs virtuels ou physiques.

L’engagement des musées français dans cette nouvelle ère du numérique aurait pour effet de valoriser considérablement leurs collections tout en touchant de nouveaux publics et en fidélisant les anciens. Si quelques initiatives actuelles ont pu être menées par des institutions relevant souvent des collectivités territoriales telles que le Musée de Bretagne ou le Musée archéologique de Die, dans le contexte international ces dernières découlent principalement d’institutions étrangères et non françaises. La France ayant toujours glorifié son patrimoine cacherait-elle une forme d’élitisme dans sa difficile acceptation du partage de ses collections ? Existerait-il une telle différence culturelle expliquant la facilité des musées nord-américains tels que le Met à endosser leur rôle d’éducateur public à travers la libre accessibilité de leurs collections ? Quoi qu’il en soit, nous terminerons par cette phrase judicieusement prononcée par Max Hollein, directeur actuel du Met, déclarant que de tels projets d’Open Access « nous ramène au cœur de la mission du Musée : mettre les gens en contact avec l’art ».

Bibliographie

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