Partager le savoir, la vocation collective des collections en ligne

D. Shérifi
museonum
Published in
8 min readJan 17, 2024

La visibilité documentaire du patrimoine est au cœur des préoccupations des technologies de l’information. Les collections numérisées offrent une découvrabilité sans précédent à la documentation des œuvres par leurs accessibilités en ligne. L’élaboration d’outils descriptifs est assurément essentielle à la constitution d’un système d’information efficace pour le public. Toutefois, la limitation des données descriptives ainsi que leurs privatisations limitent l’exploration de nouveaux contenus pour les utilisateurs. Des initiatives de systèmes à données ouvertes et de gérance collective répondent à ces problématiques en proposant une production extensive d’informations par l’association et partage des données. Une présence en ligne permet aux établissements de faire connaître leurs collections et de rejoindre un plus vaste public. Depuis l’utilisation accélérée des moyens de communication technologiques, l’accès en ligne aux collections est davantage utilisé. Selon les données d’enquête du gouvernement canadien, les établissements du patrimoine ont reçu plus de 203 millions de visites en ligne en 2015, une augmentation de 52% par rapport à 2011 (Canada, 2021).

En 2020, les établissements du patrimoine ont été percutés par la pandémie. Cet événement a forcé la fermeture des institutions pendant une grande partie de l’année. L’offre d’activités numériques et l’amélioration des collections en ligne ont conséquemment été mises en place à titre de contournement. Près de deux tiers des établissements (68%) ont d’ailleurs amélioré leurs activités numériques pendant cette période (Canada, 2021). Plus précisément, 35% de ces établissements ont indiqué avoir amélioré ou épuré leurs collections en lignes existantes La disponibilité en ligne des collections a passé de 38% à 43% en 2020 (Canada, 2021). L’enrichissement des activités numériques a ainsi entraîné l’amélioration de l’accès en ligne pour le public (Canada, 2021).

L’informatique documentaire est donc au cœur des fonctions muséales. Les musées ont le mandat de se consacrer à la recherche, la collecte et l’interprétation du patrimoine matériel et immatériel. Offrir au public des expériences variées d’éducation, de réflexion et de partage des connaissances est essentiel à la fonction utilitaire des institutions patrimoniales (ICOM, 2022). Toutefois, la représentation des données documentaires est souvent limitée par des pratiques simplifiant les contenus. Les musées optent par exemple pour la pratique classificatoire au détriment d’indexations fines qui abordent concrètement la description des œuvres. Cette classification regroupe généralement les techniques, la chronologie, les époques et les courants artistiques ; une typologie renseignée par des catégories historiographiques (Barboza, 2012).

La tendance du moment est conséquemment celle du filtre. Plusieurs catalogues mis en ligne, tels que celui du Tate Online, permettent la recherche à facette. Ce système de classification propose à l’utilisateur d’explorer une collection en lui appliquant différents filtres. Toutefois, ce système de représentation exclut toute nuance descriptive par sa rigidité et la présence d’index non structurés. Une recherche multicritère est plutôt suggérée pour permettre aux utilisateurs de rédiger une requête avancée. Toutefois, une connaissance des structures internes du système est nécessaire à la rédaction de cette requête. Cela ne rejoint donc pas une partie du public non initié au langage technologique et documentaire.

Une éditorialisation des collections est dès lors essentielle. Les catalogues en ligne ont la fonction de renseigner une œuvre par des clés descriptives. Par l’auteur de l’objet, son titre et son sujet, la base de données propose pertinemment les ressources concernées et connexes. La fonction d’assistance d’un catalogue en ligne fait rayonner l’accessibilité à la collection d’un musée : son expertise de repérabilité influe sur son bon fonctionnement.

Vue de la collection en ligne Masterpieces du Rijksmuseum.

Alternativement, une primauté est assurément accordée à l’image dans les catalogues. L’élaboration d’un accès à l’information par l’image propose une solution alternative au filtrage par catégories. L’utilisation de la planche de vignettes, par exemple, permet la recherche d’image par image plutôt que par les mots-clés (Barboza, 2012). Cette autonomisation de l’image est notamment bénéfique aux grandes collections du MoMA puisqu’elle permet de trier une sélection d’œuvres substantielle. De cette façon, la recherche par image privilégie la vision rapprochée des œuvres et une optimisation des champs descriptifs par le social tagging, une initiative de marquage faisant participer les utilisateurs (Barboza, 2012). D’un autre côté, la collection Masterpieces du Rijksmuseum présente ses œuvres sous un ordonnancement visuel malléable. La plateforme permet d’une part d’obtenir un zoom de haute qualité de ses œuvres et de l’autre d’effectuer une recherche par couleur. Dans l’exemple de l’œuvre de Jan Asselijnm The Threatened Swan, l’on retrouve à la droite de l’interface la palette dominante de l’œuvre. Chacune des six couleurs présentées renvoie à un rebond sur une présélection d’œuvres aux couleurs similaires.

Ces pratiques sont quelques exemples d’utilisation des technologies de l’information dans le contexte muséal. L’accélération numérique influe sur ces fonctionnalités innovantes, mais qu’en est-il de la découvrabilité des collections lorsque les champs descriptifs sont limités aux données historiographiques et aux recommandations connexes?

L’utilisation de données liées ouvertes apparaît comme une solution. Ceci permettra de répondre au manque d’interopérabilité entre les institutions pour offrir des liens entre plusieurs bases de données et un plus grand accès à la connaissance des œuvres (Fortier et Ménard, 2017, 1). Le projet DOLMEN (Données Ouvertes Liées : Musées et Environnement Numérique) propose notamment un modèle relativement simple examinant les éléments essentiels à la description des objets muséaux afin de les modéliser par l’entremise de données ouvertes liées (Fortier et Ménard, 2017, 1). L’application de cette méthode est destinée aux musées de différentes tailles et aux collections diversifiées (histoire, ethnologie, archéologie, beaux-arts et arts décoratifs) pour combler la variété des objets muséaux décrits. Elle vise à offrir une mise en contexte pertinente à la description d’un l’objet sans frontière linguistique. En effet, la plupart des descriptions actuelles font abstraction de la multiplicité des langues, ce qui pose un enjeu sur la découvrabilité des collections à un plus large public (Fortier et Ménard, 2017, 3). De plus, le projet DOLMEN inclut les collections muséales abritant l’art numérique et le patrimoine immatériel par son système de données ouvertes liées fournissant un accès complet aux diverses bases de données existantes (Fortier et Ménard, 2017, 3).

« Les musées soucieux de s’acquitter de leurs responsabilités de service public doivent s’assurer que leurs présentations et leurs collections, ainsi que toutes les informations afférentes, seront également accessibles à tous. » (AMC, 2006)

Au bénéfice de la valorisation et du rayonnement du patrimoine culturel, les musées ont la charge de rendre accessibles les objets de leurs collections et leurs documentations. L’intégration de modèles à données ouvertes contribuerait aux respects de ce mandat par son interopérabilité.

Interface de la plateforme Videomuseum.

L’établissement d’un système d’association et de gérance collective promut également l’élargissement de la découvrabilité informationnel. Videomuseum est un réseau de musées et d’organismes gérant des collections d’art moderne et contemporain (musées nationaux, régionaux, départementaux ou municipaux, Cnap (collection du Fnac), Frac, fondations). (Videomuseum, 2020). Les musées associés à ce regroupement agissent pour développer en commun des outils de traitement de l’information en utilisant les nouvelles technologies. Cette initiative permet de regrouper, recenser et diffuser le savoir du patrimoine muséographique de ces institutions. Videomuseum représente aujourd’hui 71 collections, 439 904 œuvres, 39 046 artistes et 472 088 images (Videomuseum, 2020). L’informatisation de la documentation et de la gestion des collections sont effectuées par le logiciel Gcoll et les collections en ligne sont consultables via Navigart. Chaque membre peut également utiliser Navigart pour publier sa collection sur Internet.

Ce projet se fonde ainsi sur un mouvement collectif de la gérance et la documentation des collections. Il crée une mise en commun des méthodes et des outils de travail répondant aux besoins locaux de chacun. Cette méthode coopérative développée avec l’ensemble des utilisateurs assure une informatisation locale de chaque collection et constitue globalement un ensemble varié de données textuelles et imagées. (Videomuseum, 2020).

Le fonctionnement de Videomuseum repose sur l’informatisation de chaque collection de ses membres formant une banque de données locale. Celle-ci est par la suite consolidée à la banque de données générale par un processus d’extraction des informations descriptives et documentaires des bases de données locales (Videomuseum, 2020). Se crée dès lors un système normalisé permettant la standardisation des champs descriptifs et l’exploration des collections de l’ensemble des partenaires.

L’intégration de réponses complémentaires aux mots-clés inscrits dans la barre de recherche du portail Gcoll.

Son interface offre une barre de recherche simple permettant de rechercher une collection ainsi que des onglets séparant les portails affiliés, les collections nationales, les collections muséales et les fonds d’art contemporain. Le portail Gcoll des collections, quant à lui, propose une vue d’ensemble séparé sous le nom des artistes, les types d’œuvres, les années de création, ainsi que les notices d’œuvres. Ses particularités reposent sur les variétés de vues offertes ainsi qu’à l’ajout de réponses complémentaires aux indexations de la barre de recherche.

« La mise en forme des informations textuelles, visuelles ou sonores et leur accessibilité les fait converger avec le devenir médiathèque de la bibliothèque; ce mouvement simultané de la bibliothèque et du musée accroît dans le musée le poids de sa dimension documentaire. » (Barboza, 2001, 42).

Depuis la numérisation des collections en ligne, la notion d’information documentaire s’étend dans le contexte muséal pour englober une multitude de documents et d’outils en lien avec les collections. Ainsi, il est envisageable de considérer l’apport des projets tels que DOLMEN et Videomuseum dans l’élaboration d’un système de documentation dont la mise en commun est présentée sous une optique de rassemblement du savoir. Les collections patrimoniales bénéficieraient d’une base documentaire globale rassemblant diverses institutions muséales et le savoir de leurs collections. Élaborer ce projet sous un modèle inspiré de la pratique bibliothécaire permettrait d’obtenir des champs descriptifs abordant les références des catalogues, des notices, ainsi qu’une documentation textuelle extensive.

Bibliographie

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