Pertinence des métadonnées descriptives pour la performance. Une courte étude qualitative des recommandations du standard CDWA du Getty et de la norme CCO pour la delegated performance

Camille Delattre
museonum
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10 min readJan 17, 2024

La pratique artistique de la performance émerge dans les années 1960 en rupture avec la conception canonique de l’œuvre d’art et en marge des institutions muséales. La présence directe et immédiate du corps de l’artiste a rompu avec l’acceptation historique de la stabilité matérielle de l’œuvre d’art rendant son collectionnement difficile pour les musées d’art. À partir des années 2000, de nouvelles formes de performance fondées sur la répétition telle que la delegated performance apparaissent. Les modalités de leur réalisation facilitent alors leur muséalisation.

La delegated performance ou performance déléguée se caractérise par l’engagement de non-professionnel·le·s ou de professionnel·le·s pour assurer la présence de la performance de l’artiste, suivant les instructions de celle-ci ou de celui-ci (Bishop, 2012). Ce type de performance est généralement réalisé à partir d’une instruction ou d’un protocole rédigé par l’artiste. Un exemple pertinent est l’œuvre Tatlin’s Whisper #5 (2008) de l’artiste cubaine Tania Bruguera. En 2009, la Tate Collection de Londres acquiert la performance ainsi que les instructions rédigées par l’artiste. L’œuvre est activée à plusieurs reprises à la Tate Modern de Londres, notamment en 2016 à l’occasion du programme BMW Tate Live.

Tania Bruguera, Tatlin’s Whisper #5, 2008, performance activée dans le cadre de l’évènement UBS Openings: The Living Currency à la Tate Modern, 26–27 janvier 2008. Photographie : Tate (Sheila Burnett). Source : Tate, Artworks. [en ligne]. https://www.tate.org.uk/art/artworks/bruguera-tatlins-whisper-5-t12989. Consulté le 17 décembre 2023.

Si les modalités de réalisation de la delegated performance facilitent son collectionnement, elles posent néanmoins un véritable défi en termes de conservation dont le modèle repose sur les propriétés matérielles de l’œuvre d’art. Plus spécifiquement, elles engendrent des problèmes de documentation et de catalogage, pourtant essentiels à une gestion adéquate de ces œuvres par les musées. Ces dernières années, plusieurs institutions, dont la Tate Modern de Londres et le Musée d’art contemporain de Val-de-Marne (MAC VAL) à Vitry-sur-Seine en France, ainsi que des projets de recherche tels que Performance: Conservation, Materiality, Knowledge (2020–2024) mené à l’Académie des arts de Berne, ont engagé des réflexions sur les pratiques à adopter. Dans cette perspective, en 2023, Hanna Hölling a déclaré :

Le défi que pose la performance au musée se distingue des modèles classiques de critique institutionnelle dans la mesure où ce ne sont pas nécessairement les politiques des musées, mais plutôt leurs structures opérationnelles et bureaucratiques qui sont mises sous pression (Hölling, 2023).

Un positionnement en faveur d’une adaptation des ressources documentaires existantes dans le monde muséal pour la performance est donc formulé. À cet égard, l’une de nos pistes de réflexions porte à la spécification de métadonnées descriptives utilisées dans l’environnement numérique des musées d’art depuis le milieu des années 1990, notamment avec l’introduction de Dublin Core. Une métadonnée, selon la définition proposée par l’Offre québécoise de la langue française, est une donnée informant sur la nature d’autres données dans le but d’en faciliter leur compréhension et leur gestion. Dans le contexte muséal, les métadonnées descriptives servent à décrire précisément l’ensemble des informations sur une œuvre telles que son titre, son créateur ou encore ses matériaux.

En 1990, l’Art Information Task Force (AITF) avec le soutien financier de la Fondation Getty, a élaboré les Categories for the Description of Works of Art (CDWA). Il s’agit d’un ensemble de lignes directrices de catalogage pour la description de l’art, de l’architecture et d’autres œuvres d’art, comprenant 540 catégories et sous-catégories rédigées en anglais. Un sous-ensemble de CDWA, appelé CDWA Core, est utilisé pour la description considérée comme minimale pour l’identification d’une œuvre. Celui-ci est recommandé par la norme Cataloging Cultural Objects (CCO). Initiée par la Visual Ressource Association (VRA) en 2001, cette norme a été publiée en 2006 par l’American Library Association (ALA) et financée par la Fondation Getty. Elle constitue l’une des premières ressources regroupant un ensemble de règles exhaustives pour décrire, documenter et cataloguer les œuvres à destination des professionnel·le·s de musées. La norme CCO et les CDWA prennent en compte la pratique artistique de la performance.

CCO covers many types of cultural works, including architecture, painting, sculpture […] performance art, archæological sites and artifacts, and various functional objects from the realm of material culture (Baca, 2006).

Cependant, ces standards ne semblent pas prendre en charge les nouvelles formes de performance telles que la delegated performance qui infléchit le concept de l’œuvre d’art fondé sur ses propriétés matérielles.

Ce court papier propose d’initier une réflexion quant à la pertinence des métadonnées descriptives et des recommandations fournies par la norme CCO et le standard CDWA pour la delegated performance. Comment ces ressources abordent-elles la description de la performance et ses nouvelles formes ? Les propositions de CCO et CDWA sont-elles suffisantes ? Le cas contraire, quelles en sont les limites, et quelles recommandations pouvons-nous formuler ? Pour ce faire, nous proposons d’articuler nos réflexions à partir d’un exemple de catalogage minimal d’une performance proposée par le CDWA.

Métadonnées descriptives : définitions et usages dans le domaine muséal

Dans un premier temps, revenons sur la définition d’une métadonnée descriptive et ses usages dans la communauté muséale, une discussion amorcée lors de l’introduction. Une métadonnée est généralement comprise comme une donnée définissant ou décrivant une autre donnée. Plus spécifiquement, depuis l’avènement du numérique, elle représente une information structurée, paramétrée et inscrite sur support numérique (Routhier et Danvoye, 2017). En 2013, Pierre Lescure décrit la fonction première de la métadonnée. Selon lui, elle consiste en la description du contenu d’une ressource, tout en permettant son identification, sa qualification, et son enrichissement (Routhier et Danvoye, 2017).

En définitive, une métadonnée est une donnée structurée permettant, d’une part, de décrire le contenu d’une ressource, et d’autre part, de l’identifier et de l’enrichir. Dans le contexte muséal, les métadonnées sont notamment utilisées pour la conservation et le catalogage des œuvres d’art. Les professionnel·le·s de musée produisent des métadonnées descriptives pour assurer le référencement et l’identification des œuvres dans leur système de gestion de collection. Pour que ce système soit efficace, il est recommandé que les métadonnées soient qualitatives. Elles doivent être standardisées, c’est-à-dire structurées de manière normée et saisies selon des protocoles définis, en utilisant des vocabulaires contrôlés, idéalement internationaux (Routhier et Danvoye, 2017).

C’est dans cet objectif que des standards relatifs aux métadonnées, comme les vocabulaires du Getty (CDWA, AAT, TGN ou encore ULAN), ainsi que des normes internationales telles CCO et VRA ont été développées.

CDWA x CCO, pertinents pour la delegated performance ?

Le CDWA propose un exemple minimal de catalogage d’une performance, révisé pour la dernière fois en août 2006. Cet exemple est principalement basé sur les catégories et sous-catégories CDWA Core, identifiées par un losange rouge. Il est structuré en trois colonnes : la première pour les catégories, la deuxième pour les sous-catégories, et la dernière pour les formats recommandés.

Exemple minimal de catalogage d’une performance. Source : Categories for the Description of Works of Art. « Performance art ». 26 August 2006. https://www.getty.edu/research/publications/electronic_publications/cdwa/examples/76_performance_art.html. Consulté le 17 décembre 2023.

Dans l’analyse de cet exemple, nous évaluerons d’abord la pertinence des deux premières catégories proposées : Object/Work et Classification pour une delegated performance. Ensuite, nous examinerons les recommandations formulées par le CCO pour la performance.

Pertinence des catégories Object/Work et Classification

La première catégorie Object/Work permet l’identification du type et du nombre d’œuvres décrites. Elle comprend les sous-catégories Catalog Level et Type. La première sous-catégorie, Catalog Level indique le niveau de catalogage représenté par la notice, en fonction de la forme physique ou du contenu intellectuel du document. Dans notre cas, elle prend la valeur item, qui n’est pas valide pour une delegated performance. La valeur item renvoie à un caractère d’unicité. Or, cette forme de performance peut être activée plusieurs fois au cours de sa vie muséale, comme nous l’avons remarqué en introduction avec l’œuvre Tatlin’s Whisper #5 (2008) de Tania Bruguera, activée plusieurs fois à la Tate Modern. La delegated performance considère plusieurs instances de la même œuvre, ce que la valeur item ne peut pas représenter. Ainsi, une stratégie alternative devrait être mise en place pour englober la performance et ses différentes activations.

La seconde sous-catégorie, Type désigne le type d’objet ou d’œuvre décrit comme un retable ou un dessin par exemple. Dans notre exemple, la valeur du Type correspond à l’élément performance art défini par le vocabulaire controlé AAT du Getty recommandé par le CCO (Baca, 2006). Bien que cette valeur soit valide pour la delegated performance, il est important de noter que la définition de la sous-catégorie Type repose sur la qualité des propriétés matérielles de l’œuvre, comme suggéré par les exemples cités précédemment. Dans le cadre de la performance, le Type concerne davantage son fonctionnement en raison de l’absence de propriétés matérielles. Ce constat pourrait se répercuter sur la catégorie Materials/Techniques. Nous l’évoquerons ultérieurement.

La deuxième catégorie Classification désigne le placement d’une œuvre d’art dans un système de classification qui regroupe d’autres œuvres similaires sur la base de caractéristiques semblables. Sa sous-catégorie Term définit plus spécifiquement le terme d’un système de classification attribué à une œuvre. Dans notre exemple, les valeurs sont performance and installation art ; Modern Art. Pour une delegated performance, l’utilisation de l’élément performance art défini par l’AAT est possible, mais cela entraînerait une perte de spécificité. Il serait donc approprié de réfléchir à la création d’un élément ayant pour valeur delegated performance permettant de référencer et d’identifier précisément cette forme de performance, tout en signalant la prise en compte de ses activations.

En définitive, cette analyse met en évidence les limites posées pour la représentation informationnelle de la delegated performance. La valeur item et l’absence de vocabulaire spécifique ne permettent pas de renseigner précisément les activations ultérieures d’une performance. En outre, aucune recommandation n’est formulée par le CCO. Pourtant, plusieurs stratégies pourraient être envisagées. La plus pertinente consisterait à utiliser la catégorie Related Works proposée par le CDWA. Elle désigne les œuvres d’art liées à l’œuvre décrite, et une description de la relation entre les œuvres. De plus, conformément aux recommandations émises par le CCO, il est également nécessaire de créer des enregistrements distincts pour les parties d’une œuvre et pour l’œuvre dans son ensemble, reliées par des relations hiérarchiques (Baca, 2006). Pour une delegated performance, cela impliquerait la création d’un enregistrement principal pour l’œuvre dans son ensemble et des enregistrements correspondant chacun à une activation spécifique de l’œuvre. L’enregistrement global de l’œuvre contiendrait ainsi une catégorie Related Works comprenant la liste de ces activations. La relation entre l’enregistrement principal et l’activation est directe. Cependant, aucun type de relation permettant de décrire l’activation n’est proposé par le CDWA et le CCO. Il faudrait donc créer un type de relation à cet effet. Nous pourrions ainsi développer le type de relation suivant, en prenant en compte la question de réciprocité :

Recommandations de la norme CCO pour la delegated performance

De plus, le CCO propose plusieurs recommandations pertinentes pour la delegated performance. En ce qui concerne la catégorie Materials/Techniques, il est recommandé d’inclure une description simple. Elle peut également inclure les œuvres et autres objets utilisés comme matériaux. Dans notre exemple, la description inclut : multimedia installation/performance. Les noms des matériaux et des techniques sont ensuite spécifiés avec des valeurs définies par le vocabulaire AAT : multimedia work (Material Name), installation et art performance (Technique Names) L’élément performance art est également utilisé pour la catégorie Object/Work type. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cela reflète, d’une part, un manque de spécificité pour la performance, et d’autre part, que le CDWA est orienté objet, ou en d’autres termes, qu’il se base sur les propriétés matérielles de l’œuvre d’art. Cependant, il existe également une sous-catégorie de Materials/Techniques intitulée Performance Actions, qui permet de l’identification et la description de toutes les actions à effectuer lors de l’activation de l’œuvre. Cette sous-catégorie pourrait remplacée la sous-catégorie Techniques Name. Nous pourrions donc envisager pour l’enregistrement d’œuvre dans son ensemble pour une delegated performance, en prenant l’exemple de l’œuvre Tatlin’s Whisper #5 de Tania Bruguera :

Des recommandations sont également formulées pour la catégorie Creation. Le CCO suggère d’inscrire une date plus précise que l’année, car une performance peut, en effet, avoir lieu un jour et à une heure précise (Baca, 2006). À partir de cette recommandation, nous proposons pour la delegated performance, d’inscrire l’année pour l’enregistrement d’ensemble de l’œuvre et de préciser le jour et l’heure pour les enregistrements d’activations. Aussi, pour la catégorie Current Location, il est recommandé d’indiquer le lieu où l’œuvre a été activée (Baca, 2006). Nous suggérons, d’indiquer la collection où l’œuvre est acquise dans l’enregistrement d’ ensemble et d’inscrire le lieu d’activation de l’œuvre dans l’enregistrement connexe à cet effet, en précisant son contexte d’exposition.

Pour finir et en prenant compte l’ensemble des éléments susmentionnés, nous présentons ci-dessous une ébauche de ce que constituer un enregistrement d’ensemble minimal de catalogage de l’œuvre Tatlin’s Whisper #5 de Tania Bruguera :

Proposition d’enregistrement d’ensemble minimal de catalogage de l’œuvre Tatlin’s Whisper #5 (2008) de Tania Bruguera à partir des recommandations du standard CDWA et la norme CCO.

Bibliographie

  • Baca, Murtha. 2006. Cataloging Cultural Objects: A Guide to Describing Cultural Works and Their Images. Chicago: American library association.
  • Bishop, Claire. 2012. « Delegated Performance: Outsourcing Authenticity ». In Artificial hells: participatory art and the politics of spectatorship, 219‑39. London ; New York: Verso.
  • « Categories for the Description of Works of Art (Getty Research Institute) ». Consulté le 22 décembre 2023. https://www.getty.edu/research/publications/electronic_publications/cdwa/definitions.html.
  • Hölling, Hannah B., Jules Pelta Feldman, et Emilie Magnin, éd. 2023. Performance: The Ethics and the Politics of Conservation and Care, Volume I. London: Routledge.
  • Routhier, Christine, et Marik Danvoye. 2017. État des lieux sur les métadonnées relatives aux contenus culturels. Québec: Observatoire de la culture et des communications du Québec, Institut de la statistique du Québec.
  • « Tania Bruguera, Tatlin’s Whisper #5, 2008, T12989 ». 2009. Dossier d’acquisition. Londres: Tate.

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