ADM, l’outil d’analyse stratégique des entreprises Tech africaines.

Naofal Ali
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7 min readOct 2, 2017
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Avec Arif Adéchina, partenaire d’idées et ingénieur, et depuis trois ans maintenant, nous nous intéressons aux déterminants du succès des startups technologiques en Afrique. Dans nos premiers travaux sur le sujet, nous étions parvenus à dégager une première grille de lecture. Nous pensions alors que quatre éléments jouaient le plus grand rôle dans la survie des jeunes pousses sur le continent. Nous avions appelé notre grille d’analyse UPAC, un acronyme formé par les piliers de notre grille : Usages, Partenariats, Accès internet, et Contenus.

Avec cet premier outil, plusieurs challenges d’utilisation se sont très vite posés à nous. En premier, il nous fallait définir son champ précis d’application. Nous voulions concevoir un outil de diagnostic et de décision, et il n’aurait eu aucune utilité si nous ne précisions pas les organisations dans lesquelles il pouvait s’utiliser. Dans notre « esprit » nous avions développé un outil destiné aux startups. Seulement, personne, ceux qui pensent le savoir y compris, ne sait donner une définition claire de ce qu’est une startup. Il y a du terme presque autant de définitions que de définisseurs. Il ne renvoyait donc à aucune notion claire et conventionnelle. Le premier enjeu était donc de décrire de manière précise les caractéristiques des entreprises auxquelles l’outil serait applicable.

Dans un second temps, nous nous sommes vite aperçu que les différentes clés d’entrée de l’outil pouvaient appeler des critères d’analyse multiples. Par exemple, nous pointions l’importance de la facilité d’usage dans le succès des produits et services des startups africaines. Le problème est que nous ne savions pas mesurer à base de critères concrets et généraux la difficulté dans un usage produit, ni le degré à partir duquel cette dernière devenait prohibitive. Idem pour les questions de partenariat qui pouvaient prendre des formes multiples et variées selon les secteurs, les business modèles envisagés, ou les objectifs de l’entreprise. Nous devions donc améliorer l’outil en présentant des points d’entrée clairs et mesurables avec des indicateurs précis.

Ces trois dernières années, j’ai retravaillé sur la question. J’ai dans mon activité de promoteur en venture capital été amené à découvrir de nombreuses initiatives entrepreneuriales sur le continent. Dans le domaine technologique, j’ai été, et je suis encore sidéré de voir à quel point certains projets occultent complètement les réalités et contraintes locales. J’ai vu des sites marchands lancés dans des pays où la connexion internet est du pur luxe, des applications mobiles promues à coup de millions dans des pays où le taux d’équipement en smartphone est extrêmement bas (en pourcentage et en valeur absolue), des entreprises développer des applications mobiles là où une simple application USSD aurait largement suffi, ou des e-commerce ne proposer que le paiement par carte bancaire malgré des taux de bancarisation nationaux en dessous de 15%. Bref, cela m’a conforté dans l’idée qu’il faudrait aux entrepreneurs africains, un outil d’analyse clair d’adéquation technologique entre leur projet d’entreprise et les contraintes locales africaines. Je pense y être parvenu.

Redéfinir le champ d’application de l’outil. Les BBT.

Je me suis intéressé à un groupe particulier d’entreprises. Les BBT, pour Business Based on Telecommunication. Il s’agit de toutes entreprises se servant d’internet ou du GSM comme canal exclusif ou majoritaire de commercialisation, ou support de consommation de leur produit/service. Pour un e-commerce par exemple, internet est un canal de commercialisation d’articles. Pour une application comme Whatsapp, Uber, ou Netflix internet est un support de consommation de service. Nous nous intéresserons ici uniquement aux BBT dont les clients sont des particuliers résidant en Afrique.

Un nouvel outil d’analyse : ADM, pour Accès, Device client, et Moyen de paiement.

Sur la base des critiques de l’outil UPAC, j’ai pu identifier les 3 critères clés d’analyse. Ensemble, ils permettent à n’importe quel BBT de vérifier l’adéquation de son modèle avec les réalités technologiques des pays africains. Une bonne adéquation avec les trois points ne garanti certes pas un succès à l’entreprise. Toutefois elle lui assure le plus important, être en phase technologique avec son environnement.

L’accès à internet

Je ne fais pas ici mention du réseau GSM parce qu’il me semble que son accès ne pose pas particulièrement de problème sur le continent. Pour internet, c’est une autre histoire. Il faut prendre ici en compte 4 critères d’analyse.

Le nombre d’internautes

C’est évidemment la première variable. Lorsqu’internet sert de canal de vente ou de support de consommation de votre produit ou service, votre marché potentiel se résume basiquement au nombre d’utilisateurs dans le ou les pays d’activité. L’erreur que je rencontre le plus fréquemment chez les porteurs de projet est de ne pas faire la nuance entre l’effectif de la population et le marché potentiel qui est souvent chez nous bien plus petit. Il y a 15 millions d’habitants au Sénégal, mais on n’y compte que 3,6 millions d’internautes !

La couverture

Votre produit ou service ne couvre peut-être pas tout le territoire d’un pays. Si vous êtes un site de livraison de repas commandés à Dakar, votre marché potentiel ne sera plus constitué par les 3,6 millions d’internautes présents au Sénégal mais uniquement par ceux de la région dakaroise. C’est dans ce contexte précis que vous devriez vous demander quel est le taux de couverture internet de votre cible.

La qualité de la connexion

Un autre biais très fréquent chez les porteurs de projet est de considérer que les toutes les connexions internet se valent. Si vous lancez un site de petites annonces en ligne, la qualité de la connexion sera d’une importance relativement moindre sur vos performances. Naviguer sur un tel portail ne réclamera pas du haut débit. Par contre, dans le cas où vous proposerez un service de streaming vidéo, ou un service de Cloud, la donne changera du tout au tout. Consommer vos produits ne réclamera pas seulement d’être connecté à internet, mais de disposer impérativement du haut débit. Dès lors, votre marché potentiel ne sera plus constitué par l’ensemble des internautes, mais par l’ensemble des internautes ayant accès à une connexion suffisamment rapide. Ici encore, les chiffres seront à recalculer.

Le coût de la connexion

C’est un autre aspect dont l’oubli peut pousser des créateurs de startups à des inepties économiques. Prenons l’exemple d’un service de streaming vidéo destiné au public ivoirien en Côte d’ivoire, avec un abonnement à 10.000 francs CFA le mois. Il y a fort à parier qu’une telle expérience se solderait par un échec cuisant. L’erreur d’analyse consisterait à imputer l’échec de cette entreprise au coût présumé prohibitif de l’abonnement. « Les ivoiriens n’aiment pas dépenser ! Ils ne veulent pas soutenir leur frère qui innove » Bon, et je vous passe les autres formes d’érections verbales en tout genre qui accompagneront les analyses post-mortem. Ma question est-celle ci. Avez-vous pensé au coût de la connexion internet pour profiter du service ? A supposer que l’utilisateur regarde 1 film par semaine, il visionnerait 4 films par mois (ce qui me paraît extrêmement faible, mais bon, soit.). Cela consommerait un volume au bas mot de 5 gigas. Or, un volume de 4,5Go en Côte d’ivoire coûte 15.000 francs CFA. En d’autres termes une personne qui souhaiterait regarder deux films par semaine devra payer la connexion internet 3 fois le prix de l’abonnement au streaming. Cela reviendrait à payer un taxi pour aller au restaurant au triple du prix de l’addition. Pas étonnant que l’idée de mobilise pas des foules. Il est donc important de tenir le plus grand compte du coût de la connexion. Dans ce cas, précis le coût du service de streaming pour l’utilisateur ne sera pas de 10.000 mais de 40.000 francs CFA (coût du service de streaming+coût de la connexion induite) . Et ça change tout !

L’adéquation aux Devices client

Il est important de se demander si la technologie employée par le BBT est décodable par les devices client les plus répandus. Il faut se demander si la cible est équipée de smartphones, de téléphones de basse génération, d’ordinateurs, de tablettes, ou d’autres équipements connectés. Cela devra guider les choix technologiques sur le design du produit ou service. Si la cible n’est pas équipée de smartphones par exemple, vous devrez privilégier si possible une appli USSD. Dans le cas où elle serait bien équipée en smartphones, vos portails internet devront être impérativement responsives, et ainsi de suite. C’est pour cette raison qu’il est clé de vous assurer que votre solution produit tient pleinement compte des devices client.

Trois questions à se poser pour évaluer l’adéquation de votre modèle aux devices clients:

- De quel(s) équipement(s) a-t-on besoin pour accéder à l’interface d’achat ou de consommation de mon produit ou service ?

- Quel pourcentage de ma cible aujourd’hui est bien équipée ?

- Quelles modifications technologiques dois-je faire au niveau de mon interface afin de l’adapter à un plus grand pourcentage de ma cible ?

L’adaptation aux Moyens de paiement client

C’est là encore un impératif central. Rares étant les pays africains où le taux de bancarisation excède les 12%, les paiements en cartes bancaires ne répondent pas aux habitudes locales. De plus, à l’heure où le Mobile Money connaît un succès fulgurant sur le continent, il ne serait tout bonnement pas imaginable aujourd’hui ne pas proposer cette option de paiement.

Trois questions à se poser pour évaluer l’adéquation de votre modèle aux moyens de paiement client:

- De quel(s) moyens(s) de paiement a-t-on besoin pour acheter mon produit/service?

- Quel pourcentage de ma cible est aujourd’hui équipé de ce(s) moyen(s) ?

- Quelles modifications technologiques dois-je faire au niveau de mon offre de paiement pour l’adapter à un plus grand pourcentage de ma cible ?

En conclusion…

La grille d’analyse ADM permettra de challenger le modèle des entreprises BBT. Elle est non seulement utile pour diagnostiquer les incohérences entre la proposition de valeur et l’environnement technologique, mais aussi pour identifier clairement les leviers d’action permettant d’améliorer le bilan stratégique de l’entreprise. J’espère que cet outil synthétique sera de la plus grande aide dans l’analyse stratégique des BBT que vous soyez entrepreneur, investisseur, ou tout autre acteur potentiel intéressé par ces problématiques.

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.