Comment Enseigner l’Histoire Coloniale dans les Pays Africains ?

Entre devoir de mémoire, et nécessité de dépassement du passé

Naofal Ali
naofalnotes
7 min readJan 13, 2019

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La question m’a été posée telle quelle par une amie. Entre esclavage, colonisation, et ingérence française, je lui expliquais que la jeunesse africaine entretient un rapport complexe à son histoire. Une histoire, en règle générale mal enseignée. La France qui dans les pays francophones du continent, fait encore figure de “pays colonisateur” est aussi détestée par les uns que “désirée” par les autres. Ce sentiment est un étrange cocktail de haine (comme le montrent les houleux débats sur le franc CFA), et d’attachement (comme en témoignent les flux migratoires et économiques)… Preuve d’ailleurs que le rapport à la mémoire est encore trouble. Une situation à laquelle l’enseignement de l’histoire devrait s’intéresser, ce qui aujourd’hui n’est malheureusement pas le cas.

J’ai également trouvé cette question tout à fait intéressante, car au-delà du rapport à la mémoire qu’il faut absolument pacifier, je perçois l’enseignement de l’histoire comme une clé essentielle au développement de tout pays. Cet enseignement participe en effet grandement à modeler les citoyens qui constituent la ressource la plus précieuse de tout projet national. L’histoire a le pouvoir de forger des Hommes, en ce sens qu’elle nous apprend d’où nous venons, qui nous sommes, et surtout nous fait réfléchir à qui nous voulons collectivement être. La question étant importante à ces multiples titres, il me plait de partager avec vous ici, la réponse que j’y ai apportée.

A mon sens, un meilleur enseignement de l’histoire en Afrique devrait passer sur le fond par :

  • un travail de réécriture des récits existants
  • un travail de création de nouvelles connaissances,

et sur la forme par d’importants efforts sur :

  • l’appropriation mémorielle,
  • l’interprétation mémorielle et la capacité de projection.

1 — De la nécessité de réécrire notre histoire

Le plus grand drame de l’enseignement de l’histoire en Afrique est sans doute le fait que les récits aient été, en grande partie, produits par les anciens colons. Tout écrit étant politique, c’est donc souvent une vue historique à la faveur de nos anciens oppresseurs qui nous est apprise. Une situation que le respect des mémoires, le refus de l’obscurantisme, et le besoin d’indépendance culturelle nous imposent de corriger par un sérieux travail de réécriture. Nous devons en effet (r)établir dans l’histoire notre vérité, notre vision des faits à l’image des travaux de Cheikh Anta Diop. Des travaux sans lesquels, la thèse sur l’origine polycentrique de l’homme aurait sans doute été, aujourd’hui encore, entretenue par l’occident.

L’histoire est un instrument sociologique, culturel, économique et politique. Elle a la rare capacité de pouvoir être à la fois un outil de domination et de libération. C’est l’or des grandes Nations.

Au delà du rétablissement des vérités historiques, il est important que nos programmes d’histoire soient afrocentrés. Ils ne doivent pas uniquement restituer des récits, mais le faire du point de vue de notre contribution aux événements. J’ai encore le douloureux souvenir d’avoir eu au lycée deux chapitres entiers consacrés aux deux Guerres mondiales sans qu’aucune attention ou presque ne soit portée à la participation des soldats africains à ces évènements. Je souffre qu’il n’ai pas été évoqué l’impact de la participation de nos parents sur l’issue des combats, ou sur le destin du continent, un temps dépeuplé de ses bras et esprits vaillants. Faut-il enseigner le récit des Guerres mondiales ? Bien sûr ! Mais je questionne, réfute même, l’intérêt de la démarche si elle ne porte que sur De Gaulle, Churchill, et Roosevelt, sans mentionner la bataille de Reims en 1918, le débarquement de Provence, le massacre de Thiaroye, ou encore le blanchiment des troupes en 1944.

Enfin, il faut donner dans les cours d’histoire une place plus grande et plus inspirante aux réussites du continent, à ses héros, à ses héroïnes, à ses penseurs, à ses artistes, à son imaginaire, à ses cultures, à ses civilisations, à ses peuples, et aux récits dont elle peut être fière. Les jeunes dans nos écoles se voient trop souvent renvoyée l’image occidentale du continent. Celle d’une terre identique de bout-en-bout, sans relief culturel, arriérée et impénétrable au progrès. Cela est non seulement faux, mais aussi dévastateur. Car, comment demander à ces jeunes d’être l’avenir de leur pays lorsque tout ce qu’ils entendent et voient porte à croire qu’il n’en a aucun ? Donner une meilleure image de l’Afrique aux africains eux-mêmes est capital. Il en va de la capacité de l’histoire à faire des récits passés, des instruments d’ambition et de vision pour l’avenir. Et à quoi bon l’enseigner sinon ?

2 — Du besoin de créer de nouvelles connaissances

A côté des nombreux chapitres de notre histoire qui sont à réécrire, beaucoup restent tout simplement à écrire . Il est par exemple assez peu connu que les plus grands pratiquants de la traite négrière n’ont pas été les occidentaux mais bien les arabes, qui l’ont pratiqué en premier, pendant plus longtemps, et dans des conditions encore plus inhumaines que les occidentaux (je vous conseille d’ailleurs à ce propos le roman “L’appel De La Lune” de Tidiane N’DIAYE, publié chez Gallimard). Il est de la responsabilité des autorités en charge de la recherche et de l’enseignement de l’histoire de créer les conditions nécessaires à la construction d’une mémoire panafricaine. Par le financement de la recherche, nous offrirons aux générations actuelles et futures une meilleure lecture de leur passé, une plus grande capacité à comprendre leur identité, à se l’approprier, et à l’enrichir des valeurs universelles sans se renier.

Par ailleurs, en matière de création de nouvelles connaissances, l’afrocentrisme a également un rôle capital à jouer. Les nouvelles connaissances à créer devront mettre plus en lumière des faits encore méconnus : les innombrables apports et influences des cultures, connaissances, et civilisations africaines à l’histoire du monde et aux sciences.

C’est en Afrique qu’est apparu l’Homme, qu’a été créée l’écriture, et qu’on été élaborées les connaissances fondamentales dans de nombreuses sciences telles que l‘algèbre, la géométrie, la physique, et l’astronomie. C’est aussi sur ce continent qu’ont prospéré des civilisations parmi les plus brillantes qui aient existé. Et tout donne à croire que nous sommes encore loin d’avoir compris tout ce que l’Afrique a donné au monde.

3 — De l’urgence de l’appropriation mémorielle

Même si j’ai plutôt honte de le dire, être “Béninois” et “Africain” n’ont commencé à véritablement signifier quelque chose pour moi que depuis relativement peu. Je me l’explique — en partie — par le fait de n’avoir finalement réussi à m’ approprier quasiment aucun des éléments historiques qui m’ont été enseignés. Il faut dire que cela n’était malheureusement pas l’objectif premier de mon éducation dont le but était sans doute plus de me faire retenir que comprendre. C’est là une situation qu’il faut absolument changer :

  • en donnant une place plus importante à l’enseignement de l’histoire (volume horaire à revoir à la hausse, coefficients académiques à revaloriser)
  • en centrant plus les chapitres de cette matière sur l’histoire africaine par opposition à l’enseignement actuel qui est plus dispensé sur un ton et une vision supposément “universaliste” (histoire des religions monothéistes, Guerre Froide, etc…)
  • en mobilisant la littérature et les autres arts (cinéma, musique, arts plastiques…) autour de la promotion de cette histoire. Pourquoi ne pas inscrire au programme du primaire des chansons à la gloire des Amazones, du Dieu Shangô, de Samory Touré, ou de Soundiata Keïta ?
  • en faisant porter les récits historiques le plus possible par des vestiges qui témoignent des faits (musées, lieux de mémoire, reliques, autres…) afin de les rendre concrets, palpables, de manière à favoriser l’appropriation des récits par les apprenants.

4 — De l’impératif de l’interprétation mémorielle et de la capacité de projection

Sur l’interprétation mémorielle,

Des sujets comme l’esclavage, la colonisation, ou l’ingérence française en Afrique revêtent encore des décennies, et parfois siècles après, un caractère sensible. Ils doivent à cet égard dans le cadre même de l’enseignement de l’histoire faire l’objet d’échanges, de discussions, et de débats. Ce sont des sujets trop complexes, et trop importants pour que l’on laisse à la seule charge des jeunes esprits fragiles d’écoliers et de lycéens, la responsabilité se positionner dessus seuls. Il faut au contraire que ces points fassent l’objet de discussions collectives, passionnées et dépassionnés, sincères et responsables. Ma vision est qu’il faut en les abordant :

  • situer de manière sincère les responsabilités de part et d’autre dans les événements, parce qu’il y en a bien une de chaque côté, même quoiqu’incomparables
  • éviter à tout prix de vouloir refaire aujourd’hui le match d’une histoire blancs contre noirs ou arabes contre noirs. Cela ne sert à rien si ce n’est à nourrir la haine et les tensions, et nous rendre esclave du passé.
  • questionner les causes de ces faits en se replaçant dans les contextes d’époque, pour se demander quelles leçons en tirer pour le présent et l’avenir.

Sur la capacité de projection

A mon sens, l’enseignement de l’histoire est incomplet tant qu’elle ne fait pas des récits passés des instruments d’ambition et de vision d’avenir. Deux enfants élevés l’un entendant quotidiennement que le monde lui appartient, et l’autre en entendant qu’il doit y trouver sa place ne partent pas avec les mêmes capacités dans la vie, même à moyens matériels égaux. Le cap le plus difficile à franchir dans un projet, c’est de se résoudre psychologiquement à le réaliser et se montrer déterminé. L’histoire a le pouvoir de faire de nos enfants, des personnes qui osent, croient en eux et en un destin brillant, ou des jeunes timides, peu ambitieux, se satisfaisant de la place que le monde voudra bien leur laisser. En nous mettons face à la bravoure, au génie, à la force, à la créativité, et à l’exceptionnel passé dont nous sommes les fruits, nous africains, ne pourront nous rêver qu’en conquérants et en vainqueurs. Et la banalité de ce principe n’enlève RIEN à sa véracité. Les Etats-Unis nous en font preuve chaque jour. Le fameux storytelling à l’américaine est une pure fabrique à champions. Il faut donc qu’au delà de l’interprétation mémorielle, l’héritage historique permette aux apprenants de se questionner comme individu, de questionner la société dans laquelle ils vivent, et de se construire une vision d’avenir décomplexée et ambitieuse. Pour eux-mêmes d’abord, pour leur pays ensuite, et pour le continent enfin.

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.