Croissance économique : le grand mensonge sur le défi de l’Afrique.

Comprendre où se trouve le vrai combat de nos pays.

Naofal Ali
naofalnotes
6 min readJun 17, 2017

--

La question du développement en Afrique est au cœur de nombreux débats. Des indépendances à nos jours, le bilan de nos Etats n’est dans la grande majorité pas reluisant. Le continent fait office de bon dernier sur nombre d’indicateurs économiques et sociaux. Les défis, plus d’un demi siècle après la fin du colonialisme, restent immenses, et la perspective qu’ils soient relevés, trouble.

Je souhaiterais vous proposer dans cet article, une vision particulière du développement en Afrique. Une vision qui ne traduit pas la question du développement en enjeu économique, mais idéologique. Je voudrais vous présenter un parti pris qui entend le développement en Afrique non comme une problématique de croissance de richesse, mais comme une équation autour de la distribution de celle-ci.

Premier postulat.

L’Afrique n’a pas un problème de ressources. Les sous-sols, les sols et les cieux du continent regorgent de tout ce qu’il faut à nos pays pour créer de la richesse et impulser le développement. Pourtant, ces derniers sont pauvres. Cela implique que les ressources africaines sont mal gérées, et que nous échouons à les transformer en richesses.

L’Afrique n’a pas un problème de disponibilité de ressources, mais de gestion de celles-ci.

Deuxième postulat.

La gestion désastreuse des ressources du continent ne peut s’expliquer que de deux manières possibles. Ou nous ne savons pas transformer nos ressources en richesses, ou nous savons le faire, mais pour des raisons d’intérêt personnel, ces richesses une fois obtenues ne profitent pas à la masse. La première option est celle de l’incompétence, et la seconde, celle d’une mauvaise conscience.

Le problème africain réside dans l’incompétence de ses dirigeants ou dans leur mauvaise conscience.

Troisième postulat.

Même si dans de nombreux domaines l’Afrique manque de compétences, cela ne peut justifier sa situation actuelle. Ceci pour trois raisons.

Premièrement, la compétence peut s’acquérir à l’étranger lorsqu’on a des ressources aussi grandes que celles des pays africains. Le Quatar en est une belle illustration. Elle a su grâce à son pétrole et son gaz, attirer sur son sol la crème du savoir-faire étranger dans l’exploitation de ses ressources. Ce pays dispose aujourd’hui de l’un des PIB par habitant les plus élevés au monde (73 653$ en 2015, soit 31% de plus que les USA, 56 116$).

Deuxièmement, il est possible de bâtir une économie forte avec des produits à faible valeur ajoutée avec une main d’œuvre nombreuse et peu qualifiée. C’est le cas de la Chine, qui avec une population conséquente et très peu qualifiée a développé une industrie d’entrée de gamme qui a inondé les marchés mondiaux de ses produits. C’est d’ailleurs un modèle répliqué aujourd’hui avec succès par l’Ethiopie.

Troisièmement, enfin, les grands problèmes de l’Afrique ne sont pas dus à des défauts de compétences. Ce n’est pas de compétences que l’agriculture a besoin lorsque 60% de ses terres arables ne sont pas cultivées pendant que le chômage atteint des sommets. Ce n’est pas non plus l’incompétence qui fait se maintenir au pouvoir durant plus de 30 ans un chef d’Etat. Enfin, les conflits régionaux, la corruption, les détournements, l’absence de démocratie sont autant de fléaux lourds qui ne sont en rien des conséquences de quelque incompétence que ce soit.

Les grands problèmes auxquels nous faisons face en Afrique ne nécessitent aucunement des compétences que nous n’avons pas, ou ne pouvons acquérir. Ne reste donc plus que la mauvaise conscience à l’explication de la gestion désastreuse de nos ressources.

Quatrième postulat.

L’aide au développement en Afrique a toujours pris deux formes : des moyens financiers, ou des moyens humains. En d’autres termes l’on nous fournissait les ressources, ou les compétences.

Concernant les compétences, dès la sortie des indépendances, les pays colonisateurs ont instauré des systèmes d’éducation à leur image. Les cadres d’Afrique francophone étaient ainsi formés sur le modèle de l’école française et poursuivaient d’ailleurs pour la plupart leurs études supérieures en France. En dépit de leurs compétences, ce sont ces mêmes cadres qui ont aux premières heures de nos nations indépendantes, vendu l’âme de leurs patries. Ils avaient pour sûr de la science, mais certainement pas de conscience citoyenne, et républicaine.

De nous jours, le partage de compétences se fait sous l’appellation d’appui technique. La communauté internationale dépêche dans nos pays des experts censés pouvoir résorber nos problématiques ou former nos cadres à cet effet. Là encore hélas, le constat d’échec est cuisant. Les missions diplomatiques s’éternisent et les cadres africains formés ont une fois de plus le loisir d’user de leur science de manière peu convenable. C’est bien là une preuve supplémentaire de ce que les compétences ne sont pas l’essence de ce qui aujourd’hui fait défaut au développement en Afrique.

Concernant les ressources, le constat n’est pas plus reluisant. Plusieurs milliards de dollars sont décaissés chaque année par différents organismes au profit du continent. Pourtant, cette aide n’aura jamais réussi jusqu’ici à enrayer durablement les grands problèmes auxquels nous faisons encore face. En fait, l’aide publique à l’Afrique peut s’assimiler à apprendre à une personne riche et dépensière, la bonne façon de gérer son argent en lui donnant encore plus d’argent. C’est un non sens absolu, mais une représentation pourtant fidèle de l’effet de l’aide internationale en Afrique. Cela explique à mon sens sans doute, ce pourquoi, elle n’a eu aucun effet probant ou durable au cours de ces 6 dernières décennies.

Ces deux éléments prouvent donc bien que ni la compétence, ni les ressources n’expliquent l’absence de développement en Afrique. C’est donc bien la conscience des dirigeants africains qui cristallise tout le mal.

Non, ce n’est pas après la croissance économique que l’Afrique devrait courir…

Des postulats 1, 2, 3 et 4, je déduis donc que : A l’inverse de la vision répandue, le problème du développement en Afrique n’est aucunement une question de moyens financiers ou de compétences. Le continent africain n’est ni pauvre, ni dépourvu d’esprits. C’est plutôt une question de conscience de nos dirigeants et donc d’idéologie. Cela explique que les multiples politiques de relance sur le continent n’aient donné durant toutes ces années aucun résultat probant. Nous avons construit un consensus autour du fait qu’il fallait à des pays littéralement assis sur des mines d’or pour se développer, plus de moyens et plus d’argent. Le défi était de reconstruire le logiciel de pensée de nos dirigeants, et nous y avons répondu par des dons de céréales, d’argent, et de bourses d’études. Voici 60 ans que nous adressons une problématique éminemment qualitative avec une approche résolument quantitative. Il ne fallait donc s’attendre à rien de mieux que le triste spectacle qu’offrent aujourd’hui les pays du continent.

Imaginez que l’Afrique est un groupe de 100 personnes, dont 90 sont affamées en disposant pourtant d’une banque d’or. Que ferez-vous pour que tous mangent à leur faim ? Leur donner plus d’or encore ?

Au regard de ceci, je pense qu’il urge de voir le développement en Afrique sous un paradigme nouveau. Le développement du continent ne passera pas d’abord par la croissance économique, mais par le changement de nos modes de pensée. Il nous faut adopter une philosophie nouvelle, dont la doctrine sera de transformer nos ressources abondantes en richesse partagée au service du plus grand nombre. Sans ce changement, la croissance africaine demeurera faible, instable, et toujours au profit des mêmes individus.

Ainsi, mes réflexions m’ont conduit à l’élaboration de dix piliers autours desquels doit se construire cette nouvelle philosophie. Je vous en ferai part dans un prochain article.

En attendant réfléchissez à ceci. Le Kenya et l’Ethiopie sont deux champions de la croissance mondiale depuis 10 ans, régulièrement au dessus des 8% de hausse annuelle de PIB. Ce sont de formidables exemples de transformation et de croissance économique. Pourtant, en cette année 2017, ces deux pays sont violemment frappés par la famine. Alors à qui la faute ? A l’insuffisance des ressources, ou à la négligence des Hommes ? Alors, vous pensez toujours que c’est de croissance économique que l’Afrique a besoin ? Ou avant tout, de conscience?

--

--

Naofal Ali
naofalnotes

In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.