En Afrique, ce ne sont pas les financements 💾 qui manquent, mais les entreprises finançables đŸ›ïž

Naofal Ali
naofalnotes
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9 min readJun 6, 2018

Article est un peu long, mais qui se lit trùs vite 😉

Ce titre, je le sais, va complĂštement Ă  contrecourant d’une vision largement rĂ©pandue. Celle selon laquelle, en Afrique, ce sont les difficultĂ©s d’accĂšs aux financements qui tuent les entreprises.

“Les banques ne prĂȘtent qu’aux riches. Elles ne font pas confiance aux jeunes. Et si les jeunes entreprises africaines avaient de quoi se financer, nombres d’entre elles rĂ©aliseraient certainement de beaux parcours”
 Vraiment ?

L’accĂšs aux financements est-il plus difficile en Afrique qu’ailleurs ? Oui, certainement. Cela explique-t-il les Ă©checs et les retards de croissance des jeunes entreprises africaines ? Il y a un an, j’aurais certainement rĂ©pondu oui Ă  cette question. Sans hĂ©siter. Depuis, j’ai cofondĂ© un fond d’investissement destinĂ© Ă  financer les PME innovantes sur continent, et ma vision a changĂ©. Je pense dĂ©sormais que les sous-performances de nos jeunes pousses trouvent leurs causes ailleurs


Ashanti Ventures : lĂ  oĂč tout a commencé 

Il y a un an, j’ai cofondĂ© Ashanti Ventures, un fond d’investissement qui accompagne les jeunes entreprises ouest-africaines avec de l’apport en capital et du conseil. ConcrĂštement, notre modĂšle consiste Ă  investir sur cinq ans entre 15 et 35 millions de francs CFA dans les startups que nous accompagnons, soit un ticket annuel moyen entre 3 et 7 millions. Cet apport en capital est complĂ©tĂ© par des facilitĂ©s d’accĂšs au financement bancaire, ainsi qu’un dispositif d’accompagnement en conseil assurĂ© par les 4 associĂ©s-gĂ©rants du fond : un ingĂ©nieur (Vinci), un consultant en stratĂ©gie (Capgemini Consulting), un expert-comptable (Mazars), et un data-scientist (JC Decaux). Nous avions tous en plus de nos expĂ©riences Ă  l’international, une bonne connaissance de nos zones d’investissement : le BĂ©nin, le SĂ©nĂ©gal, et la CĂŽte d’Ivoire.

A cours de cette premiĂšre annĂ©e d’activitĂ©, j’ai beaucoup appris sur la dynamique entrepreneuriale en action sur le continent, et plus prĂ©cisĂ©ment sur sa rĂ©gion Ouest. J’ai pu Ă©changer et observer prĂšs d’une centaine d’entrepreneurs et d’entreprises dans le but d’investir dans leur projet. Au terme de cette premiĂšre annĂ©e, nous avons portant rĂ©alisĂ© ZERO investissement. Pour cause, les entreprises avec lesquelles nous avons Ă©changĂ© n’étaient simplement — comme beaucoup de celles que nous observons — pas Ă©ligibles Ă  nos financements. Voici pourquoi.

Un : Trop d’entrepreneurs veulent « faire comme
 »

La production de tomates, une marque de vĂȘtement, un Ă©levage de volaille, une unitĂ© de production de jus de fruit, un e-commerce gĂ©nĂ©ral, un site d’annonces. VoilĂ  six classiques, visitĂ©s, revisitĂ©s, sur-revisitĂ©s par les entrepreneurs locaux. Les projets de ce type sont incomptables, et ont en plus, le malheur de tous se ressembler. Chez Ashanti, nous ne nous interdisons pas d’investir dans l’agriculture ou la mode, seulement, il faudrait que l’approche proposĂ©e par l’entrepreneur soit originale, diffĂ©renciĂ©e, innovante. MĂȘme si une unitĂ© de production de jus d’ananas installĂ©e Ă  Dakar ou Abidjan est rentable, cela ne suffit pas Ă  en faire pour nous une cible intĂ©ressante. Des entreprises similaires existent par centaines dans la sous-rĂ©gion, et plupart sera morte d’ici deux ans. Nous, nous recherchons des futurs champions. Il faudra donc absolument quelque chose en plus, une Ă©tincelle pour susciter notre prĂ©fĂ©rence, et pour le moment, je l’ai assez rarement vu. Nos entrepreneurs ont besoin de crĂ©er plus, et de moins « faire comme
 ».

Deux : ça grouille de projets compliquĂ©s pour
 rien !

On a des fois l’impression que certains entrepreneurs crĂ©ent une application mobile parce que c’est un outil Ă  la mode. Ils parlent de blockchain parce que le thĂšme est rĂ©current, ou mentionnent l’intelligence artificielle Ă  tout va sans vraiment savoir ce que cela recouvre. C’est tout le dĂ©bat entre la modernitĂ© et le progrĂšs.

Tenez, prenez cette startup qui assemble des drones au Cameroun. C’est une de ces entreprises qui dĂ©veloppent des offres complexes sans rĂ©elle valeur compĂ©titive. OĂč est l’intĂ©rĂȘt de dĂ©velopper des drones au Cameroun alors que dans un pays asiatique l’entreprise aurait accĂšs au meilleur de la technologie, Ă  des ressources humaines de premier choix, et Ă  du capital Ă  moindre coup ? Si tout l’intĂ©rĂȘt ici est d’avoir un engin volant estampillĂ© « Made with love in Douala », cela me paraĂźt bien limitĂ©. Je peine vraiment Ă  voir en quoi le fait que ces drones soient assemblĂ©s au Cameroun, leur accorde une quelconque valeur ajoutĂ©e. Est-ce que c’est moderne ? Oui. Certainement. Est-ce que c’est pertinent ? Utile ? Non, je ne pense pas. Et par ailleurs, il y a probablement un intĂ©rĂȘt plus grand Ă  se positionner sur les usages des drones, plutĂŽt que leur assemblage. Assembler des drones au Cameroun plutĂŽt qu’en Chine dans de meilleures conditions et Ă  des coĂ»ts plus compĂ©titifs, c’est s’imposer difficultĂ©s pour le simple plaisir de le faire. Nos entrepreneurs doivent faire plus dans « l’efficacitĂ© », et moins dans la « tendance ».

Trois : Les entrepreneurs et leurs Ă©quipes viennent de Mars, et leurs projets de Saturne.

Dans une jeune entreprise, les clients, les actifs matĂ©riels, les flux, ou la renommĂ©e sont encore quasi inexistants. Dans ces cas, la seule garantie Ă  laquelle l’investisseur peut s’accrocher, ce sont les connaissances, et le savoir-faire de l’équipe. L’investisseur a besoin de sentir qu’il n’est pas face Ă  des « aventuriers », mais Ă  des fins connaisseurs de leur marchĂ©. Il a besoin de sentir que ceux-ci ont identifiĂ©, bien compris les grands enjeux de leur marchĂ©, et qu’ils sont en mesure d’y rĂ©pondre de la meilleure maniĂšre. Des Ă©lĂ©ments plutĂŽt difficiles Ă  garantir lorsque ni l’entrepreneur, ni son Ă©quipe ne sont experts de leur marchĂ©.

Quand les ingĂ©nieurs agronomes s’improvisent dĂ©veloppeurs d’applications mobiles, que les financiers deviennent designers de mode, et que Ă©tudiants en ressources humaines se lancent dans l’élevage de poulets, tout se complique lorsqu’il n’y a dans leur Ă©quipe aucun expert. Dans la large majoritĂ© de ces hybridations hasardeuses, les entreprises crĂ©Ă©es meurent, rares sont celles qui survivent mais au prix de ne jamais grandir, et les chances qu’elles deviennent des championnes sont quasiment nulles. Nous avons besoin d’entrepreneurs, et d’équipes qui s’investissent des domaines oĂč ils sont experts, oĂč ils peuvent donner aux investisseurs la garantie de leurs connaissances, de leurs compĂ©tences, et leur capacitĂ© Ă  dĂ©livrer les objectifs. Sans cela, aucun investisseur ne risquera ses fonds dans un projet.

Quatre : Tout ça manque sacrément de rigueur !

Ces douze derniers mois, on a eu droit Ă  tout ! Vraiment. Des messages sans rĂ©ponse, des appels sans retours, des premiers rendez-vous manquĂ©s sans raison, des deuxiĂšmes rendez-vous manquĂ©s sans raison, des troisiĂšmes, et mĂȘme des quatriĂšmes ! Des dossiers de candidatures truffĂ©s de fautes d’orthographe, une paresse phĂ©nomĂ©nale Ă  la rĂ©daction et Ă  la lecture de quoi que ce soit, une incomprĂ©hension totale de concepts pourtant essentiels Ă  toute entreprise : le point mort, la diffĂ©rence entre un chiffre d’affaires et une trĂ©sorerie, ce que c’est qu’une marge brute, une marge nette, ou le besoin en fond de roulement. Une vraie pagaille.

Dans ces conditions, Ă©videmment, rares sont les jeunes sociĂ©tĂ©s Ă  adopter des rĂšgles de gestion, mĂȘme les plus Ă©lĂ©mentaires : tenir un cahier des comptes oĂč sont consignĂ©es les entrĂ©es, les sorties, les dettes et crĂ©ances, et rĂ©aliser des supports Ă©crits prĂ©sentant l’entreprise, ses ambitions, sa stratĂ©gie, ou tout autre Ă©lĂ©ment clĂ©. Bref, les traces Ă©crites de la gestion de l’activitĂ© sont souvent rares, voire inexistantes, ou inutilisables. Dans ces conditions, dur dur d’investir ! J’ai vu des Ă©piceries de quartier tenues par des personnes non lettrĂ©es, mieux gĂ©rĂ©es que certaines de ces « entreprises ».

Cinq : DĂ©crocher un financement c’est un marathon. Beaucoup n’ont pas la moindre endurance.

Une grande partie des entreprises que nous rencontrons se dĂ©courage Ă  la simple idĂ©e de remplir un dossier de candidature. En fait, elles pensent naĂŻvement que lever de l’argent se fait grĂące Ă  :

- Un coup de fil oĂč l’on prĂ©sente son entreprise,

- Un mail oĂč l’on dit sa motivation,

- Et un SMS pour communiquer ses coordonnées bancaires afin de recevoir les fonds.

Bah dĂ©solé  c’est quand mĂȘme un peu plus challenging que ça tout de mĂȘme ! Ces entrepreneurs que les procĂ©dures et quelques rĂ©dactions dĂ©couragent sont ceux que nous ne recontactons pas. Et dans lesquels nous n’investissons pas. S’ils sont incapables de faire une rĂ©daction correcte pour se prĂ©senter, d’exposer leur projet entrepreneurial sur une page chiffres Ă  l’appui, ou de rĂ©aliser un power point nickel de 5 slides qui expose leur vision Ă  5 ans. Qu’ils passent leur chemin. Nous pensons que ces entrepreneurs-lĂ  ne tiendront pas la distance, car sur leur route se dresseront des dĂ©fis bien plus exigeants que tout ceci. Malheureusement, beaucoup, beaucoup, beaucoup ne l’ont toujours pas compris.

Six : Beaucoup s’emballent pour vraiment peu de choses, et ça n’aide pas !

Nous avons manifestement un problĂšme de mindset. Jusqu’à preuve du contraire, crĂ©er une entreprise n’est pas en soi un exploit, peu importe l’idĂ©e, la vision, ou les projets qui sous-tendent cette crĂ©ation. C’est un geste Ă  la portĂ©e de n’importe quel individu disposant de quelques heures, une piĂšce d’identitĂ©, et quelques milliers de francs CFA. Porter cette entreprise au succĂšs, voilĂ  l’exploit. Mais si on continue de cĂ©lĂ©brer les entrepreneurs sur internet, de les louer juste parce qu’ils ont crĂ©Ă© des entreprises dont tout le monde ignore tout des performances, on fabriquera une gĂ©nĂ©ration d’entrepreneurs « Facebook ». Des « entrepreneurs » du verbe, qui parlent, donnent des pseudo-interviews, chassent les projecteurs, conseillent la jeunesse, mais qui jamais n’abordent des sujets de fond : leur activitĂ©, leurs rĂ©sultats, leurs challenges, et leurs perspectives. Tout ce qui devrait pourtant reprĂ©senter le corps de la parole d’un chef d’entreprise, comme l’illustre si bien le discours de RĂ©gis Ezin sur sa marque de snacks Dayelian. Le problĂšme aujourd’hui c’est que nos capitales regorgent de ces profils « Facebook », et cela complique profondĂ©ment la mission des investisseurs.

Sept : Beaucoup ne sont pas suffisamment curieux !

Le monde est vaste ! Il appartient Ă  ceux qui ont soif de l’apprendre, de le connaĂźtre, de le comprendre. Il y a deux choses que j’ai souvent vu, et que je ne comprendrais dĂ©cidĂ©ment jamais.

Un entrepreneur qui ne suit pas les infos : on ne leur demande pas d’aimer ça bon sang ! On leur demande de le faire. Quand on monte une boĂźte dans un pays, c’est quand mĂȘme utile de savoir « un peu » ce qui s’y passe non ? Et vu que nous vivons une Ăšre de mondialisation, c’est peut-ĂȘtre aussi important de savoir ce qui se passe dans d’autres grandes rĂ©gions du monde non ? Genre les US, la Chine, la France, les Ă©mergeants
 Il me paraĂźt Ă©vident que oui. Il y a au moins quatre Ă©lĂ©ments que ça peut expliquer : les cours des matiĂšres premiĂšres, les variations des taux de change, la dynamique technologique, et les perspectives sur leurs marchĂ©s. Et pour une entreprise, ces points ne sont quand mĂȘme pas des dĂ©tails. Non ?!

Un entrepreneur qui n’en apprend pas tous les jours sur son secteur : Si vous montez une boĂźte dans la mode et que vous ignorez, ou ne connaissez que LVMH, Kering, ou Inditex de nom, IL Y A UN PROBLEME. Idem si vous ne pouvez pas rĂ©pondre Ă  des questions du type qu’est-ce qui fait la force de frappe de Zara ? C’est aussi ça le job de l’entrepreneur. DĂ©velopper une expertise fine de son industrie. C’est le ciment de la vision de l’entrepreneur, et on en manque souvent.

En définitive


Pour sĂ»r, nos jeunes entreprises ont besoin de lever des financements pour leur croissance, et relever les dĂ©fis de leurs temps. Mais pour y arriver, elles doivent d’abord se rendre Ă©ligibles Ă  l’obtention de ces fonds. Pour attirer les capitaux dont elles ont besoin, il leur sera impĂ©ratif de prĂ©senter des projets originaux Ă  fort potentiel, portĂ©es les bonnes Ă©quipes, gĂ©rĂ©s avec rigueur et transparence, et le tout dans un Ă©tat d’esprit conquĂ©rant.

MĂȘme si chez Ashanti nous n’avons encore bouclĂ© aucun deal, nous restons convaincus que ces entreprises existent. Nous restons donc Ă  l’écoute de nouvelles opportunitĂ©s. Si votre startup ou une de celles que vous connaissez coche toutes nos cases, au plaisir d’en discuter !

contact@ashantiventures.com.

Mise Ă  jour le 7 juin 2018 (rajout du point 7)

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.