En Afrique, ce ne sont pas les financements đž qui manquent, mais les entreprises finançables đïž
Article est un peu long, mais qui se lit trĂšs vite đ
Ce titre, je le sais, va complĂštement Ă contrecourant dâune vision largement rĂ©pandue. Celle selon laquelle, en Afrique, ce sont les difficultĂ©s dâaccĂšs aux financements qui tuent les entreprises.
âLes banques ne prĂȘtent quâaux riches. Elles ne font pas confiance aux jeunes. Et si les jeunes entreprises africaines avaient de quoi se financer, nombres dâentre elles rĂ©aliseraient certainement de beaux parcoursâ⊠Vraiment ?
LâaccĂšs aux financements est-il plus difficile en Afrique quâailleurs ? Oui, certainement. Cela explique-t-il les Ă©checs et les retards de croissance des jeunes entreprises africaines ? Il y a un an, jâaurais certainement rĂ©pondu oui Ă cette question. Sans hĂ©siter. Depuis, jâai cofondĂ© un fond dâinvestissement destinĂ© Ă financer les PME innovantes sur continent, et ma vision a changĂ©. Je pense dĂ©sormais que les sous-performances de nos jeunes pousses trouvent leurs causes ailleursâŠ
Ashanti Ventures : lĂ oĂč tout a commencĂ©âŠ
Il y a un an, jâai cofondĂ© Ashanti Ventures, un fond dâinvestissement qui accompagne les jeunes entreprises ouest-africaines avec de lâapport en capital et du conseil. ConcrĂštement, notre modĂšle consiste Ă investir sur cinq ans entre 15 et 35 millions de francs CFA dans les startups que nous accompagnons, soit un ticket annuel moyen entre 3 et 7 millions. Cet apport en capital est complĂ©tĂ© par des facilitĂ©s dâaccĂšs au financement bancaire, ainsi quâun dispositif dâaccompagnement en conseil assurĂ© par les 4 associĂ©s-gĂ©rants du fond : un ingĂ©nieur (Vinci), un consultant en stratĂ©gie (Capgemini Consulting), un expert-comptable (Mazars), et un data-scientist (JC Decaux). Nous avions tous en plus de nos expĂ©riences Ă lâinternational, une bonne connaissance de nos zones dâinvestissement : le BĂ©nin, le SĂ©nĂ©gal, et la CĂŽte dâIvoire.
A cours de cette premiĂšre annĂ©e dâactivitĂ©, jâai beaucoup appris sur la dynamique entrepreneuriale en action sur le continent, et plus prĂ©cisĂ©ment sur sa rĂ©gion Ouest. Jâai pu Ă©changer et observer prĂšs dâune centaine dâentrepreneurs et dâentreprises dans le but dâinvestir dans leur projet. Au terme de cette premiĂšre annĂ©e, nous avons portant rĂ©alisĂ© ZERO investissement. Pour cause, les entreprises avec lesquelles nous avons Ă©changĂ© nâĂ©taient simplement â comme beaucoup de celles que nous observons â pas Ă©ligibles Ă nos financements. Voici pourquoi.
Un : Trop dâentrepreneurs veulent « faire comme⊠»
La production de tomates, une marque de vĂȘtement, un Ă©levage de volaille, une unitĂ© de production de jus de fruit, un e-commerce gĂ©nĂ©ral, un site dâannonces. VoilĂ six classiques, visitĂ©s, revisitĂ©s, sur-revisitĂ©s par les entrepreneurs locaux. Les projets de ce type sont incomptables, et ont en plus, le malheur de tous se ressembler. Chez Ashanti, nous ne nous interdisons pas dâinvestir dans lâagriculture ou la mode, seulement, il faudrait que lâapproche proposĂ©e par lâentrepreneur soit originale, diffĂ©renciĂ©e, innovante. MĂȘme si une unitĂ© de production de jus dâananas installĂ©e Ă Dakar ou Abidjan est rentable, cela ne suffit pas Ă en faire pour nous une cible intĂ©ressante. Des entreprises similaires existent par centaines dans la sous-rĂ©gion, et plupart sera morte dâici deux ans. Nous, nous recherchons des futurs champions. Il faudra donc absolument quelque chose en plus, une Ă©tincelle pour susciter notre prĂ©fĂ©rence, et pour le moment, je lâai assez rarement vu. Nos entrepreneurs ont besoin de crĂ©er plus, et de moins « faire comme⊠».
Deux : ça grouille de projets compliqués pour⊠rien !
On a des fois lâimpression que certains entrepreneurs crĂ©ent une application mobile parce que câest un outil Ă la mode. Ils parlent de blockchain parce que le thĂšme est rĂ©current, ou mentionnent lâintelligence artificielle Ă tout va sans vraiment savoir ce que cela recouvre. Câest tout le dĂ©bat entre la modernitĂ© et le progrĂšs.
Tenez, prenez cette startup qui assemble des drones au Cameroun. Câest une de ces entreprises qui dĂ©veloppent des offres complexes sans rĂ©elle valeur compĂ©titive. OĂč est lâintĂ©rĂȘt de dĂ©velopper des drones au Cameroun alors que dans un pays asiatique lâentreprise aurait accĂšs au meilleur de la technologie, Ă des ressources humaines de premier choix, et Ă du capital Ă moindre coup ? Si tout lâintĂ©rĂȘt ici est dâavoir un engin volant estampillĂ© « Made with love in Douala », cela me paraĂźt bien limitĂ©. Je peine vraiment Ă voir en quoi le fait que ces drones soient assemblĂ©s au Cameroun, leur accorde une quelconque valeur ajoutĂ©e. Est-ce que câest moderne ? Oui. Certainement. Est-ce que câest pertinent ? Utile ? Non, je ne pense pas. Et par ailleurs, il y a probablement un intĂ©rĂȘt plus grand Ă se positionner sur les usages des drones, plutĂŽt que leur assemblage. Assembler des drones au Cameroun plutĂŽt quâen Chine dans de meilleures conditions et Ă des coĂ»ts plus compĂ©titifs, câest sâimposer difficultĂ©s pour le simple plaisir de le faire. Nos entrepreneurs doivent faire plus dans « lâefficacitĂ© », et moins dans la « tendance ».
Trois : Les entrepreneurs et leurs Ă©quipes viennent de Mars, et leurs projets de Saturne.
Dans une jeune entreprise, les clients, les actifs matĂ©riels, les flux, ou la renommĂ©e sont encore quasi inexistants. Dans ces cas, la seule garantie Ă laquelle lâinvestisseur peut sâaccrocher, ce sont les connaissances, et le savoir-faire de lâĂ©quipe. Lâinvestisseur a besoin de sentir quâil nâest pas face Ă des « aventuriers », mais Ă des fins connaisseurs de leur marchĂ©. Il a besoin de sentir que ceux-ci ont identifiĂ©, bien compris les grands enjeux de leur marchĂ©, et quâils sont en mesure dây rĂ©pondre de la meilleure maniĂšre. Des Ă©lĂ©ments plutĂŽt difficiles Ă garantir lorsque ni lâentrepreneur, ni son Ă©quipe ne sont experts de leur marchĂ©.
Quand les ingĂ©nieurs agronomes sâimprovisent dĂ©veloppeurs dâapplications mobiles, que les financiers deviennent designers de mode, et que Ă©tudiants en ressources humaines se lancent dans lâĂ©levage de poulets, tout se complique lorsquâil nây a dans leur Ă©quipe aucun expert. Dans la large majoritĂ© de ces hybridations hasardeuses, les entreprises crĂ©Ă©es meurent, rares sont celles qui survivent mais au prix de ne jamais grandir, et les chances quâelles deviennent des championnes sont quasiment nulles. Nous avons besoin dâentrepreneurs, et dâĂ©quipes qui sâinvestissent des domaines oĂč ils sont experts, oĂč ils peuvent donner aux investisseurs la garantie de leurs connaissances, de leurs compĂ©tences, et leur capacitĂ© Ă dĂ©livrer les objectifs. Sans cela, aucun investisseur ne risquera ses fonds dans un projet.
Quatre : Tout ça manque sacrément de rigueur !
Ces douze derniers mois, on a eu droit Ă tout ! Vraiment. Des messages sans rĂ©ponse, des appels sans retours, des premiers rendez-vous manquĂ©s sans raison, des deuxiĂšmes rendez-vous manquĂ©s sans raison, des troisiĂšmes, et mĂȘme des quatriĂšmes ! Des dossiers de candidatures truffĂ©s de fautes dâorthographe, une paresse phĂ©nomĂ©nale Ă la rĂ©daction et Ă la lecture de quoi que ce soit, une incomprĂ©hension totale de concepts pourtant essentiels Ă toute entreprise : le point mort, la diffĂ©rence entre un chiffre dâaffaires et une trĂ©sorerie, ce que câest quâune marge brute, une marge nette, ou le besoin en fond de roulement. Une vraie pagaille.
Dans ces conditions, Ă©videmment, rares sont les jeunes sociĂ©tĂ©s Ă adopter des rĂšgles de gestion, mĂȘme les plus Ă©lĂ©mentaires : tenir un cahier des comptes oĂč sont consignĂ©es les entrĂ©es, les sorties, les dettes et crĂ©ances, et rĂ©aliser des supports Ă©crits prĂ©sentant lâentreprise, ses ambitions, sa stratĂ©gie, ou tout autre Ă©lĂ©ment clĂ©. Bref, les traces Ă©crites de la gestion de lâactivitĂ© sont souvent rares, voire inexistantes, ou inutilisables. Dans ces conditions, dur dur dâinvestir ! Jâai vu des Ă©piceries de quartier tenues par des personnes non lettrĂ©es, mieux gĂ©rĂ©es que certaines de ces « entreprises ».
Cinq : DĂ©crocher un financement câest un marathon. Beaucoup nâont pas la moindre endurance.
Une grande partie des entreprises que nous rencontrons se dĂ©courage Ă la simple idĂ©e de remplir un dossier de candidature. En fait, elles pensent naĂŻvement que lever de lâargent se fait grĂące Ă :
- Un coup de fil oĂč lâon prĂ©sente son entreprise,
- Un mail oĂč lâon dit sa motivation,
- Et un SMS pour communiquer ses coordonnées bancaires afin de recevoir les fonds.
Bah dĂ©solé⊠câest quand mĂȘme un peu plus challenging que ça tout de mĂȘme ! Ces entrepreneurs que les procĂ©dures et quelques rĂ©dactions dĂ©couragent sont ceux que nous ne recontactons pas. Et dans lesquels nous nâinvestissons pas. Sâils sont incapables de faire une rĂ©daction correcte pour se prĂ©senter, dâexposer leur projet entrepreneurial sur une page chiffres Ă lâappui, ou de rĂ©aliser un power point nickel de 5 slides qui expose leur vision Ă 5 ans. Quâils passent leur chemin. Nous pensons que ces entrepreneurs-lĂ ne tiendront pas la distance, car sur leur route se dresseront des dĂ©fis bien plus exigeants que tout ceci. Malheureusement, beaucoup, beaucoup, beaucoup ne lâont toujours pas compris.
Six : Beaucoup sâemballent pour vraiment peu de choses, et ça nâaide pas !
Nous avons manifestement un problĂšme de mindset. JusquâĂ preuve du contraire, crĂ©er une entreprise nâest pas en soi un exploit, peu importe lâidĂ©e, la vision, ou les projets qui sous-tendent cette crĂ©ation. Câest un geste Ă la portĂ©e de nâimporte quel individu disposant de quelques heures, une piĂšce dâidentitĂ©, et quelques milliers de francs CFA. Porter cette entreprise au succĂšs, voilĂ lâexploit. Mais si on continue de cĂ©lĂ©brer les entrepreneurs sur internet, de les louer juste parce quâils ont crĂ©Ă© des entreprises dont tout le monde ignore tout des performances, on fabriquera une gĂ©nĂ©ration dâentrepreneurs « Facebook ». Des « entrepreneurs » du verbe, qui parlent, donnent des pseudo-interviews, chassent les projecteurs, conseillent la jeunesse, mais qui jamais nâabordent des sujets de fond : leur activitĂ©, leurs rĂ©sultats, leurs challenges, et leurs perspectives. Tout ce qui devrait pourtant reprĂ©senter le corps de la parole dâun chef dâentreprise, comme lâillustre si bien le discours de RĂ©gis Ezin sur sa marque de snacks Dayelian. Le problĂšme aujourdâhui câest que nos capitales regorgent de ces profils « Facebook », et cela complique profondĂ©ment la mission des investisseurs.
Sept : Beaucoup ne sont pas suffisamment curieux !
Le monde est vaste ! Il appartient Ă ceux qui ont soif de lâapprendre, de le connaĂźtre, de le comprendre. Il y a deux choses que jâai souvent vu, et que je ne comprendrais dĂ©cidĂ©ment jamais.
Un entrepreneur qui ne suit pas les infos : on ne leur demande pas dâaimer ça bon sang ! On leur demande de le faire. Quand on monte une boĂźte dans un pays, câest quand mĂȘme utile de savoir « un peu » ce qui sây passe non ? Et vu que nous vivons une Ăšre de mondialisation, câest peut-ĂȘtre aussi important de savoir ce qui se passe dans dâautres grandes rĂ©gions du monde non ? Genre les US, la Chine, la France, les Ă©mergeants⊠Il me paraĂźt Ă©vident que oui. Il y a au moins quatre Ă©lĂ©ments que ça peut expliquer : les cours des matiĂšres premiĂšres, les variations des taux de change, la dynamique technologique, et les perspectives sur leurs marchĂ©s. Et pour une entreprise, ces points ne sont quand mĂȘme pas des dĂ©tails. Non ?!
Un entrepreneur qui nâen apprend pas tous les jours sur son secteur : Si vous montez une boĂźte dans la mode et que vous ignorez, ou ne connaissez que LVMH, Kering, ou Inditex de nom, IL Y A UN PROBLEME. Idem si vous ne pouvez pas rĂ©pondre Ă des questions du type quâest-ce qui fait la force de frappe de Zara ? Câest aussi ça le job de lâentrepreneur. DĂ©velopper une expertise fine de son industrie. Câest le ciment de la vision de lâentrepreneur, et on en manque souvent.
En dĂ©finitiveâŠ
Pour sĂ»r, nos jeunes entreprises ont besoin de lever des financements pour leur croissance, et relever les dĂ©fis de leurs temps. Mais pour y arriver, elles doivent dâabord se rendre Ă©ligibles Ă lâobtention de ces fonds. Pour attirer les capitaux dont elles ont besoin, il leur sera impĂ©ratif de prĂ©senter des projets originaux Ă fort potentiel, portĂ©es les bonnes Ă©quipes, gĂ©rĂ©s avec rigueur et transparence, et le tout dans un Ă©tat dâesprit conquĂ©rant.
MĂȘme si chez Ashanti nous nâavons encore bouclĂ© aucun deal, nous restons convaincus que ces entreprises existent. Nous restons donc Ă lâĂ©coute de nouvelles opportunitĂ©s. Si votre startup ou une de celles que vous connaissez coche toutes nos cases, au plaisir dâen discuter !
contact@ashantiventures.com.
Mise Ă jour le 7 juin 2018 (rajout du point 7)