Et si depuis 60 ans, on se trompait sur les causes du sous-développement en Afrique ?

Revue critique de 5 théories majeures.

Naofal Ali
naofalnotes
17 min readOct 6, 2018

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A quoi les pays africains doivent-ils leurs maux ? Voilà une bien grande question. Aussi simple à poser, qu’il est compliqué d’y répondre. Question à laquelle, le monde s’est attelé à répondre, tantôt par la voix des occidentaux, tantôt par celles des organisations internationales. Tantôt par la voix des orientaux avec la Chine, qui ces dernières années fait la pluie et le beau temps sur le continent, ou plus rarement encore, ce qui est grave, par la voix des africains eux-mêmes. A notre mesure, c’est pourtant bien cela que nous ferons aujourd’hui. Faire entendre un point de vu africain sur la racine des maux qui minent le développement des pays de ce continent.

L’histoire de l’Afrique n’a pas commencé dans les années 60. Cheikh Anta Diop l’a établi de la plus belle des manières. D’abord, en démontant l’hypothèse de l’origine polycentrique de l’Homme. En 1974, il a brillamment exposé lors de la conférence du Caire que c’est bien en Afrique, et uniquement là, que sous la latitude du Kenya, l’espèce humaine est apparue. Il a également démontré avec un travail scientifique remarquable que l’Afrique été un haut-lieu de culture, de civilisation, et de savoirs dans les champs de l’écriture, des mathématiques, ou encore des sciences du vivant. Tout en reconnaissant donc que l’histoire de ce continent est multi millénaire, et sans aucune volonté de la résumer à sa part contemporaine, la lecture de ces 70 dernières années me semble amplement suffisante à expliquer en très majeure partie les maux actuels de nos pays.

Plusieurs théories ont été développées au fil des années en réponse à notre question de départ. Je propose dans cet article de discuter celles qui me semblent majeures. Cinq théories qui se détachent des autres de par l’échos populaire qu’elles rencontrent ou la pertinence de l’analyse qui les sous-tend. Ainsi, nous aborderons :

· La thèse historique, qui pour avoir vidé le continent de ses bras valides, fait porter à l’esclavage la responsabilité des retards du continent

· La thèse pré-moderne, qui impute au découpage territorial sauvage et arbitraire de l’Afrique intervenue suite à la conférence de Berlin en 1884, l’instabilité de nombreux pays africains aujourd’hui encore

· La thèse moderne qui accuse la mainmise continue des anciennes puissances coloniales — et particulièrement de la France — sur nos pays, entravant ainsi tout progrès

· La thèse post-moderne, qui fait porter la responsabilité des problèmes africains à sa mauvaise gouvernance chronique des états

· La thèse institutionnelle, développée par Acemoglu & Robison (2012), qui fait porter au manque d’institutions “démocratiques” les maux de nos pays

· La thèse socio-économique, celle de la dépendance maladive de l’aide au développement, qui, en plus de ne pas oeuvrer au développement de nos pays, l’inhibe (Dambissa Moyo ; 2009)

Il existe bien une sixième thèse, qui a elle aussi malheureusement, un certain échos populaire. C’est la thèse anthropologique qui impute les retards du continent à la non prédisposition de la “race” noire au progrès. L’absurdité scientifique et l’obscurantisme dont elle relève nous suffira à l’ignorer.

Ce que cet article entend faire, c’est démontrer qu’aucune de ces thèses ne réussit véritablement à expliquer les maux du continent. Certaines par pur défaut logique comme nous le verrons, et d’autres parce qu’elles prétendent expliquer les causes d’un phénomène dont elles n’abordent en définitive que les conséquences.

La thèse historique : l’esclavage aurait-il condamné les pays africains à leur situation actuelle ?

Il est une évidence que la traite négrière a privé plusieurs siècles durant, les royaumes africains de bras qui auraient pu les élever. Mais penser que cela explique aujourd’hui encore le retard des pays africains modernes me semble être une erreur. En effet, affirmer cela supposerait deux visions dont aucune n’est, et ne pourra jamais être prouvée. Premièrement, l’idée selon laquelle si ces Hommes n’avaient pas été déportés, ils auraient bâti de grands royaumes, et deuxièmement la pensée implicite selon laquelle la gloire de ces royaumes auraient d’une manière ou d’une autre résisté aux épreuves du temps.

« Si ces hommes et femmes déportés étaient restés sur le continent, les royaumes d’alors auraient effectués de plus grands progrès ». Cette vision établit en effet, une relation de conséquence non seulement arbitraire, mais fausse entre la démographie et la production des richesses. Cela reviendrait à dire que plus un pays est peuplé, plus grandes sont ses chances de devenir un pays riche. Les comparaisons entre le Nigéria et la France, de l’Egypte et la Suède, des Etats-Unis et l’Inde suffisent amplement à faire voler cette pensée en éclat. Rien ne garantit que si ces hommes et femmes n’avaient pas été déportés, le destin des royaumes africains auraient été meilleur.

« Si des progrès avaient été réalisés à cette époque par les hommes et femmes non déportés, l’avance potentielle qu’auraient eu les royaumes aurait été maintenue aujourd’hui encore ». Au grand dam de ceux qui pensent ainsi, l’on ne saura jamais si cette vision est vraie. Elle relève une fois de plus, purement et simplement de l’arbitraire. Ce que l’on sait par contre, c’est que le passé d’une civilisation ne suffit en rien à en prédire le futur. Malgré que l’Egypte fut l’une des civilisations les plus brillantes du monde, et sans vouloir lui manquer de respect, elle n’est à ce jour pas une puissance économique, militaire, ou géopolitique. A l’inverse, la première puissance mondiale que sont les USA n’a aucun passé civilisationnel au sens où on pourrait l’entendre pour des pays comme la France, le Royaume-Uni ou l’Espagne. Ceci induit que, quand bien même l’absence de l’esclavage aurait permis aux royaumes africains d’enregistrer des progrès colossaux, rien ne donne à croire que cette grandeur n’aurait pas été dissoute à travers le temps. De l’Empire Ottoman autrefois toute puissante, le monde contemporain n’a hérité que de la Turquie, modeste état au regard du faste de son passé. Les civilisations se font et se défont donc, et c’est là, l’ordre inaliénable et imperturbable des choses.

Fort de tout ce qui précède, il me semble donc fortement inapproprié de voir en l’esclavage la raison du retard actuel des pays africains. Ce chapitre de l’histoire est en tout point détestable, mais n’est pas en soi la racine de nos maux actuels. Plus encore, je soupçonne cet argument d’être brandi à tout va dans l’intention de nourrir une mémoire douloureuse, d’attiser la haine, et refaire le match de l’histoire, blancs contre noirs. Bref, nous enfermer dans le passé dans un moment où plus que jamais, nos regards devraient fermement se tourner vers l’avenir et les brillantes promesses qu’il porte.

La thèse prémoderne : ce sont les européens qui ont tracé les frontières africaines. Est-ce pour cela que les pays du continent vont si mal ?

Cette théorie se fonde sur l’idée en somme, que nos pays ne se sont pas eux-mêmes constitués comme tels, mais ont procédé du découpage fait de l’Afrique par les occidentaux à la Conférence de Berlin (1884–1885). De fait, en Afrique, ce ne sont donc pas les Etats qui ont défini leurs frontières, mais l’inverse. En effet, encore 87% des frontières terrestres actuelles sur le continent sont directement issues du découpage colonial (M. Fourcher, 1994, p.167). Le fond de la théorie, est ici que ce partage du continent n’a tenu en rien compte des organisations ethnico-étatiques, pourtant préexistantes sur ces terres depuis Ve siècle. Les peuples rassemblés au sein des états africains modernes seraient donc si différents que cela a nourri les nombreuses guerres civiles, et conflits qu’ont connu les pays du continent, freinant ainsi tout développement.

« C’est indirectement un problème de frontière qui a causé, en Côte-d’Ivoire, depuis 1999, une grave crise politique intérieure marquée par un coup d’Etat, plusieurs tentatives avortées de renversement du pouvoir en place, et surtout une tension xénophobe dont ce pays ne semblait pourtant pas traditionnellement porteur » C.Bouquet, 2002.

Mais cette théorie est-elle bien fondée ? Trois éléments indiquent le contraire.

Premièrement, la théorie suppose que les différences entre les populations suffisent à elles-seules justifier les conflits. Pensée face à laquelle l’on peut que s’inscrire en faux. Car si partout où des populations hétérogènes ont été rassemblées au sein d’un même pays des conflits avaient éclaté, le monde se livrerait une interminable guerre. Et ce n’est pas le cas. Pour qu’il y ait confit, il ne suffit pas qu’il y ait des peuples que l’histoire a fait distincts l’un de l’autre par les cultures, les traditions, ou les langues. Non. Ce qui fait une guerre, c’est la volonté de certains hommes de combattre et d’en dominer d’autres, de les traiter en ennemi. Même si cette volonté peut avoir des racines ethniques, elle s’est au cours de l’histoire, bien souvent affranchie de toute question de ce genre, pour ne puiser ses sources que dans l’idéologie comme pour la guerre froide ou le conflit israélo-palestinien, dans l’accès aux ressources comme pour le conflit indo-pakistanais ou le Darfour, ou dans la pure vengeance comme dans le cadre de la campagne américaine en Irak suite aux attentats du 11 septembre 2001. Ce n’est donc pas la diversité ethnique qui justifie à elle seule l’éclatement des conflits sur le continent, mais bien la volonté de traiter l’autre en ennemi, les différences n’étant qu’un prétexte à cela.

Deuxièmement, j’aimerais partager l’idée que non seulement la pluralité ethnique ne suffit pas à justifier les conflits, mais plus encore, elle représente le fondement de tous les grands pays. Dans une conférence donnée à la Sorbonne en mars 1882, Ernest Renan, historien et philosophe français discourait en ces quelques passages « les plus nobles pays que sont l’Angleterre, la France, l’Italie sont ceux où le sang est le plus mêlé », « L’Allemagne est-elle un pays germanique pur ? Quelle illusion ! Tout le Sud a été gaulois, tout l’Est à partir l’Elbe est slave. », « Le français n’est ni un Gaulois, ni un Franc, ni Burgonde. Il est ce qui est sorti de la grande chaudière où, sous la présidence du roi de France, ont fermenté ensemble les éléments les plus divers ». Entendez par là que les pays n’existent pas malgré la différence des populations qui les constituent, mais grâce à celle-ci. Dans l’histoire du monde, les grands pays se sont toujours construits de la sorte, et les Etats-Unis en sont l’exemple le plus édifiant. La diversité existe partout, et les peuples décident délibérément de s’en accommoder, de s’en orgueuillir, ou de la combattre. En soi, elle ne constitue aucunement un problème. C’est la conception que l’on choisit librement d’en avoir qui peut l’être.

Troisièmement, on pourrait toujours m’objecter qu’à la différence des pays occidentaux, les frontières africaines n’ont pas été désirées par les populations qui vivaient en leur sein, d’où la persistance des conflits. Ce serait pour le moins une idée inexacte.

D’abord, parce qu’en Europe, à part celles constitutives de la Hollande, aucune région n’a vraiment eu le choix de rejoindre un pays ou un autre, aucun groupe ethnique non plus. Historiquement, les frontières se sont établies au fil des guerres, des changements géographiques, des traités, et des velléités de conquête des souverains, plus que du fait de la volonté des peuples. La Franche-Comté n’a à aucun moment « choisi » de se retrouver dans la France actuelle. Calais, longtemps fût française, anglaise, puis française à nouveau, et l’alsace et la lorraine furent un temps toutes deux allemandes. La volonté des Ashanti, et des Mandingue n’a pas plus façonné le Ghana et le Sénégal d’aujourd’hui, que celle des Gaulois et les Celtes n’a façonné la France et l’Allemagne. Cela relativise l’idée que les frontières d’un pays peuvent être le pur fait des habitants de même ce pays. De plus, quand bien même les frontières européennes n’ont pas été expressément tracées pour elles par d’autres pays, ont-elles garanti la paix en Europe ? Non. Ce continent a été au contraire dévasté par les deux guerres les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité, et ceci, en l’espace d’un demi-siècle. Une réalité historique qui à mon sens achève de déconstruire ce rapport longtemps établi entre le tracé sauvage de nos frontières et la situation sociale de nos pays.

Au vu des trois arguments qui précèdent, on peut établir que le tracé arbitraire des frontières africaines ne peut suffire à expliquer les multiples conflits qu’a connu le continent postindépendances, ainsi que ses problèmes actuels. Ce qui explique nos maux, c’est l’envie — dont l’origine reste à élucider — de certains peuples africains de voir en d’autres peuples frères des adversaires.

La thèse moderne : les colons d’hier sont toujours à la manœuvre. Est-ce le néocolonialisme qui explique les problèmes actuels du continent ?

De toutes, cette thèse est très certainement celle qui connaît le plus grand succès dans l’opinion. Ceci, pour quatre raisons. D’abord parce qu’elle n’est pas totalement fantasmatique. Elle se base sur des faits et une réalité historique indéniable, qui consacre le rôle qu’a joué la France dans l’histoire postindépendance de plusieurs pays africains francophones. Ces derniers ont subi, et pour certains subissent encore une ingérence plus ou moins déguisée, à des niveaux variables, dans leurs affaires internes autant politiques, économiques, que sociales. Le succès de cette thèse tient ensuite au fait qu’elle se prête bien à tout type d’exagération et de contre-vérités populaires. Elle porte l’idée là encore pas toujours fausse, mais souvent exacerbée, qu’il y aurait une grande main invisible qui dans l’ombre contrôlerait tous nos destins ; une vision — il ne faut pas avoir peur des mots — conspirationniste. Troisièmement, le succès de ce courant tient au fait qu’ayant un passif têtu de manipulateur et d’exploitant dans leur relation aux pays africains, les anciennes colonies font office de « coupables naturels ». L’histoire fait d’eux des responsables idéaux de nos maux, sans autre forme de procès que la douleur du souvenir historique. Enfin, cette vision doit sa popularité à un réflexe primaire de l’espèce humaine. Celui de chercher systématiquement en l’autre plutôt qu’en lui-même la cause de ses problèmes. Mais si « l’enfer, c’est les autres » comme disait Sartre, sommes-nous pour autant le paradis ?

Quatre éléments discréditent fortement cette thèse. Premièrement, je convoque le fait qu’il ne soit établi aucun rapport entre l’ingérence française et le retard de développement des pays qui l’ont subi. C’est même son contraire qui tend à l’être. Les pays d’Afrique où l’influence française a été la plus grande sont aujourd’hui ceux les plus avancés de toute l’Afrique francophone. Ainsi, en 2016, le PIB/habitant de la Côte-d’Ivoire que l’on sait être un terrain particulièrement fertile à la présence française était 3690 dollars US, contre pratiquement le quart, 968 dollars au Niger, où l’influence française est à priori moins forte, au-delà des enjeux sur l’uranium. Et cette comparaison est réalisable avec les même résultats entre le Sénégal où la France a une base militaire et le Bénin.

Deuxièmement, la thèse néocolonialiste est fondée sur l’idée que le rapport aujourd’hui entretenu par certains états africains vis à vis de la France est subi. Ce par rapport à quoi je m’inscris en faux. Pendant que certains pays comme l’Algérie se sont employés à acquérir une indépendance réelle, d’autres comme le Burkina-Faso de Compaoré ont été le théâtre d’une complicité directe des élites africaines afin que le « système » néocolonial s’installe et perdure. L’honnêteté intellectuelle et historique nous empêche d’affirmer que l’ingérence française dans les affaires africaines n’est que subie. Elle a aussi été souhaitée et nourrie par longuement par les dirigeants africains eux-même. Beaucoup de ce qui se sont déguisés en victimes, ont en effet été des bourreaux. Et ce n’est pas Bokassa qui dira le contraire.

Troisièmement, il existe bien sur ce continent, de nombreux pays, un temps colonies de la France qui se sont affranchis de leur anciens geôliers. L’Algérie, le Maroc, le Rwanda pour ne citer qu’eux, sont des exemples à bien des titres aujourd’hui sur le continent. Ils prouvent bien que se libérer est possible pour les peuples qui le veulent, et s’en donne les véritables moyens.

Quatrièmement enfin, même si l’on gage que les anciennes colonies non françaises sur le continent sont plus les avancées, le propos mériterait énormément de nuance. D’abord parce que même en étant plus avancés, ces pays sont loin d’être développés. Il y a encore dans la plupart des grands bassins de pauvreté, et une mauvaise gouvernance qui ne peut en rien se justifier par l’ingérance des anciens colons.

En somme, il y a donc quelque part une volonté dans nos pays, de nos dirigeants à conserver ce statut quo, et ne pas engager les politiques nécessaires dans le but sincère sortir les pays africains de leur situation actuelle. En ce sens, la thèse du néocolonialisme me semble donc incompétente à expliquer les maux actuels des pays du continent africain.

La thèse post-moderne : la mauvaise gouvernance chronique. Serait-elle la cause du mal africain ?

De mon point de vue, la mise en avant de cette explication par autant d’acteurs de haut niveau est assez déconcertante. Pour vous en rendre compte, imaginez un patient qui demande à son médecin pourquoi il a une température corporelle en hausse, et que ce dernier lui réponde que c’est parce qu’il fait une fièvre. Vous conviendrez que la réplique du praticien est pour le moins assez creuse. Elle rapporte une évidence, qui n’explique aucunement la cause du mal, mais au mieux le requalifie. Expliquer les problèmes des pays africains par une mauvaise gestion procède de la même démarche intellectuelle. La mauvaise gouvernance en Afrique n’est pas la cause des problèmes du continent, elle est le problème du continent. Cette réponse n’explique en rien pourquoi la situation de nos pays est dégradée. Elle ne fait au contraire que constater en des termes différents cette dégradation. Comme pour le malade où il aurait fallu que le docteur donne les causes de la fièvre plutôt que de la nommer, il faut aussi que nous nous attelions à comprendre les mécanismes qui nourrissent la mauvaise gouvernance dans nos pays.

Le drame, ici, est que pour le moment, aucun des acteurs du développement ne semble s’inscrire dans cette dynamique. Et les conséquences en sont graves. Plutôt que de considérer les motivations de nos gouvernements dans les mauvais choix réalisés comme étant le problème, les différents acteurs du développement continuent de considérer que ce sont les mauvais choix de gouvernance qui constituent le problème. Ainsi, les réponses apportées ont consisté en la mise à disposition d’outils permettant à nos dirigeants de prendre de meilleures décisions de gestion. Seulement, vu que leurs motivations sont restées identiques et mal orientées, l’ensemble des outils déployés par les partenaires au développement n’a servi qu’à renforcer cette prise de mauvaises décisions. C’est ce qui explique en partie que plutôt que d’alimenter les programmes de lutte contre la pauvreté auxquels elle est destinée, l’aide internationale serve à alimenter, renforcer la corruption et les détournements au sein les pays pauvres.

En ce sens, nous établissons que la mauvaise gouvernance n’est pas la cause du mal des pays du continent. Elle est ce mal. Elle n’est-elle même que la conséquence d’un phénomène qui jusque-là reste à identifier. Le mal africain, est la source de motivation derrière les mauvais actes de gouvernance consciemment posés par nos élites, et qui traduisent l’absence total d’un souci de l’intérêt général.

La thèse institutionnelle : les pays africains et l’UA, manquent d’institutions véritablement démocratiques. Est-ce là la cause des maux ?

Le 11 juillet 2009, Barack Obama, alors président des USA déclarait dans son discours d’Accra : « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ». C’est une vision qui s’inscrit dans le courant institutionnaliste de la pensée sur le développement. Une lecture qui consacre la présence d’institutions fortes et de qualité comme le déterminant de tout développement dans un pays, et leur absence comme cause de la pauvreté. Daron Acemoglu dans un ouvrage intitulé « Why Nations Fails. The origins of power, prosperity and poverty », développe la thèse selon laquelle la pauvreté d’un pays est la résultante de l’absence d’institutions capables de garantir des fondamentaux démocratiques que sont la liberté des individus sur les plans social et politique, le respect et la protection de la propriété privée, ainsi que le respect et l’application impartiale des lois. C’est ici aussi une vision qui me paraît limitée pour expliquer les maux du continent.

Cet argumentaire est implicitement sous tendue par l’idée selon laquelle la liberté, la démocratie, ou la propriété privée seraient des concepts universels de sens, or, il n’en est rien. Prenons le cas de la démocratie. Qu’est-ce qui est démocratique ? Et qu’est-ce qui ne l’est pas ? La France l’est-elle lorsque le président de la République peut gouverner par ordonnance ? Les USA le sont-ils lorsque le vote des grands électeurs prime sur celui de la majorité des citoyens ? Qu’est-ce que la liberté ? Un principe qui doit être limité comme en France où l’apologie du nazisme est condamnée, ou un droit libertaire comme aux Etats-Unis où l’apologie du nazisme est parfaitement légale ? Comme l’illustrent ces interrogations, je pense qu’il n’est pas un principe absolu ou universel qui consacre ce qui est fondamentalement démocratique, ou pas. La démocratie ou la liberté d’expression sont au fond et sans forcément le paraître, des notions profondément subjectives. Il revient selon moi à chaque pays, non pas de créer des institutions « démocratiques absolues » au vu de la subjectivité même de ce concept, mais des institutions capables de définir dans l’intérêt général et le consensus républicain qui leur est propre, les droits et devoirs des citoyens, tout en garantissant leur respect, même au prix de la démocratie « à l’occidentale » si cela est nécessaire. Je réfute l’existence pour un pays d’un idéal absolu vers lequel il faille tendre pour se développer, indépendamment de son histoire, de sa culture, ou de ses aspirations. J’en prends pour exemple la Chine qui aujourd’hui encore d’après l’index de Transparency International reste deux fois plus corrompu que les USA, avec un parti unique, et un rang de deuxième puissance économique mondiale. Par ailleurs, qu’il vous souvienne que le Maroc qui est pourtant une monarchie, est un des seuls pays arabes d’Afrique du Nord à ne pas avoir été déstabilisé par le printemps arabe. Sur ces deux exemples, comme il en existe tant d’autres, la pensée institutionnaliste sur le développement se heurte ainsi à des limites fortes. Limites qui à mon sens la rende impertinente à expliquer le sujet ici débatu.

La thèse socio-économique : Et si l’Afrique allait mal parce qu’elle était trop aidée ?

Dans un formidable ouvrage intitulé Dead Aid, Dambisa Moyo, économiste zambienne aux parcours académique (Harvard et Oxford), et professionnel (Banque Mondiale, Goldman Sachs) brillants, nous propose un regard lumineux sur l’aide étrangère en Afrique. Elle explique que non seulement cet apport extérieur ne nous fait guerre avancer, mais pire, nourrit l’irresponsabilité de nos dirigeants. En effet, dans les pays où l’essentiel des ressources proviennent de l’extérieur, et ne sont pas générées par l’activité interne du pays et les prélèvements fiscaux, le contrat social se romp entre les dirigeants et la population. Les premiers, plutôt que d’être redevables de comptes aux populations, le sont plutôt aux contributeurs extérieurs de leur budget. Il en résulte un manque total de leadership de nos dirigeants au plan international, une négligence forte des préoccupations des populations, et une irresponsabilité manifeste dans la gestion de la chose publique. Quoique brillante, et pertinente, cette thèse me semble limitée dans sa capacité à expliquer la situation actuelle des pays africains.

En effet à l’image de la théorie post moderne sur la gouvernance, la forte dépendance africaine de l’aide étrangère ne constitue pas en soi la cause de notre sous-développement mais une de ses manifestations. Ceci pour plusieurs raisons. Si l’on fait de cette dépendance la source originelle des problèmes des pays du continent, nous aurions alors le plus grand embarras à expliquer pourquoi de nombreux pays d’Asie du Sud Est, ou d’Amérique latine ayant bénéficié de l’aide internationale dans des proportions comparables aux nôtres se portent aujourd’hui bien mieux que nous. Nous aurions le plus grand mal à expliquer pourquoi cette aide est vécu par certains pays comme une appui au caractère temporaire et par d’autres comme une source de revenue continue. C’est un constat qui une fois de plus interroge la sociologie de nos pays, au-delà même des approches économiques, et de la vision stratégique.

Un essai de synthèse, et d’ouverture…

Il ressort de ces analyses qu’il convient de trouver une nouvelle approche à l’explication de la situation actuelle des pays africains. Loin d’être incompétentes, les théories actuelles quoique qu’intéressantes manquent de traduire de manière rigoureuse et explicite la situation actuelle de nombre de nos Etats. En effet, il nous faudrait un nouveau paradigme qui à l’inverse des thèses historique, prémoderne, et moderne ne souffre d’aucun manque de rigueur logique. Un paradigme aussi qui, à l’inverse des thèses socio-économique et post moderne ne traiterait pas des conséquences d’un phénomène dont les causes sont le réel objet d’étude. De la création de ce nouveau paradigme dépendront la nature des initiatives de développement que nous devrons prendre afin d’enrayer une mécanique improductive qui depuis 60 ans n’a que trop duré.

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.