Et si on se trompait sur la fidélité ?

Enquête sur le plus insaisissable des phénomènes marketing

Naofal Ali
naofalnotes
10 min readMay 30, 2015

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Merci de noter que cette étude porte uniquement sur les environnement business BtoC

Alors que je suivais un exposé sur les stratégies de fidélisation, je me suis rendu compte d’une réalité assez troublante : tous les intervenants sur ce sujet parlaient potentiellement de choses très différentes.

Je ne vous apprendrais rien en vous disant que le concept de « fidélisation » est assez en vogue ces dernières années. Dans un monde de marques et d’offres, où le consommateur est ultra sollicité, il devient de plus en plus important de pouvoir ‘’fidéliser’’ ses acheteurs. Ce contexte explique l’escalade des offres CRM en tout genre. Des cartes de fidélités, aux technologies NFC ou RFID, le champ de la fidélisation est un devenu un vaste terrain.

Fidéliser un client c’est le rendre fidèle. Ça, tout le monde aurait pu le deviner me direz-vous. Mais… qu’est ce qu’un client fidèle ? Est-ce un client qui achète souvent la marque ? Un client qui la préfère ? Un client qui est un exclusif de la marque ? Ou encore un client qui recommande la marque ? A ces questions, les réponses varient selon les courants de pensée. Il y a les ‘’pragmatiques’’ qui lient la fidélité à la fréquence d’achat, ‘’les sentimentaux’’ qui la lient à l’exclusivité, ‘’les sympathiques’’ qui la lient à la recommandation, et les ‘’idéalistes’’ qui la lient (ou en tout cas essaient) à tous ces facteurs en même temps.

Pour vous mettre en situation, essayez de faire l’exercice suivant. Pensez à deux marques auxquelles vous vous jugez fidèles. Pensez ensuite à votre relation avec chacune de ces deux marques. Il y a de fortes chances que ces deux relations soient différentes. Pourtant, cela ne vous a pas empêché de vous considérer comme fidèle à ces deux marques. Vous y êtes ? Vous commencez à réaliser que la fidélité est un concept polymorphe ? Intriguant non ? Mais alors la fidélité c’est quoi ?

En couple, c’est plutôt simple…

Dans les relations amoureuses, la fidélité implique dans l’opinion (bien qu’il y ait de grandes exceptions), une notion VOLONTAIRE d’exclusivité très forte. On considère à ce titre qu’un conjoint est fidèle pour peu qu’on ne puisse lui prêter aucune relation qui tendrait à rompre le lien d’exclusivité avec sa partenaire malgré les tentations. Avec les marques c’est… un plus compliqué. Plusieurs courants s’opposent.

En marketing, c’est plus compliqué…

Pour Une étude de Capgemini qui a porté sur 160 programmes de fidélité montre que 97% d’entre eux portaient uniquement sur les achats des clients. Cela traduit une réalité très ancrée : la grande majorité des marqueteurs, la fidélité se mesure à la fréquence d’achat. Ma position est assez peu favorable à cette vision parce que la fréquence d’achat prouve qu’un client est régulier, pas qu’il est fidèle. A ma position, j’avance les trois arguments qui suivent.

1- Un client régulier peut ne pas être fidèle

Sur les marchés où une offre n’est pas fortement concurrencée, la régularité d’un client n’est pas un synonyme de fidélité dans l’absolu. On peut simplement devoir la régularité d’un client au fait qu’aucune offre supérieure de son point de vue ne soit proposée sur le marché. Dans ce cas, le client n’est pas fidèle, il est contraint. Pour ce qui penserait que cela revient au même, je réponds qu’il n’y a pas de fidélité d’un client sans volonté de ce dernier.

Le marché de la téléphonie en France en est un exemple très parlant. Pendant des années, les trois opérateurs historiques (SFR, BOUYGUES, ORANGE) avaient des clients réguliers, qui pour beaucoup ont désertés leur opérateur pour le nouvel entrant Free. Qualifieriez-vous les ‘’déserteurs’’ de fidèles ? J’en doute et la raison est simple. Ils étaient contraints, pas fidèles. Cependant, les ‘’gâchettes faciles’’ me répondront que phénomène est normal vu les prix bas que proposent Free. Mais non leur répondrais-je alors ! Pour preuve, aujourd’hui combien sont ces marchés qui voient débarquer de nouveaux concurrents avec des prix décrochés mais qui ne s’en inquiètent même pas ? Malgré que l’on fait des téléphones performants pour moins de 100 euros, les Smartphones à plusieurs centaines d’euros se vendent très bien. On voit donc avec cet exemple que la régularité et la fidélité sont deux choses distinctes. La fidélité ce n’est pas la régularité. C’est tout au mieux la régularité voulue.

2- Un client irrégulier peut être fidèle

Sur tous les marchés, il existe une moyenne du nombre d’actes d’achat sur une période donnée. Il peut exister des consommateurs dont la fréquence d’achat se trouve en dessous du niveau moyen du marché. A la condition que ces consommateurs soient exclusifs à la marque, peut-on considérer qu’ils ne sont pas fidèles du fait de leur faible fréquence d’achat ? Vous me permettrez humblement de penser que non. Une personne qui ne que très rarement du soda, mais toujours la même marque lorsqu’elle le fait peut être considérée comme ‘’fidèle’’ à la marque. L’irrégularité ne traduit donc pas forcément l’absence de fidélité.

3- Certains achats sont par définition peu fréquents. Pourtant on peut parler de fidélité sur les marchés de ces produits/services

Dans certains secteurs, la notion de fréquence est quasi inexistante puisque la répétition des achats est rare. Dans le cas de biens immobiliers par exemple, on peut difficilement évoquer la fréquence d’achat comme critère de mesure de la fidélité. Doit-on pour autant en conclure que la notion de fidélité n’existe pas dans ce domaine ? Je pense que non. Nombreuses sont les personnes qui ne changent de voiture qu’une fois tous les cinq ans. Pourtant, pour peu que ces personnes achètent toujours la même marque de voiture, on peut considérer qu’elles sont fidèles à un constructeur. La fidélité peut donc exister sans la fréquence.

Ceci dit, il ne faut pas entendre au travers de mon raisonnement que la fidélité n’a aucun rapport avec la fréquence d’achat. Il faut juste comprendre que la fréquence n’est pas la fidélité. Elle en est toute au plus une potentielle conséquence. Mais une fois encore qu’est-ce que la fidélité ?

Et bien, la fidélité est un concept qui repose sur trois piliers

La fidélité à une marque se rapproche beaucoup de la fidélité à une personne. C’est la résultante des facteurs aussi bien logiques qu’émotionnels. Le concept de fidélité repose sur trois piliers indispensables : la préférence, l’attache émotionnelle, et l’engagement. C’est donc à la seule condition que ces trois éléments soient réunis que l’on peut parler de fidélité.

Qu’est ce que la préférence ?

Plutôt que de parler d’acte d’achat, je préfère parler de préférence. J’entends par préférence une volonté sincère d’exclusivité de la part d’un consommateur pour une marque. Ainsi préférer une marque de voiture, c’est toujours choisir cette marque lorsque je dois acheter une voiture. Je parle de volonté d’exclusivité et pas d’exclusivité parce que dans certaines circonstances, l’achat d’une autre marque par le consommateur ne remet pas en cause sa fidèlité. A l’exclusivité, la fidélité autorise donc deux seules exceptions.

  • l’achat d’une autre marque par défaut : Il s’agit des cas où le consommateur n’arrive pas a accéder au produit malgré sa volonté de l’acheter. Plusieurs cas de figures sont possibles comme les ruptures de stock, l’arrêt de la fabrication dudit produit, ou encore l’indisponibilité géographique du produit.
  • L’achat d’une autre marque à condition de toujours la coupler à celle à laquelle on est fidèle : Il est dans la nature de l’homme d’être curieux. Il peut donc arriver qu’un consommateur achète une marque différente de celui pour lequel il a une préférence. On considèrera comme fidèle ce consommateur tant que la nouvelle marque vient en complément de la marque à laquelle il est fidèle. Ceci pour deux raisons. La première est qu’il nous faut bien accepter que dans le monde d’offres dans lequel on vit il soit difficile d’attendre l’exclusivité absolue de la part d’un consommateur. La seconde raison est que l’essai d’autres marques peut tendre à renforcer le consommateur dans sa relation avec la marque à laquelle il est fidèle. Il réalise ainsi combien sa relation à sa marque est forte, privilégiée et parfois même épanouissante. Il peut donc arriver que l’achat d’une autre marque rapproche encore plus consommateur de sa marque. C’est d’ailleurs une chose assez courante dans la vie d’un consommateur.

On retiendra donc en somme que la fidélité appelle la notion de préférence, de volonté d’exclusivité qui doit être concrétisée, ou non uniquement dans les cas où la marque n’est pas accessible aux consommateurs, ou couplée ponctuellement à une autre marque.

Qu’est ce que l’attache émotionnelle ?

Ainsi que je l’écrivais plus haut, la fidélité est à la fois un processus logique et émotionnel. La fidélité à une marque exprime une forme de connection à cette marque qui relève de l’émotion. Ceci est une composante essentielle de la fidélité parce que le consommateur fidèle — comme l’homme d’ailleurs — sait se contenter de sa relation au partenaire — ici la marque — pour peu que cette relation le satisfasse. Un consommateur ne reste pas fidèle à une marque parce qu’elle est objectivement la meilleure, mais parce qu’elle a le pouvoir de l’émouvoir positivement. Le consommateur fidèle ne cherche pas si il y a mieux. Il se plait à penser que pour lui, la marque à laquelle il est fidèle est la meilleure, et n’accorde souvent pas de crédit à ce que pensent les consommateurs d’autres marques, quelque soit le force de leur arguments. On peut mesurer ainsi toute l’importance du critère ‘’volonté’’ dans le concept de fidélité.

Tout d’abord, l’attache émotionnelle tient en une réalité essentielle : le partage des valeurs. On ne peut être fidèle à une marque dont on ne partage pas les valeurs. Lorsqu’on est fidèle à une marque, on est fier de s’afficher avec elle parce qu’on veut se laisser attribuer et s’auto-attribuer les valeurs et la personnalité de cette marque. Être fidèle à une marque, c’est cautionner et partager la personnalité de cette dernière.

Ensuite, au delà du partage des valeurs, l’attache émotionnelle à une marque appelle forcément au moins l’un de ces deux éléments :

La création du désir : l’attache émotionnelle peut passer par la création du désir. On ne voue pas volontairement une exclusivité à quelque chose que l’on ne désire pas. Et c’est du fait que ce désir est entretenu, nourri que le client demeure dans sa relation à la marque. Le désir est donc un élément central de la fidélité. C’est ce qui rendra la marque attrayante avec pour conséquence potentielle une répétition des achats. Les fidèles d’Apple le sont parce que cette marque sait créer de l’envie, de l’attirance par le design et ‘’l’esprit’’ unique de ses produits. Le désir est donc un puissant vecteur de l’attache émotionnelle d’un consommateur à une marque.

La création d’émotions autres que le désir : l’attache émotionnelle passe aussi par la création d’émotion positives autres que le désir. Pour certains produits, leur nature-même nature fait qu’ils ne sont pas des objets de désir, pourtant les marques de ces produits peuvent compter des fidèles. Prenons l’exemple des produits d’assurance. On s’accorde sur le fait que ce n’est pas ce que l’humanité aura fait de plus sexy. Pourtant, des clients fidèles à une compagnie d’assurance ça existe. Dans ces cas les clients sont fidèles à la marque parce que cette dernière sait émouvoir positivement ses clients autrement que par le désir. Une marque peut susciter de l’admiration, de la fierté, de la joie, de la tendresse, ou même une forme d’adoration. Ces émotions peuvent avoir pour vecteurs l’expérience proposée par la marque (expérience d’utilisation du produit ou du service, service après vente, service client), les communications de marque (publicités, diverses prises de parole), sa philosophie, la fidélité de la marque à elle même (que la marque ne trahisse pas sa promesse fondamentale), le vécu personnel du client avec la marque.

En synthèse un consommateur qui est attaché émotionnellement à une marque partage ses valeurs, est ému positivement par cette dernière et/ou qui la désire continuellement.

Qu’est-ce que l’engagement

L’engagement regroupe l’ensemble des actions menées par le consommateur de sa propre volonté pour s’informer, interagir ou évangéliser un public sur une marque. Il est indispensable pour le consommateur de satisfaire l’une de ces conditions avant d’être considéré comme engagé envers la marque.

S’informer sur la marque consiste à aller recueillir des informations sur elle. Cela traduit l’intérêt du client pour cette marque, mais aussi sa volonté d’interagir avec elle. S’informer sur une marque c’est par exemple visiter régulièrement son site internet, ou ses boutiques.

Interagir avec la marque consiste à produire une réaction en réponse à une de ses actions de la marque ou l’inverse. Cela suppose d’envoyer ou de renvoyer un signal à la marque. Par exemple, commenter les publication d’une marque sur les réseaux sociaux constitue une interaction celle-ci. C’est une dimension importante dans la notion de l’engagement.

Evangéliser un public sur une marque, c’est recommander cette marque à des non fidèles, ou nourrir son attachement à celle-ci au sein d’une communauté de fidèles. Ainsi, lorsque vous conseillez le choix d’une marque à une connaissance, vous l’évangélisez. De la même façon les possesseurs de moto de la marque Harley Davidson se regroupent au sein d’une communauté où ils s’évangélisent. Non pas pour pousser à l’adoption de la marque puisqu’ils l’ont déjà fait, mais pour nourrir et renforcer leur rapport à la marque.

Alors, au final, la fidélité c’est quoi ?

Il faut retenir que la fidélité est la préférence volontaire par un consommateur d’une marque à laquelle il est attaché émotionnellement et envers laquelle il s’engage. Cette définition quoi que complexe a le mérite d’englober toutes les dimensions de la fidélité. Surtout, elle nuance les rapprochements trop courants et peu exacts entre la fréquence d’achat, et la fidélité. Si la régularité d’un client est une chose, sa fidélité en est une autre. Malheureusement, peu d’entreprises dissocient ces deux notions. Un client seulement régulier, et un client fidèle n’ont pas la même vision de la marque. Ils ne partagent pas le même rapport avec elle, et ont des rapports très différents avec les marques concurrentes. C’est pour cette raison que la dissociation de ces deux termes est absolument importante. Un consommateur régulier achète souvent une marque. Un consommateur fidèle adopte une marque.

On sort également de cette analyse une remarque importante. Contrairement à ce que l’on pense, la fidélité n’est pas un parcours temporel (qui implique d’acheter souvent et pendant longtemps la même marque), mais une plutôt une décision. C’est un choix volontaire fait par un consommateur d’adhérer au projet et à la vie d’une marque. On ne peut pas mesurer la fidélité d’un client puisque cela reviendrait à mesurer des éléments non rationnels comme les émotions. On peut juste mesurer la régularité d’un consommateur. La fréquence se mesure, la fidélité se constate.

En finissant cette lecture, on est bien en droit de se poser la question suivante : au final, lequel du client fidèle et du client régulier devrait être le plus important pour la marque ? Faites vos paris… la suite au prochain épisode !

Originally published at brandside.wordpress.com on May 30, 2015.

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Naofal Ali
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