La Libye, l’esclavage, et après ?

Naofal Ali
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6 min readNov 25, 2017
Bon, le sujet est assez difficile, une belle image pour commencer.

Le problème avec l’émotion, c’est qu’elle peut dans sa profondeur inhiber l’action. Depuis la diffusion de ces images insoutenables de marchandage par CNN, l’indignation est complète. J’ai observé sur les réseaux sociaux, dans la presse, et dans diverses discussions maintes postures et opinions. Les actes, et les propositions de solutions se sont, elles, faites — comme souvent malheureusement — beaucoup plus rares. Tout cela m’a évoqué quelques lectures, réflexions, et idées qu’il me plait de partager ici avec vous.

Tout d’abord, je m’indigne que certaines personnes s’indignent.

Les présidents africains se disent indignés. Que c’est affligeant. Comment peuvent-ils s’indigner d’une situation qu’ils ont souvent créé, nourri, ou qu’ils n’ont rien fait pour empêcher malgré tous leurs moyens ? La honte, voilà ce qui devrait être leur sentiment. La honte que dans les pays dont ils ont la gestion et gouvernent la destinée, des jeunes hommes, femmes et enfants, rêvent d’un avenir meilleur ailleurs au péril de leur vie. Ils devraient se demander ce qui conduit leurs compatriotes à voir en leur propre pays le tombeau de leurs rêves, un désert d’opportunités et d’avenir, un berceau de misère. Si j’étais au volant d’une voiture lancée à vive allure, et que les passagers préféraient se jeter sur la route pour échapper à la destination vers laquelle je les conduis, me dire indigné par leur geste serait indécent. Chaque président dont les compatriotes candidatent à la mort en méditerranée devrait commencer par faire une chose simple. S’excuser auprès de sa Nation, faire un aveu d’échec et de responsabilité — même partielle — dans ce drame, et promettre de faire mieux à l’avenir, et honorer cet engagement.

La responsabilité française.

Nul besoin de rappeler à qui nous devons le désordre total qui prévaut en Libye. Du haut de son mètre soixante-six, Nicolas Sarkozy aura désorganisé une région charnière entre l’Europe et l’Afrique avec des conséquences graves. Avant les horribles scènes de ces dernières semaines, l’absence d’Etat en ce territoire a, entre autres, libéré un stock considérable d’armes dont une partie importante s’est retrouvée dans le giron de daesh. Depuis le 13 novembre, dans la douleur, Paris s’en est rendue compte. L’absence de présence militaire libyenne aux frontières a également permis l’accélération des flux de migration et donc le nombre de morts en méditerranée. Voilà à qui nous devons le « bordel libyen ». Que les africains et le monde le sache. C’est bien de s’ériger en défenseur des droits de l’Homme dans le monde. Toutefois, la sincérité du propos appelle de ne pas que se scandaliser des excès dictatoriaux d’un homme que l’on a qui plus est longtemps adulé, mais aussi voler au secours d’Hommes partout où leurs droits les plus élémentaires sont bafoués du fait de la France. On attend toujours…

Les arabes, le racisme, et l’Histoire.

Je ne verse ni dans les amalgames, ni dans les généralités faciles. Toutefois, il faut reconnaitre bon gré mal gré qu’il subsiste au Maghreb un racisme réel et insidieux. C’est un secret de polichinelle que les africains noirs ne sont traités qu’avec peu d’égard dans les pays de cette région. Les témoignages d’étudiants lésés, régulièrement victimes d’injures, marginalisés, et même souvent violentés se comptent par centaines. Et la réalité historique n’est — me semble-t-il — pas totalement étrangère à ce fait. Il faut rappeler que le commerce triangulaire qui a duré cinq siècles a lui-même succédé à la traite arabe qui elle en a durée sept. Le racisme actuel n’en serait-il pas le résidu social ? La négation me semble difficile. Dans tous les cas, il est peut-être temps que les leaders politiques et autorités de ces pays sortent de l’hypocrisie malsaine dans laquelle ils baignent. Il est important qu’ils reconnaissent la présence du racisme dans leur sociétés, et prennent les mesures incitatives, et coercitives nécessaires pour éclairer les populations et punir tous les actes discriminatoires. Cela est d’autant plus important que deux de ces pays — le Maroc et la Tunisie — sont candidats à l’intégration de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Cela devrait prétexter à un profond examen de conscience, une remise en question des rapports qu’entretiennent leurs sociétés à ces noirs dont ils cherchent aujourd’hui — presque désespérément — à se rapprocher, du moins, économiquement.

L’esclavage, un difficile parallèle avec la réalité historique.

Ce n’est ni pour banaliser de quelque façon que ce soit, ni encore moins pour légitimer ce qui se passe que j’exprimerai cette pensée. Il y a derrière le mot “esclaves” deux époques, et deux réalités. Les esclaves durant les deux grandes traites qu’a connu le continent n’étaient pas candidats à l’exil. Il me semble qu’à ces époques, ce n’était le propre de personne de songer à un avenir meilleur de l’autre côté de la méditerranée, ou de l’Atlantique. Ces Hommes ont été faits esclaves de force. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Ce sont parfois des africains qui se font eux-mêmes esclaves en toute connaissance de cause ! Oui, et je pèse ces mots. Cela pose un problème tabou, mais réel. C’est celui de l’avidité de certains. Attention, une fois de plus, je ne critique pas le réfugié somalien dont les conflits interminables ont dévasté l’existence. Je parle du jeune sénégalais ou gambien dont la famille n’a jamais su mobiliser 200.000 francs CFA pour l’aider à ouvrir un commerce ou cultiver un lopin de terre, mais aura su mobiliser plusieurs milliers d’euros pour financier son périlleux voyage. Assurément, un problème se pose. A mon sens, l’avidité explique en partie cet état d’esprit, et cela engage une fois de plus la responsabilité des Etats. Il faut montrer que comme partout dans le monde, il est possible de réussir en Afrique et enseigner l’esprit-patrie. Ne pas se demander ce que son pays peut faire pour soi, mais ce que l’on peut faire pour lui. Quand son enfant est malade, on ne l’abandonne pas. On le soigne. Quand son pays ne va pas bien, on ne devrait pas le quitter, mais travailler à le relever. Je précise une fois de plus que je ne parle pas de migrants originaires de pays en guerre.

La Lybie et les libyens… la chasse aux sorcières.

La passion conduit à bien des choses. Parmi elles, le mouvement anti-Lybie en vogue sur les réseaux sociaux. Les généralisations sont dangereuses. Tous les libyens ne sont pas esclavagistes, ni ne cautionnent cela. Que ce qui se passe aujourd’hui ne nous fasse pas ignorer pas l’histoire. Ce pays de par son leader a été l’un des plus grands défenseurs de l’intégration africaine. On peut penser et dire ce que l’on veut de Mouammar Kadhafi, mais on doit au moins reconnaître à l’homme sa volonté d’unifier des pays du continent, et de les pousser vers l’émancipation et l’autonomie. C’était un panafricaniste sincère et engagé. Ce ne serait ni juste, ni bon de réduire ce qui était — et je l’espère, est encore — un grand peuple à une vulgaire bande d’esclavagistes.

Les devoirs d’urgence.

En attendant qu’Alpha Condé et ses pairs ne proposent une solution durable à ce drame, il faut bien agir. Et heureusement, certains l’ont compris. Le Sénégal, l’UA, et le Cameroun demandent une enquête pour que les responsabilités soient situées. C’est évidemment utile. Mais pendant ce temps, le Rwanda s’est dit prêt à accueillir jusqu’à 30.000 migrants en provenance de Lybie, et a démarré les discussions avec les autorités locales dans ce sens. Voilà le genre de mesures que la situation libyenne devrait susciter dans chaque pays africain. Nous avons non seulement le devoir de faire rapatrier nos ressortissants, mais aussi de porter assistance totale aux ressortissants des pays en conflits. C’est bien de dénoncer, de s’indigner, de marcher, de signer des pétitions, de situer les responsabilités. Rappelons-nous juste que rien de tout cela ne sort les migrants de leur détresse actuelle. Ce à quoi nous devons nous atteler, c’est accueillir et protéger ces personnes. Le reste suivra.

Des solutions durables.

Passée l’émotion qui sera retombée dans trois mois, j’espère que cet épisode misérable aura rongé nos décideurs au point qu’ils engagent des mesures durables pour enrayer le phénomène de l’exode. Il y a à mon sens trois chantiers de moyens et longs termes à entreprendre. Premièrement, il faut repenser le rôle de l’école. Cela suppose d’y mettre en bonne place l’histoire du pays et du continent, les valeurs morales et citoyennes de façon à former des futurs professionnels, mais surtout des patriotes fiers, conscient de leur part à prendre dans le développement de leur pays, et résolus à la saisir. Deuxièmement, il faut encourager l’entrepreneuriat rural. C’est un défi majeur de nos pays. L’agriculture est un des secteurs les plus faciles à développer dans nos régions. L’intensité capitalistique est relativement faible, la main d’œuvre et les terres disponibles, et la demande en produits agricole est croissante et soutenue. Enfin, il faut développer les emplois peu qualifiés en organisant la formation, l’accès à l’emploi et le financement des métiers manuels.

Moi, je prends déjà ma part à tout cela. Prenez la vôtre. God be with us.

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.