Macron à Ouagadougou : ce que j’en ai pensé.

Naofal Ali
naofalnotes
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8 min readNov 29, 2017

Avant de rentrer dans le sujet, de parler de politiques, de mesures et de projets pour ceux que cela intéresse, arrêtons-nous un instant, le temps d’essayer d’embarquer avec nous, ceux qui accusent EM de prosélytisme.

Le ton hautin

Bon, je vous vois venir, « comment est-ce qu’un président français peut parler ainsi à des africains ? ». Si c’est cela ce qui vous dérange, vous vous posez la mauvaise question. La bonne consisterait plutôt à se demander comment un président, ceci, peu importe le pays, peut parler comme cela — peu importe son interlocuteur- ? Car pour ceux qui ces dernières années n’ont été ni sourds, ni aveugles, et suivent ne serait-ce qu’un peu l’homme, cela n’a rien d’étonnant, et rien de contextuel. Il n’a pas parlé comme cela parce qu’il est président. Il ne l’a pas fait parce qu’il était en Afrique, et il ne l’a pas non plus fait parce qu’il était interloqué par des burkinabés. Son dernier coup d’éclat ne remonte d’ailleurs qu’à quelques jours, lors du congrès des maires de France. Faites un tour sur Youtube, vous comprendrez.

Ce que je dis est simple. On aime le ton d’EM, ou on ne l’aime pas. Ce qu’il faudrait juste éviter, c’est de dire que c’était le contexte d’hier qui l’a permis. C’est l’homme qui est comme cela. Faites avec, reprochez-lui sa façon d’être, ou ne l’invitez plus chez vous. Mais pas de procès d’intentions. S’il vous plaît.

Non mais les questions… Les questions quoi… Sérieux. On en parle ?

Franchement, on en parle ? On parle du niveau de certaines questions ? De leur cohérence ? Ou même de leur intérêt le plus primaire ? Non, il ne vaut mieux pas. C’était une belle occasion d’interroger le président d’une puissance mondiale (oui, crachez sur moi, c’est quand même le cas), sur des vraies questions économiques, géopolitiques, sécuritaires. J’ai trouvé une seule intervenante de qualité. Cette femme, qui dans un langage impeccable a invité le président à se prononcer sur la déclassification des archives sur la mort du Capitaine Sankara, et l’extradition de François Compaoré. Deux sujets sur lesquels la réponse d’EM a d’ailleurs été plutôt satisfaisante (j’y reviendrai un peu plus bas).

Une autre chose m’a également marqué, j’ai compté en tout plus d’une quinzaine de propositions annoncées pour l’avenir. Aucune des questions posées n’a pourtant porté sur l’une d’elles. On se plaint. Quelqu’un vient avec des propositions de solutions, et quand on a enfin la parole, on parle de tout sauf cela. C’est quand même un problème, non ? Aucune interrogation sur les modalités d’application de ces mesures, aucune critique, aucune proposition d’amélioration, aucune question sur les contreparties exigibles. Il y avait dans la salle des centaines de jeunes et l’écrasante majorité des questions concernaient le passé et le présent. Je regrette qu’il y ait eu si peu de curiosité sur les cinq, dix, vingt années à venir.

L’exercice était salutaire. Souffrons de devoir le reconnaître, et nous en inspirer.

Je répondais aux nombreuses personnes qui se plaignaient hier, que c’était tout de même assez troublant. La plupart reprochaient à EM un ton de donneur de leçons, et un air supérieur et irrespectueux. Je ne suis absolument pas d’accord. Ce qui l’aurait été c’est d’expédier un discours de quarante minutes, et pas de cent, où il expliquerait que « l’Homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’histoire ». Ce qui l’aurait aussi été, c’est prononcer un discours sans aucune possibilité d’échange derrière. Cela n’a pas été le cas. On parle du président de la sixième puissance économique mondiale, membre permanente du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire. Moi je trouve la démarche de se soumettre à des questions d’étudiants, humble. Combien de fois, les présidents africains en visite dans des pays frères se sont-ils livrés à cet exercice ? Combien de présidents l’ont eux-mêmes fait dans leur propre pays ? Combien sont véritablement allés à la rencontre de leur diaspora là où elle se trouve pour l’écouter ? Pour moi l’exercice, au-delà des légèretés et du sensationnel relevés dans le langage, est une marque de respect de l’opinion, du droit de la jeunesse à s’exprimer et à être écoutée, et de l’humilité que le renouveau qu’EM entend incarner exige. Ce ne sont ni Biya, ni N’Guesso, ni Issifou qui tiendront deux heures dans un amphi universitaire. La dernière fois qu’un président africain s’est livré à l’exercice, c’était Alpha Condé, et c’était minable. Faites un tour sur Youtube pour vous en convaincre. Donc de grâce, il aurait pu cracher son discours et se tailler comme tous ses prédécesseurs, reconnaissez-lui au moins cela, et plutôt que de le critiquer, incitons nos dirigeants à s’en inspirer.

Bon, normalement, ces quelques éclairages devraient avoir permis de calmer vos susceptibilités. Si vous ne vous étiez arrêté que sur la forme, et surtout n’avez pas pris le temps de suivre l’heure et demi de discours, parlons-en. Portons un regard sur le propos d’EM, avec quelques analyses sur la forme, mais surtout en portant l’attention sur le fond.

Sur la forme

Sankara

Cette première partie ne sera pas objective et je l’assume entièrement. Pour moi Sankara est sacré. Je trouve donc que c’est un symbole fort que dans les premières phrases de son discours EM l’ait cité. Cela a une portée forte parce que cela est fait par un président français, en terre burkinabé. Le geste témoigne tout au moins de la volonté de changement d’axe dans le rapport France-Burkina-Faso.

Il n’y a pas une Afrique, mais “des Afriques”.

C’est une distinction que l’on ne fait pas assez en Occident. EM a reconnu l’arrogance qu’il y avait à faire une moyenne de 54 pays pour n’en parler que sous la forme d’une masse unie, lissant les différences et les sensibilités clés. Ce continent n’est pas une photographie monochrome, mais bien une mosaïque de peuples, de cultures, d’histoires riches et colorées. C’est important qu’enfin cela transparaisse dans le discours d’un dirigeant occidental.

Prendre le temps qu’il faut pour s’adresser à quelqu’un, c’est aussi cela la considération.

100 minutes, la complexité des relations entre la France et les pays francophones d’Afrique le valait bien. Le propos n’était ni réducteur, ni simpliste, ni expéditif. Chaque sujet a été abordé avec une démarche critique et constructive. L’histoire, la culture, l’éducation, la santé, l’économie, le sport, la défense, et même les phénomènes sociaux.

Sur le fond

Remettre les choses à leur juste place.

Un des éléments les plus positifs de ce discours, c’est la redéfinition d’un axe fort. EM a clairement marqué sa volonté qu’il n’y ait plus de politique entre la France et l’Afrique, mais une coopération entre l’UA et l’UE. C’était à mon sens une plaie dans les rapports des pays francophones africains à la France. Il faut traiter d’un pays à un autre, ou d’un continent à un autre. Il a d’ailleurs pointé le besoin pour nos nations de développer une coopération entre les pays de langues différentes. C’est dans ce sens qu’il se rendra à Accra après le sommet d’Abidjan.

Des mesures & propositions. En veux-tu ? En voilà.

Remettre la jeunesse au cœur du débat

  • Accompagner le raccordement de toutes les universités de la sous-région au haut débit, notamment avec pour fer de lance l’opérateur Orange
  • Relancer la coopération dans la recherche scientifique entre l’UA et l’UE
  • Accompagner la jeunesse féminine avec un système de bourse préférentielle à la gent
  • Réformer les visas de façon à permettre aux étudiants africains qui ont étudié en France de pouvoir y séjourner quand ils le veulent et aussi souvent qu’ils le veulent, parce que — et c’est vrai — si certains hésitent à rentrer, c’est plus par peur de perdre les avantages obtenus à l’étranger que par désir de ne pas participer à la construction de leur pays

Repenser l’aide publique au développement

  • Réorienter les financements des budgets opaques vers des projets définis
  • Evaluer systématiquement l’utilisation de cette aide (ce qui n’est jusque-là jamais fait) de manière à l’optimiser, et à la rendre accessible aux ayant droit
  • Inscrire l’aide publique française vers les pays francophones dans une démarche UE-UA

Redéfinir la coopération économique

  • Une volonté affichée de ne plus jouer les « VRP aveugles » pour les entreprises françaises
  • La création d’un fond d’un milliard d’euros (avec un objectif à 10 milliards) par la BPI (Banque Publique d’Investissement) et l’AFD (Agence Française de Développement) pour financer les PME innovantes dans les domaines des nouvelles technologies et l’agriculture

Refaire des ponts entre les sociétés

  • Création d’une semaine des cultures africaines en France (pour permettre aux français de découvrir les créations artistiques africaines contemporaines, et ainsi déconstruire l’image ancestrale de l’Afrique dans laquelle certains esprits occidentaux sont restés, et c’est un problème !)
  • Engager les démarches de restitution des œuvres africaines pillées lors des conquêtes coloniales dans les trois prochaines années
  • Permettre aux athlètes africains de disposer de visas spéciaux afin de bénéficier dans le cadre des JO 2024 à Paris d’équipements de haut niveau pour s’entrainer
  • Réinscrire et promouvoir le patrimoine cinématographique du continent notamment en promouvant les plus de mille œuvres d’Ousmane Sembene et de ses compères

Accompagner les politiques de sécurité

  • Renforcer le soutien de Barkhane à la G5 Sahel
  • Dépêcher une mission de l’UE au sein des camps dans la corne du continent de manière à gérer le droit d’asile à la source
  • Renforcer la coopération UA-UE sur la gestion des frontières libyennes et donc les flux de migration

Voilà en substance, les mesures les plus importantes annoncées par EM à Ouagadougou.

Ce que je pense

Il y a dans tous ces propos deux éléments qui m’interpellent. En premier, une rupture dans le discours français sur les pays africains francophones. Plusieurs éléments de forme que j’ai pu souligner en attestent. D’ailleurs, dans le même sens, à l’inverse de ce que certains de ses prédécesseurs ont eu à faire, certaines voix d’influence de la politique étrangère africaine d’EM sont connues, africaines, et on un visage. Je ne regrette ni Foccart, ni les nombreux « Monsieur Afrique » mystérieux qui lui ont succédé. Enfin, c’est un propos qui pour une fois est tourné, résolument tourné vers l’avenir. Je rêve du jour où l’esclavage ne sera plus le sujet central entre la France et ses anciennes colonies, tant nos enjeux et défis sont grands pour le présent et l’avenir.

C’est un tournant qui nous est proposé dans nos rapports, il faut le saisir. La question pour moi n’est pas de savoir si la proposition est sincère. Partons du principe que oui. Ce postulat établi, notre responsabilité devrait être de repenser certains de nos modèles, de nous demander comment cette « nouvelle amitié » peut et doit être définie. Nous avons écouté EM, l’heure est à voir ce que ses pairs du continent lui répondent. Quelles critiques font-ils de ces propositions ? Et surtout que proposent ils eux, en réponse à tout cela ?

Voilà ce que m’a inspiré le discours d’EM, le 28 novembre 2017, à Ouagadougou.

On ne construit pas un pays en s’ancrant désespérément dans le passé. Il faut dépasser l’esclavage et la France-Afrique, non pas parce que l’ombre de l’Histoire n’est plus présente ou sournoise, mais parce qu’il nous faut nous arracher à ce passé pour nous offrir à l’avenir.

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Naofal Ali
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