Mon analyse du street marketing

Révolution ou effet de mode ?

Naofal Ali
naofalnotes
11 min readApr 14, 2015

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© Unsplash

Cette année, j’ai eu l’opportunité de découvrir en profondeur une variante du Marketing alternatif : le Street Marketing. Qui ne plus est, cette découverte a été conduite par Le ténor de la discipline… Entre vidéos fort sympathiques, discours enchantés, et exercices de créativité, j’avoue être resté très peu convaincu sur cette technique, même présentée par l’orateur comme étant le grand futur du marketing… Je vous livre ma lecture de la pertinence du Street marketing, l’outil révolutionnaire qui fera le marketing de demain… ou pas.

Pour vous situer, le Street Marketing est une technique qui consiste à promouvoir une marque, une entreprise, un lieu, une cause, une personnalité en répondant à ces trois critères :

  • Utiliser un budget relativement faible
  • Réaliser une action basée sur une idée créative et originale
  • Utiliser de la rue comme espace d’expression (espaces urbains, mobiliers urbains, végétation urbaine, etc.)

Ainsi, le Street Marketing regroupe en son sein six techniques allant de la distribution de flyers au road show en passant par la customisation du mobilier urbain…

Pour mon analyse, vous me permettrez de partir du postulat que chacun de vous êtes conquis par le Street Marketing, et trouvez que c’est une technique qui redéfinira potentiellement le marketing. Pour quelles raisons ? Celles qui sont le plus souvent évoquées bien sûr ! Le fait qu’il s’agisse de techniques « peu onéreuses », très créatives, etc. Essayons de tester ‘’vos’’ convictions sur le sujet.

Peut-il y avoir une stratégie de rentabilité sur une opération de Street marketing ?
Oui.

Mais soyons clairs. J’entends par là qu’il y moyen d’avoir un ROI, et non qu’on en a forcément un. En effet, les opérations de Street marketing on beaucoup évolué ces dernières années. Elles ne se contentent plus de scénariser les marques, mais les font mouvoir pour véritablement interagir avec les riverains, et introduire dans l’expérience proposée un ‘’call to action’’. Dans de nombreux cas, il s’agit de bons de réduction pour driver l’achat. Grâce aux remontées de ces bons, on peut donc calculer l’impact de l’opération.

Le Street Marketing, une technique vraiment pour tous ?
Non.

Je me suis posé la question de savoir si cette technique convenait à tous les types d’entreprises, de produits, ou de services. Et la réponse à laquelle je suis parvenu est… Non.

L’explication est assez simple. Par définition, une action de Street Marketing se déroule dans la rue. Elle ne peut donc activer que la population riveraine de l’endroit où l’opération se déroule, avec tout au plus comme marge la périphérie de ce lieu. Dans le cadre d’un produit ou d’un service ou la zone de chalandise est déterminante, cela est tout à fait pertinent. Toutefois, dans celui d’un produit de grande distribution c’est une affaire un peu plus complexe.

Pour comprendre ceci, prenons deux exemples.

Dans le premier, imaginons que je suis un boucher de la région parisienne. On convient que mon cœur de cible est la population résidant dans ma zone de chalandise. Pour promouvoir mon magasin, une action de Street marketing serait donc tout à fait pertinente. Ceci, car elle pourrait être organisée dans ladite zone de chalandise de façon à toucher la cible concernée.

Dans le second cas, imaginons que je suis ‘’Mr Propre’’, marque de nettoyant vendue dans 7000 magasins de France répartis sur tout le territoire. Le produit a comme cible potentielle environ 20 millions de foyers aussi répartis sur toute la France. Dans ce contexte, comment définir le bon emplacement pour une opération de Street marketing ? Les critères de choix du lieu deviennent très subjectifs, comme le choix de considérer l’affluence du lieu ou la symbolique. En terme de qualité de ciblage, et de pourcentage de la population cible touchée, on sera donc sur des ratios très faibles.

On peut donc déduire de ces deux cas que : l’impact du Street marketing est limité dès lors que la géographie n’est pas un critère segmentant pour la cible. Le Street marketing est limité sur les offres ou entreprises pour lesquelles la zone de chalandise est inexistante ou peu déterminante pour la performance. Donc plus la cible est géographiquement diffuse, moins le Street marketing est pertinent car c’est un outil d’activation local.

On peut en déduire la matrice suivante: elle évalue la pertinence du Street marketing selon la position de l’offre ou de l’entreprise sur son marché, et la géolocalisation de la cible.

Notoriété forte Notoriété faible Offre à zone de chalandise / cible géolocalisable Favorable Très favorable Offre sans zone de chalandise / cible géolocalisable Favorable Défavorable

Street marketing, est-ce vraiment bon marché ?
Dans l’absolu oui, mais relativement non.

L’un ses avantages les plus souvent cités du Street marketing est son coût très peu élevé, du moins en théorie. Mais est-ce réellement le cas ? En analysant plusieurs opérations, on se rend compte que l’idée est discutable. Reprenons les deux entreprises précédentes pour comprendre.

Pour le boucher le Street marketing est une solution intéressante plus qu’elle est taillée pour rentrer parfaitement dans son modeste budget. C’est donc une solution peu onéreuse. Mais peu onéreuse par rapport à quoi ? Il faut savoir que pour communiquer le boucher n’aurait de toute les façons pas eu besoin d’un media, ou de tout autre outil de communication qui aurait une portée plus grande de sa zone de chalandise. Communiquer au niveau local est donc pour lui un impératif pour optimiser les coûts. Il ne lui aurait par exemple servi à rien de passer une publicité sur TF1, télévision nationale, lorsque sa zone de chalandise ne représente que poignée de quartiers. Le Street marketing vient donc en alternative non aux médias traditionnels, mais au sponsoring d’événements de quartier, ou à la distribution de tracts dans les boîtes aux lettres de la zone de chalandise. Dans ce contexte, ce sont à ces éléments qu’il faudrait comparer le Street marketing. Alors est-ce toujours une solution « si » peu onéreuse ? Pas toujours.

Dans le second cas, si la marque ‘’Mr Propre’’ voulait faire une opération de Street marketing, la marque dépenserait assurément moins que pour une promotion via un média classique. En théorie seulement… Mettez-vous un instant dans la peau d’un manager. Le plus important ce n’est pas le prix de l’opération, mais bien ce qu’elle rapporte. Et si nous faisons un petit calcul pour comprendre tout ça…?

A 72.000 euros l’écran publicitaire sur TF1 (pendant The Voice), vous touchez 5,8 millions de téléspectateurs soit un coût de moins de 14 centimes d’euros par contacts. A 72.000 euros l’opération de Street marketing, à supposer que l’on touche 580.000 contacts (à qui on propose une vraie expérience) — ce qui relèverait déjà de l’exploit — on obtient un coût au contact 10 fois plus élevé que sur la télévision. Je vous vois venir… Vous me direz que le taux de transformation des clients ayant vécu une expérience serait toutefois supérieur à ceux ayant une pub télé. Et je vous répondrai que toutefois, pour qu’on obtienne un match nul, il faudrait que le taux de conversion en Street marketing soit 10 fois supérieur au taux en télévision. Ce que jusqu’ici aucune étude n’a prouvé… On se rend donc compte que même dans ce second exemple, l’affirmation qui veut le Street marketing soit une technique peu onéreuse n’est pas vérifiée…

Street marketing, alternative stratégique aux médias traditionnels ?
Non…

Même si il était un jour avéré que les opérations de Street marketing affichent un taux de transformation 10 fois supérieur à celui de la télévision, un problème se poserait. Dans certains secteurs, cette technique ne présenterait pas les meilleurs avantages. Quel est d’après vous le plus important pour un produit de grande consommation ? Un grand taux de conversion, ou un grand taux de notoriété ? La réponse est la notoriété, simplement parce que pour les produits de grande consommation –et d’ailleurs pas que — c’est la notoriété qui drive l’achat. Le but premier donc n’est pas d’optimiser la transformation, mais de toucher le plus grand nombre de personnes possible. C’est la raison pour laquelle le Street marketing ne sera un outil intéressant que pour les marques ayant déjà une bonne notoriété. C’est ce qui explique le fait que beaucoup d’opérations de Street marketing dans les PGC soient faites sur des marques déjà bien connues comme Coca Cola.

Street marketing… bon investissement ?
C’est relatif.

Comme expliqué un peu plus haut dans l’article, le Street marketing a aujourd’hui une démarche de transformation. L’idée est non seulement de faire vivre une expérience mais aussi et surtout de pousser le prospect à l’achat. Cela passe souvent par des dons de bons de réductions. En plus clair cela revient à organiser une opération de Street marketing déjà coûteuse pour distribuer des bons de réduction. Une double dépense donc… Même si du point de vue du prospect l’idée est excellente, les chefs de produit auront un peu de mal à digérer l’ardoise… ou pas, comme cette belle opération pour ANDRE.

De plus dans certains secteurs comme la grande consommation, l’attribution de coupons peut être ultra ciblée (sur l’historique d’achat ou au panier en caisse) de façon à optimiser le taux d’utilisation des coupons. Il existe donc des outils — comme Catalina — qui offrent pour la distribution des bons de réduction une précision inégalable par le Street marketing. D’où le point suivant…

Street marketing… en phase avec les tendances ?
Oui et non.

On peut penser que non. Le marketing aujourd’hui est de plus en plus envisagé en « one to one ». La tendance est à l’hyperpersonnalisation des data, des offres, des promotions, du service, de la communication, du prix, etc. A l’opposé de ce courant le Street marketing propose encore des opérations avec un ciblage souvent sommaire, peu affiné. Le risque est donc grand pour les marques de toucher une cible aléatoire durant ces opérations.

Toutefois le Street marketing a un argument de taille ! Il sert à humaniser la marque. A l’heure où le consommateur est devenu méfiant, et acteur et de sa consommation, il est important que les marques aient des ‘’visages’’. C’est là un objectif que le Street marketing a le mérite de remplir parfaitement.

Street marketing… prévision de transformation possible ?
Non.

Pour la plupart des leviers dont disposent aujourd’hui les marqueteurs, il existe des benchmarks de résultats. Grâce à la connaissance empirique on connaît les incrémentaux sur les ventes générées par des promotions, des campagnes télé, des campagnes d’affichages, ou encore des campagnes digitales. Sur ces bases, les équipes marketing arrivent à formuler des prévisions sur leurs performances commerciales. On peut penser que vu le jeune âge du Street marketing, ces données seront rassemblées avec le temps. Mais en vérité elles seront quasiment impossibles à obtenir. Pour comprendre, voici deux cas.

Dans le cadre d’une opération de Street marketing où des bons de réductions sont distribués, il est possible de calculer un taux de rentabilité sur l’opération globale. Mais attention. Ce taux ne traduira pas l’efficacité de l’opération de Street marketing, mais l’efficacité du coupon distribué plus celle de l’opération de Street marketing. L’efficacité de l’opération ne pourras donc être calculée qu’en ayant réalisé une opération de distribution de coupons dans les mêmes conditions, sans Street marketing, et en comparant les résultats.

Imaginons deux opérations des distributions de coupons, toutes conditions de distribution égales par ailleurs, voici les résultats :

Distribution de coupons uniquement : 100 coupons distribués ; 50 utilisés
Distribution de coupons + opération de Street marketing : 100 coupons distribués ; 60 utilisés (soit 10 coupons de plus que précédemment)

Soit E l’efficacité de l’opération de Street marketing :

E= Incrémental de CA généré par les 10 coupons — coût de l’opération de Street marketing

Dans ce cas, il n’est possible de calculer l’impact de l’opération de Street marketing qu’après sa réalisation. Alors ne reste plus qu’à l’appliquer à ailleurs me direz-vous… ‘’Non’’ vous répondrais-je ! Une opération de Street marketing est comme une fonction qui compte de trop nombreuses variables pour qu’on puisse en déduire des généralités. Imaginons la même opération déroulée dans deux villes différentes. Les résultats seront forcément sensiblement différents. Pour cause, les espaces qui ne peuvent pas être identiques, les animateurs non plus, et de même pour la météo… Tous ces éléments peuvent influer au final « la valeur » communiquée aux prospects. Si sur deux opérations identiques de telles disparités existent, imaginez celles qu’il y aura sur deux opérations différentes. Sur les médias traditionnels ce sont des problèmes qui ne se posent pas. On peut traduire cette différence en fonction mathématique :

Soit ‘’Y’’ le nombre de prospect transformés
‘’a‘’ le contenu (expérience, ou contenu média)
‘’b‘’ les facteurs environnementaux (lieu, superficie, météo…)
‘’x’’ le nombre de prospects touchés
‘’y’’ les éléments de l’environnement
‘’c’’ la constante

Dans le cas des médias traditionnels on obtient : Y= ax + c
Or, dans le cas du Street marketing on obtient une équation avec 2 fois plus de variables :Y= (a+b)x + c

En plus des éléments de contenus, les éléments environnementaux sont à prendre en compte dans l’évaluation d’une opération de Street marketing. Le problème est que ces éléments ne sont pas définissables de façon mathématique. C’est la raison pour laquelle l’exercice de la prévision d’efficacité d’une opération de Street marketing relève plus grandement de l’aléatoire que dans le cas des médias traditionnels.

Le Street marketing… politiquement correct ?
Si on veut…

Aujourd’hui le Street marketing soulève des questions d’ordre légales. Beaucoup d’opérations ne tiennent pas compte des règlementations au niveau local. Cela pose donc certaines questions par rapport à sa croissance et son utilisation.

Le Street marketing… futur géant
Non

Les statistiques sur le nombre de messages publicitaires auxquels nous sommes soumis chaque jour sont multiples. La plupart d’entre elles s’accordent toutefois sur le fait que chaque individu est exposé à au moins 300 message publicitaires par jour. Même si ça fait beaucoup, c’est à peine si on s’en rend véritablement compte. On ne remarque presque plus la publicité. Justement, c’est bien ce à quoi le Street marketing cherche à remédier. Mais essayons de faire un petit exercice. Imaginez que le Street marketing occupe 0,5% des messages publicitaires. Cela reviendrait à vous faire participer à 2 opérations de Street marketing tous les trois jours. Si ça ne vous paraît pas tout à fait infernal, je suis curieux de savoir comment vous faîtes… Ceci est la raison pour laquelle le Street marketing est à mon avis condamné à être une technique peu utilisée. C’est une approche qui n’arrivera pas à concurrencer les médias traditionnels. Nous pouvons consommer 100 fois plus de médias traditionnels sans nous sentir « agressés » que de Street marketing. Nous sommes donc pré-limités dans notre consommation possible de Street marketing, du moins si elle continue de s’inscrire dans du marketing expérientiel.

Street marketing + web, la recette du succès ?
Une fois sur mille…

Les grandes opérations de Street marketing qui font école sont celles qui ont fait le buzz sur internet souvent grâce à des captations vidéo. Aujourd’hui l’essentiel des opérations de Street marketing sont réalisées avec l’intention de faire buzzer la vidéo captée. Problème ? Le procédé est assez aléatoire. Même si certains praticiens donnent des pseudos règles à suivre pour avoir un buzz, la vérité c’est qu’il n’y a pas de recette. Il y a des vidéos a priori tout à fait anodines qui font le buzz, pendant que d’autres vidéos ‘’moins’’ banales sont dans le complet anonymat. On ne décide pas de créer un buzz, aucune agence de communication au monde ne peut vous le garantir. Donc on ne saurait faire du web le salut de cette technique.

Street marketing… que retenir ?

A travers tous ces points, vous voici livré mon analyse du Street marketing.

Je retiens que c’est une technique qui est très pertinente tant que la zone de chalandise, ou de géolocalisation de la cible est une notion qui compte pour l’offre à promouvoir. Une fois sortie de ce cadre, la technique perd beaucoup de sa pertinence et de son bien fondé. Notons aussi que le Street marketing a le très grand avantage d’humaniser les marques qu’elle promeut.

Toutefois, la vision d’un Street marketing ‘’bon marché’’ est relativement fausse. C’est aussi une technique dont l’intérêt de l’usage dépend de la position stratégique de l’entreprise sur son marché. De plus, l’évaluation de la rentabilité de cette technique est assez floue, avec des risques financiers et légaux importants à prendre en compte. Pour finir, la société semble avoir une capacité limitée de consommation de cette technique…

Au final, chacun se fera sa propre idée de la portée de cette technique. Pour ma part elle reste marginale (car trop segmentante), ‘’risquée’’ (à cause du ROI difficilement prévisible), et non employable à grande échelle (car basée sur une localisation). Qu’attends t-on de techniques de communication si ce n’est que les trois objectifs auxquels le Street marketing déroge soient remplis ?

Faites votre verdict !

Originally published at brandside.wordpress.com on April 14, 2015.

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Naofal Ali
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