Non, l’Afrique n’est pas (encore) la prochaine puissance mondiale. Elle doit le devenir.

Un regard éclairé par le rapport “Lions On The Move II” du cabinet McKinsey

Naofal Ali
naofalnotes
9 min readFeb 20, 2017

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Ici et là sur le continent, les discours afro-optimistes n’ont jamais autant eu la côte. Sur ces sept dernières années, la génération d’africains entre la vingtaine et la quarantaine éduquée rêve. Elle réalise le potentiel de ses pays, de son continent. Elle se surprend à songer l’Afrique en championne de demain, en nouveau centre du monde. Tout doucement, et je ne sais plus comment, ni quand, ce qui est et demeure une perspective semble s’être peu à peu transformée en une dangereuse vérité. “L’Afrique c’est le futur” disent-ils. Il y a encore heureusement ceux qui en le disant entendent une projection qui reste à concrétiser. Mais plus nombreux et plus dangereux, il y a ceux qui voient en ces mots un avenir certain et acquis, presque quoiqu’il advienne, et là est le danger.

Pour faire les choses bien, prenons quelques repères...

De quoi parle t-on quand on dit “Afrique”. Faut-il le rappeler? Le continent n’est pas contrairement à la perspective courante une image fondue et lisse, mais bien une mosaïque nuancée et marquée de reliefs. Les défis, les perspectives et les enjeux du continents ne sont donc pas du tout les mêmes selon que l’on parle du Kenya, du Nigéria, ou du Mali. C’est tout de même un continent où une dizaine de pays sur les 54 présents concentrent plus de 80% des richesses. Difficile de faire plus hétérogène. Non ?

Dans un formidable rapport du cabinet McKinsey (Lions On The Move II), on peut observer une classification des pays africains en quatre groupes distincts sur la base de deux critères absolument essentiels. D’une part la performance via la croissance du PIB, et de l’autre la durabilité de cette croissance à l’aide d’un index du cabinet évaluant la stabilité des Etats.

Source: McKinsey — Lions On The Move II.

Une petite invitation s’impose donc à nuancer non pas notre ambition continentale, mais la manière dont elle doit se traduire en problématiques et solutions pour chaque pays.

Ensuite, révisons de quelques supers-pouvoirs du continent.

Dans nombre de cas que j’ai pu observer, l’optimisme concernant le continent se base sur 3 principaux arguments. Pour sûr ces critères sont des conditions arrangeantes et nécessaires au décollage du continent. Cependant, elles n’en demeurent pas moins insuffisantes.

A- Des ressources naturelles abondantes.

Oui, ces ressources sont des valeurs sûres, durables, et elles peuvent conférer un pouvoir compétitif certain. Cela étant dit voici pour le moment la réalité:

  • Dans nombre de pays du continent ces ressources ont coûté beaucoup plus qu’elles n’ont rapporté (conflits, rébellion, drames environnementaux…)
  • Dans les pays où ces ressources boostent l’économie, elle ont l’effet pervers de les rendre dépendantes et donc vulnérables à la moindre conjecture défavorable sur les matières premières
  • Ces ressources ne sont pas nouvelles. Elles existaient déjà il y a un siècle, et pourtant où en est-on aujourd’hui?

B- Une croissance rapide.

Oui, c’est un fait que les économiques africaines croissent plus vite que la moyenne mondiale. Dans la première décennie des années 2000, la croissance moyenne du continent était de 5,4% contre 3% au niveau mondial. Depuis, bien des choses se sont produites rendant le tableau plus nuancé…

Entre 2010 et 2015, la croissance du continent a considérablement ralenti. Elle est passée de 5.4% entre 2000 et 2010 à 3.3% entre 2010 et 2015. L’écart avec la moyenne mondiale s’est également comblé passant de 2.4 points sur la première période à 0,4 points seulement sur la seconde.

C’est donc une photographie positive, mais qui se dégrade et de fait appelle à un sursaut.

Par ailleurs, bon nombre de pays africains enregistrent des taux de croissance encore trop faibles pour amortir l’impact de la percée démographique. A titre d’exemple un pays comme le Bénin a enregistré sur les 5 dernières années un taux de croissance du PIB entre 5 et 6%. Une performance assurément en dessous des 8% que le Ministère du Développement estime être nécessaire pour absorber la croissance démographique comprise entre 2 et 3% par an. Là encore, tout un chantier…

C- Une génération capable.

D’accord, mais il me semble que c’est là encore un point bien discutable.

  • L’entrepreneuriat est encore trop idéalisé, bien souvent osé, mais assez peu compris dans le fond, et donc très rarement réussi. En 2015, il n’y avait aucune entreprise africaine dans le Fortune 500.
  • Les compétences fortes sont encore trop rares, les profils qualifiés très absents
  • Il y a une trop grande place accordée à la motivation et à l’envie. Peu d’espace à la technicité
  • Il y a peu de formations qualifiantes, qualifiées, et adaptées aux réalités de nos contextes. La réussite d’un pays dépend grandement de sa capacité à former ses penseurs et ses acteurs de demain

Mais heureusement, il y a de vraies bonnes nouvelles

  • Une démographie croissante qui est un défi autant qu’une force
    D’ici 2030, un habitant de la planète sur quatre sera africain. La force de travail du continent deviendra alors la première du monde devant la Chine et l’Inde.
  • Une urbanisation galopante porteuse de promesses
  • 4 trillions de dollars us d’opportunités dans la décennie à venir
  • le continent où les entreprises grossissent le plus vite au monde
Source: McKinsey — Lions On The Move II.
  • le continent où les entreprises sont les plus profitables au monde
Source: McKinsey — Lions On The Move II.

Pour concrétiser ces promesses de rayonnement , 6 pistes de McKinsey + Une.

1.Mobiliser plus de ressources propres

Ces cinq dernières années ont été particulièrement éprouvantes pour nos économies. Elles ont enlisé nombre de pays du continent dans un cycle d’endettement néfaste, qui pourrait à long terme hypothéquer les perspectives de croissance. Il faut rappeler qu’une grande partie de cette dette a été levée par des pays producteurs de pétrole sur le marché international (euro bonds). Or, avec les perspectives américaines, l’hypothèse d’avoir un dollar qui s’apprécie à long terme se précise (sous l’effet de la réforme fiscale Trump à venir). Ces économies déjà fragilisées par la récession se verraient alors privées de précieuses ressources.

Aussi, mon avis est que cette question de la dette reste dure à trancher avec un regard “continental”. Certains pays plus que d’autres ont encore la possibilité de s’endetter et d’aggraver leur déficit — dans des proportions raisonnables — sans en craindre grand de grands risques. C’est le cas du Rwanda ou du Togo par exemple.

Toutefois, les pays africains indépendamment de leurs statuts pourront compter sur trois leviers forts:

  • l’élargissement des assiettes fiscales
  • le développement des assurances
  • la mobilisation des cotisations retraite.

A la clé un potentiel de ressources supplémentaires entre 175 et 355 Mds de dollars US.

2.Diversifier les sources de revenus

Concernant les pays producteurs de pétrole, cela sonne évidemment comme le premier impératif. La baisse de l’activité mondiale, et la récente récession des émergeants a mis à jour leur dépendance et leur très grande vulnérabilité vis à vis de cette ressource.

En ce qui concerne les pays non producteurs, l’enjeu est différent. Il s’agira de trouver de nouveaux espaces de création de valeur pour ces économies très largement “mono produits”. En Côte d’Ivoire le cacao représente plus de 40% des exportations, au Rwanda, mêmes proportions pour les minerais. C’est donc là une situation qu’il faudra œuvrer à renverser.

Ces changements passeront par un Etat qui réglemente, structure, et organise le monde des affaires en développant un écosystème favorable, stable, durable et ouvert à l’initiative privé, au partenariat public, et aux investissements étrangers.

3.Développer les infrastructures

Ce n’est un secret pour personnes que les facteurs de production dans beaucoup de pays africains souffrent encore de retard. Faible accès et irrégularités dans la fourniture d’électricité, d’eau, d’internet, du réseau GSM, et réseau routier peu dense. Même si les dépenses dans le domaine augmentent (elle sont passées d’une moyenne de 36Mds de dollars/an entre 2001 et 2006 à 80Mds en 2015), elles représentent une part constante de 3,5% du PIB de la zone. McKinsey estime qu’il faudrait un ratio de 4,5% de tous les budgets annuels d’ici 2025 pour doter le continent d’infrastructures à la mesure de ses enjeux. Perspective qui bien entendu appelle une ingénierie financière finement pensée entre les IDE, les ressources publiques, et l’apport privé.

4.Accélerer l’intégration régionale

Nous ne vivons plus dans un monde de pays. Nous vivions à une ère d’espaces, de blocs, et de “méga-pays”. La Chine, l’Inde, l’UE, le Mercosur, les Etats Unis, la Russie… Malheureusement les colons ont morcelé l’Afrique subsaharienne à un point tel que les petits territoires sont nombreux et peu compétitifs. Si nous volons avoir un jour une chance de compter à l’échelle internationale, l’intégration régionale sera un passage absolument obligatoire, et de nombreux efforts restent à faire en la matière… A titre d’exemple, la part des échanges intra UEMOA n’a depuis l’an 2000 jamais excédé les 20%.

Source: BCEAO & Direction Générale des Douanes des Etats membres

Le renforcement de l’intégration passera à mon sens par trois axes majeurs non abordés par le rapport de McKinsey:

  • la réorientation de la production africaine vers son marché intérieur
  • une sensibilisation des entrepreneurs à un esprit régional et aux opportunités
  • une réforme de la politique monétaire en zone CEDEAO et CEMAC.

5.Créer les talents de demain

C’est connu qu’en Afrique, nombre de grands groupes ont le plus grand mal à recruter des cadres de qualités. Les trois ordres d’enseignement sont donc à repenser dans leur forme, leur contenu et leur rôle.

  • le primaire est un chantier de long terme à mener sur au minimum une dizaine d’années avant observation des premiers résultats. Il faut le conduire mais pas au détriment de besoins plus actuels
  • l’universitaire soulève de nombreux problèmes d’ordre pédagogique idéologique, qualitatif, quantitatif et en terme de débouchés. En Afrique, il y a aujourd’hui 6 millions de places dans nos universités pour 49 millions de bacheliers par an. Par ailleurs, nous n’avons ni suffisamment de postes de cadres à pouvoir dans l’essentiel des pays, ni une chaîne de financement intégré à même de faire prospérer l’entrepreneuriat.
  • le secondaire au contraire présente des perspectives plus intéressantes. En orientant les jeunes vers des métiers manuels ou des filières techniques de loin plus porteuses que celle générales, on pourrait réussir le triple défi de réduire le taux de décrochage scolaire au collège, de désengorger les universités, et former dès la sortie du collège des acteurs capables de se mettre à leur compte et participer activement aux économies des nations.

6.Relever le défi de l’urbanisation

Avec une population galopante dans les villes, le défi de l’urbanisation va être de taille. 190 millions de personnes y éliront domicile avec le rôle d’accélérateur fort du développement économique des pays. Il faudra penser à cette mesure les solutions d’accès au logement, de développement des infrastructures de transport, et de l’accès aux items de conforts et de sécurité…

7.Hacker le développement

Il faudrait inscrire le continent à l’heure du numérique. Le digital offre en effet des perspectives dont il faudrait que les pays africains tirent partie. C’est l’opportunité pour eux de :

  • S’engager dans une course où la valeur se situe de moins en moins dans la conception matérielle
  • Développer des solutions propres aux enjeux africains en mettant à profit le potentiel technologique
  • Intégrer de plein pied un marché international avec des innovations fortes et valorisées
  • Repositionner les pays du continent sur la carte du monde par le truchement des réussites, des talents, et des services comme l’off-shoring à l’instar du Maroc.

On notera qu’il sera aussi impératif d’accompagner les évolutions d’un cadre légal à la mesure des enjeux. Les Etats africains devront donc se doter d’un code informatique rigoureux et de juridictions à même de contrôler l’activité et trancher les litiges en la matière.

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Naofal Ali
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In love with Africa, entrepreneurship, development questions and people.