Nous regardons en silence la Justice béninoise mourir. L’Histoire ne nous le pardonnera pas.

Naofal Ali
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11 min readNov 10, 2018

Chers concitoyens,

Nous vivons au Bénin des temps troubles, et posons les jalons de ce qui sera si nous ne faisons rien, si nous ne disons rien, une absence de République, une absence d’Etat.

Depuis que notre pays s’est démocratiquement constitué, nous avons connu mille péripéties. Nous avons parfois eu droit de la part de nos dirigeants à du zèle, des excès, des écarts, pas assez sanctionnés d’ailleurs, mais heureusement, toujours contenus. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’heure est grave.

Avez-vous entendu parler de la CRIET, du procès Ajavon ? Voilà ce qui depuis des jours m’emplit de honte parce qu’indigne de notre pays et de notre époque, m’emplit de colère, parce que c’est une insulte aux droits national et international, et m’effraie, parce cela pose les fondations d’une République de voyous et de mercenaires. “Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien”, affirmait Edmund Burke. Nous ne pouvons donc pas détourner le regard devant ce qui se passe, parce que sinon, notre silence nous fera complice du pire dans notre propre pays.

D’entrée, je souhaiterais que mon propos ne souffre d’aucune ambiguïté. Je ne connais pas Monsieur Ajavon. Je ne me sens nullement concerné par ses opinions politiques, ou sa situation personnelle. Je ne m’en fais en aucune manière l’avocat. Si tant est que les faits qui lui sont reprochés sont avérés, et je laisse à la seule justice le soin de le déterminer, on ne peut que souhaiter qu’il soit jugé en conséquence. Je n’ai pas d’avis sur sa culpabilité ou son innocence présumée, et ceci n’est PAS mon sujet. Ce qui m’intéresse, et qui devrait attirer l’attention de chaque citoyen dans cette affaire, c’est l’affligeant spectacle auquel s’est livrée notre justice, qui a brillé par son absence. C’est l’illustration qui nous a été donnée de ce que dans notre pays, la justice ne protège plus, elle ne dit plus le droit, elle n’est plus l’armure du faible contre le puissant. Au Bénin, aujourd’hui, la justice — pour peu que l’on puisse encore ainsi la qualifier — réprime, oppresse, et viole.

La CRIET est un scandale. Son existence même est un doigt d’honneur au droit international et aux principes élémentaires qui l’ont régi depuis des décennies, et ses pratiques sont indignes d’une démocratie, indignes du Bénin, de notre histoire et de notre peuple. Cette cour est le symbole de l’incompétence, l’inconscience, et la médiocrité de notre Assemblée Nationale. Elle consacre l’injustice et représente à ce titre un danger pour tout citoyen de ce pays. J’affirme cela car chacun d’entre nous doit être conscient de ce qui suit.

La CRIET est une cour d’injustice dont personne n’est à l’abri.

Cette cour a tout d’une juridiction politique, clairement destinée à réprimer tous ceux que l’on jugerait menaçant. Parce que sinon, comment expliquer qu’elle choisisse elle-même, et non au regard des statuts qui la fonde, les affaires qu’elle saisit ? Si c’est effectivement une cour qui juge les crimes économiques, alors qu’elle les juge tous, et au même titre ! Ce à défaut de quoi, sa légitimité peut être raisonnablement questionnée. Et malheureusement, à ma connaissance, nous sommes dans le cas d’espèce car la CRIET ne semble pas avoir récupéré l’intégralité des dossiers en cours dans l’ensemble des tribunaux béninois relevant des crimes économiques. Cette cour ne jugerait donc pas toutes les affaires relevant de sa qualification, mais celles qu’elle sélectionnerait elle-même. Nous sommes clairement en présence d’un tribunal d’exception, et comment espérer que justice y soit rendue?

Cette cour viole le principe du double degré de juridiction.

Lorsque vous portez une affaire devant la justice, un premier jugement est prononcé en première instance. Possibilité est alors donnée aux parties de faire appel dudit jugement. Ce n’est alors qu’à l’issue d’un jugement en appel que l’affaire peut faire l’objet d’un pourvoir en cassation, qui dans le cas du Bénin — si je ne me trompe — donne lieu à un jugement par la Cour Constitutionnelle. Ce principe trouve son explication dans la hiérarchie judiciaire. Elle trouve son fondement dans l’idée que “toute œuvre humaine peut être entachée d’insuffisances ou d’erreurs, elle peut être injuste ; il est donc nécessaire (…) qu’elle soit examinée une seconde fois par d’autres juges afin que la décision mauvaise rendue par les premiers juges puisse être reformée…”*.Il se dégage donc que le double degré de juridiction se réalise sous la forme d’un droit subjectif procédural qui est d’ailleurs consacré par les conventions internationales ratifiées par le Bénin, et ce depuis le 12 mars 1992. C’est ainsi que l’art 14–5 du pacte international relatif aux droits civil et politiques (PIDCP) de 1966 consacre implicitement ce droit (Je cite et contextualise ici un extrait d’Assoumou (2008)).

L’institution de la CRIET viole donc ce principe élémentaire. En effet, les décisions qu’elle rend n’offrent comme voie de recours que le seul pourvoir en cassation, supprimant ainsi toute possibilité de recours en appel. Concrètement cela veut dire que si demain une affaire doit être jugée par le tribunal de première instance et que cette affaire est reprise sans justification par la CRIET, votre possibilité d’avoir un jugement en appel disparaît instantanément. Vous vous rendez-compte du court-circuitage que cela créé ?

Cette cour peut constituer contre vous un dossier d’accusation et vous y interdire l’accès. Oui? Au Bénin, en 2018, c’est possible.

Le principe du procès est celui de la confrontation de deux parties : une accusation, et une défense. L’équité du procès exige, et c’est là un principe élémentaire et inaliénable, que l’on porte à la connaissance de la défense les charges retenues contre elles et ce sur quoi elles se fondent. Si vous êtes un jour accusé de quelque chose, comment préparer votre défense en ignorant complètement les faits qui vous sont reprochés, et ce même sur quoi cela se fonde ? C’est pourtant bien ce qui s’est passé au cours de ce procès, ou la cour a purement et simplement refusé à la défense ce droit que je ne pensais pas qu’il était possible de questionner dans notre pays, le Bénin.

Ce que ceci veut littéralement dire c’est qu’on peut vous accuser de tout sur la base de RIEN. A partir du moment où il peut être refusé à vos avocats d’avoir accès au dossier, on peut théoriquement demain matin vous accuser de terrorisme et vous condamner à la perpétuité sans même que vous ne puissiez lire une ligne du dossier d’accusation. Vous purgerez des décennies de peine d’emprisonnement, pour des raisons que tout le monde à part le juge ignorera. C’est la négation même de la justice, et cela devrait interpeller et scandaliser tout le monde, peu importent nos sensibilités politiques parce que cela pourrait arriver à n’importe qui. Et c’est d’une gravité innommable.

Cette cour peut interdire à vos avocats le droit à la parole durant un procès. Oui, oui. Vous n’aurez pas droit à une défense. Aujourd’hui au Bénin, en 2018, c’est possible.

Ce point est d’une importance capitale. Il est crucial que tout un chacun le comprenne bien. Au cours de ce procès, et c’est malheureusement ce qui s’est passé à Cotonou. Les avocats de la défense ont été réduits au silence. Contrairement à ce qu’affirment les apprentis sorciers qui s’improvisent juristes, les leaders d’opinion de mauvaise foi, les intellectuels malhonnêtes et les bandits, RIEN NE JUSTIFIE QUE DANS UNE COUR, LES AVOCATS SOIENT RÉDUITS AU SILENCE. RIEN. TOUT LE MONDE A DROIT A UNE DÉFENSE, QUELQUES SOIENT LES FAITS REPROCHÉS, LA GRAVITE DES CHEFS ACCUSATION, OU MÊME LA PRÉSENCE, OU NON DES ACCUSÉS À L’AUDIENCE. LE DROIT À LA DÉFENSE EST INALIÉNABLE. Même en cas de fragrants délits dûment constatés, d’aveux clairs de la part des accusés, le principe sacré et inaliénable du procès est que chaque partie puisse s’exprimer, s’expliquer, se défendre. Et tout ce qui contreviendrait à cela est malhonnête, et inconcevable. En aucune manière votre droit d’être défendu ne doit dépendre dans votre présence dans un tribunal. Les jugements par contumace (prononcés en l’absence du condamné qui se trouve en état de fuite) existent bel bien, et aucun tribunal digne de notre temps n’en fait un motif à priver la défense de parole.

Finalement, et c’est le plus grave, il semblerait que désormais au Bénin… jusqu’à preuve du contraire vous serez coupables (et pas innocent) des faits qui vous seront reprochés.

Vous connaissez bien ce principe de base de la justice dans tout Etat de droit : « jusqu’à preuve du contraire, tout justiciable est innocent ». Voilà un énième principe essentiel qui est mis à mal par ce procès. C’est celui de la charge de la preuve. Dans un tribunal, c’est en effet à celui qui vous accuse de faire la preuve de votre culpabilité, et non à vous de démontrer votre innocence. Au Bénin, la situation tend à s’inverser. Il s’entend dire de façon totalement aberrante dans l’opinion que l’accusé devrait se présenter s’il n’a rien à se reprocher, qu’il devrait prouver qu’il est innocent, que rien ne dit qu’il n’a pas effectivement fait ce de quoi on l’accuse. Ces propos, et j’assume de l’écrire, relèvent d’un obscurantisme, ou d’une malhonnêteté profonde. Et si je me mets à la hauteur de ceux qui pensent ainsi, je qualifierai juste cette pensée d’ignorante. On ne peut pas faire porter à un homme accusé d’un fait aussi grave la charge de prouver son innocence alors même qu’aucun élément d’accusation ne lui a été communiqué ! Je refuse que cela se passe dans mon pays, et c’est quelque chose qu’on devrait tous condamner avec la dernière rigueur. S’il y a une chose à exiger, c’est celle-ci. Que cette cour expose au grand jour ce sur la base de quoi elle a prononcé à l’encontre d’un citoyen une peine, qui plus est, est je le rappelle est de 20 ans d’emprisonnement. La justice ne devrait pas être une boîte noire au service des uns contre les autres, mais une machine transparente au service de chacun et du bien commun.

La CRIET est une insulte à nos autres juridictions

Comment comprendre qu’une personne soit jugée deux fois pour une même affaire hors du cadre d’un appel ? Parce que je précise à ceux qui l’ignorent que l’Etat béninois n’a pas fait appel du premier jugement contre l’homme. On n’est donc ni plus ni moins dans le cadre d’un procès bis repetita. J’en veux pour preuve que le jugement rendu à l’issue du premier procès n’a absolument pas été considéré, discuté dans le second. Comment comprendre que dans notre pays l’on puisse être déclaré innocent des faits qui nous sont reprochés, et que l’on soit rejugé par une autre cour, et condamné sans aucune forme d’explication et d’égard à la décision précédente.

Comment comprendre selon les dires de l’un des avocats d’Ajavon qu’un Juge, un juge chers lecteurs, ose suggérer à un témoin ses réponses ? Oui, cela s’est bel et bien passé au Bénin devant des avocats béninois, et étrangers.

Et je suis loin d’avoir relevé là, les multiples irrégularités de ce procès…

Alors, j’en appelle au sens citoyen de chacun. J’en appelle à votre sens moral, à votre esprit patriotique. Ceci n’est pas une affaire qui concerne un opposant, ou un homme politique. C’est une question de droit, de justice, de citoyenneté. C’est une question de sécurité. Nous sommes le pays qui a initié en Afrique la vague des Conférences des Forces Vives de la Nation. Nous avons montré pour tout un continent le chemin de la démocratie et du respect des valeurs républicaines. Nous avons aussi été depuis 1990 un exemple de paix, de stabilité, d’alternance démocratique et de fonctionnement des institutions de pouvoir et de contre-pouvoir. Ce qui se passe dans notre pays aujourd’hui est suffisamment grave pour que nous nous en inquiétons.

Aujourd’hui pour beaucoup, la CRIET ce sont cinq lettres qui concernent Sébastien Ajavon et sa famille. Ceux qui pensent cela se trompent. C’est bien plus. Ce que fait cette Cour devrait interpeller et scandaliser au plus haut point chaque citoyen de ce pays sans AUCUNE, et j’écris bien AUCUNE exception possible. La CRIET qui paraît si loin de vous ne l’est pas. C’est la porte ouverte à ce que demain, vous, moi, nos proches, n’importe qui, soit écroué, sans aucune preuve au simple motif que certaines personnes le décident. Cette juridiction est stalinienne. C’est la négation même de la justice. Face à cela, notre silence nous rendrait complice.

J’ai été fier de mené aux côtés de tant d’entre vous la charge pour la suppression de la taxe internet, et cela a prouvé que nous étions capables de peser sur les décisions dans notre pays. Alors d’accord, aujourd’hui vous ne payez pas votre forfait plus cher mais méditez sur ce qui se passe ! Sébastien Ajavon n’est ni votre père, ni votre ami, ni votre parent, mais méditez sur ce qui se passe ! Parce ce que cet homme est un citoyen, comme vous, comme moi. C’est un justiciable qui fait les frais d’une absence inqualifiable de justice, et demain si nous ne faisons rien, ce sera nous, ou un de nos proches qui se retrouvera dans cette situation. Et à ce moment-là ? Parlerons-nous ? Ou resterons-nous aussi silencieux que nous le sommes aujourd’hui ? Dirons-nous notre indignation, ou resterons-nous passifs ? Montrerons-nous à ces personnes ou institutions qui se croient tout permis que ce pays à une histoire, que nos parents sont morts pour ses valeurs, que sans Etat de droit nos dirigeants actuels seraient eux-même en prison ?

J’ai toujours dit à qui voulait l’entendre que nous béninois sommes un peuple pacifique, mais pas soumis. Calme mais pas idiot. Compréhensif mais pas crédule. Chaque fois que l’histoire nous a donné rendez-vous, nous avons été à la hauteur du défi. Nous avons répondu présents, plein de dignité, et d’honneur.

Cette fois ci, nous ne battrons pas pour notre porte-monnaie, le droit à Facebook, Twitter, ou WhatsApp. Nous ne nous battrons pas pour nos petits privilèges de citadins branchés qui ont besoin de bloguer, de coder, ou de se connecter au monde. Nous nous battrons pour la plus noble des causes. Nos droits, notre liberté, notre justice, et la sécurité auxquels chaque citoyen de ce pays a besoin, et qui sont le devoir de nos dirigeants. Nous réclamerons les droits que nous confèrent notre statut de citoyen, de justiciable ; celles que nous confèrent nos lois nationales et celles internationales. Nous nous battrons pour le présent de ce pays, mais surtout pour son avenir. Car si un combat mérite bien tout notre attention, notre dévouement, et notre implication, c’est celui-ci, celui de ne pas être des nouveaux esclaves d’un pays que nos parents hier, et nous-même aujourd’hui avons bâti à sueur et à sang.

Alors si vous aimez votre pays,
si vous souscrivez à ce que le droit d’être défendu est inaliénable à tout citoyen quelques puissent être les circonstances,
si pour vous, nos lois et notre constitution sont au-dessus de tout et doivent être respectées,
si vous réalisez que nous posons aujourd’hui au Bénin les germes d’un avenir trouble et sombre, les fondations d’une République de voyous,
alors, marquez votre désaccord ! Refusez de vous rendre complice par votre silence et votre inaction.

PACIFIQUEMENT, provoquez le débat, nourrissez-le, échangez sur la question ! Où tout cela mènera-t-il ? Je n’en sais rien. Ce que j’ai, c’est l’espoir. L’espoir que des millions de jeunes se mobilisant partout sur la toile et en dehors, refusant la condamnation qui leur est faite fera un bruit suffisamment fort pour entamer le sommeil, interroger fortement la conscience de nos dirigeants, et les ramener sur le chemin du respect de nos lois.

Ce pays, le Bénin, constitue notre plus grand patrimoine commun, notre première richesse. Le protéger un devoir.

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*SOLUS (H) et PERROT (R), Droit judiciaire privé, introduction aux notions fondamentales, organisation judiciaire. Cité par ROETS, P174

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Naofal Ali
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