Repenser la place du coton dans la stratégie agricole au Bénin

Naofal Ali
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21 min readJan 28, 2020
Naofal ALI — Région de Dassa, République du BENIN — Aout 2018

Les données d’importation et d’exportation contenues dans ce travail proviennent de l’UN Comtrade Database, base de données de référence de l’Organisation des Nations unies sur le commerce mondial.

Depuis les années 90, l’agriculture a été “marketée” aux pays africains comme la solution miracle à leur développement. A regret et comme souvent pour ce qui touche au continent, personne n’aura fait l’effort de nuancer ce propos, étant donné que les pays de la zone présentent des potentiels agricoles de niveaux extrêmement variés. Les louanges de la terre ont ainsi été chantées partout d’un même ton, comme si le Libéria et la Côte d’ivoire par exemple avaient des capacités de production agricole comparables. C’est ce qui explique aussi que depuis trois décennies au Bénin — qui n’a pas été épargné par cette “propagande” — tous les présidents nous aient présenté la production agricole en général, et celle du coton en particulier comme la panacée. Hélas, cette vision relevait sans doute plus d’un discours théorique et mécanique que d’une analyse véritablement fondée. Dans les faits, les promesses ne sont restées que ce qu’elles étaient, et les performances agricoles béninoises d’un niveau globalement médiocre. Sans surprise, le Bénin n’est pas devenu la puissance agricole promise par ses dirigeants, et il ne le sera comme nous le démontrerons sans doute jamais. Le coton, premier produit d’exportation du pays lui a rapporté en 2017, 26 fois moins de devises que le cacao n’en a rapporté à la Côte d’Ivoire (un pays dont le PIB “n’est que” quatre fois supérieur au nôtre, et la superficie “que” trois fois plus grande). Des résultats qui appellent au bout de 30 ans d’efforts, un diagnostic sans concession et une refonte de la stratégie agricole nationale.

C’est à cette tâche combien importante que s’attellera cet essai en trois parties. En son premier volet, il s’emploiera à démontrer que la culture du coton et notre dépendance chronique de celle-ci constituent une impasse de laquelle il faut absolument sortir l’agriculture et l’économie béninoises. En son deuxième volet, ce travail entend établir au-delà des fantasmes et de toute promesse fallacieuse, que le Bénin est structurellement incapable de devenir une puissance agricole. J’ose croire que ceci permettra au pays de s’extraire de la poursuite d’une pure utopie, pour se consacrer à de nouveaux objectifs réalistes et non moins ambitieux. Enfin, en conjuguant ces deux inflexions majeures dans la conception de l’agriculture béninoise, nous proposerons une nouvelle stratégie agricole nationale basée sur un paradigme nouveau.

1- Pourquoi la culture du coton est une impasse pour l’économie béninoise ?

La culture du coton a été au cœur de l’attention de quasiment tous les gouvernements béninois depuis la Conférence Nationale. L’engagement du pays dans ce secteur devenu “évident” dans notre économie n’a pour ainsi dire jamais été remis en question. Plus encore, à observer les discours et les politiques mises en place au fil des années, la culture cotonnière a même toujours été présentée comme un atout pour le Bénin. Comme nous le montrerons, la réalité est plus nuancée car en plus de rapporter des ressources relativement maigres, cette activité positionne le Bénin en situation de grande dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Premier produit de l’agriculture béninoise, et premier produit d’exportation du Bénin depuis plus d’une décennie, le coton a généré en 2017, 24% des revenus d’exportation du pays. Que cela ait été voulu ou subi, c’est un fait établi que notre économie repose aujourd’hui en majeure partie sur cette matière première. Nous avons au fil des années développé et entretenu une grande dépendance d’elle.

La théorie économique en générale(et ici celle des avantages comparatifs de Ricardo,1817 en particulier) enseigne pourtant une condition essentielle à la spécialisation d’un pays dans un produit ou un service. Il s’agit de la capacité dudit pays à délivrer ledit produit ou service de manière compétitive, en s’appuyant sur des avantages qui la distinguent des autres pays. En clair, il ne faut se permettre de dépendre que d’une ressource que l’on sait produire mieux ou en plus grande quantité que les autres pays. Ainsi, la condition sine qua non à ce qu’une nation s’engage volontairement à dépendre des revenus tirés d’un produit est qu’elle puisse sur celui-ci disposer d’atouts spécifiques ou exclusifs dans sa production. Dans le cas d’espèce des produits agricoles, le choix d’une spécialisation par un pays devrait être motivé par au moins l’une des raisons suivantes :

  • des superficies agricoles relativement importantes
  • des conditions de culture spécifiques ou exclusives au pays (présence d’un climat, d’un micro-climat, de conditions d’irrigation exceptionnelles…)
  • une capacité à influencer le cours des produits (grâce à une part de marché importante, une influence politique, l’appartenance à une organisation de défense des intérêts pays producteurs comme l’OPEP…)
  • la présence d’ingénieries agronomique et biologique capables de maintenir et d’accroître l’avance du pays en matière agricole.

Sur le coton, rien de plus simple que de constater que le Bénin ne dispose d’aucun de ces atouts. Pire, nous avons même si j’ose d’ire, tout l’inverse : des désavantages comparatifs.

Sur les plans de la capacité de production et des conditions de culture du coton, le Bénin est manifestement incapable de tenir la compétition au niveau mondial. Il faut savoir que tous les pays africains réunis ne réalisent que 10% des exportations mondiales de coton en valeur. En face, les USA, l’Inde, l’Australie, et le Brésil réalisent à eux quatre, 80% des exportations mondiales et disposent tous d’un potentiel agricole inégalable par le Bénin tant d’un point de vue structurel (climat et superficies disponibles) que conjoncturel (technologie et ingénierie agronomiques). Le Bénin ne dispose donc d’aucun avantage comparatif dans la production cotonnière.

Par ailleurs, le pays ne dispose non plus d’aucun levier d’influence de la politique et des cours du coton au niveau mondial. Or, lorsqu’un pays choisit volontairement de baser son économie sur un produit, tout l’enjeu est de faire en sorte qu’il réussisse à en contrôler les cours plutôt que de les subir. Le problème avec le coton et le Bénin, c’est que si la relation de dépendance existe bel et bien, elle s’établit dans le mauvais sens. Alors que la culture du cacao affranchit les économies ivoiriennes et ghanéennes, celle du coton asservit sérieusement l’économie béninoise.

En 2017, la production cacaoyère en Côte d’Ivoire a contribué à hauteur de 37% aux revenus d’exportation du pays, et a représenté 40% des exportations mondiales de cacao. Sur la même période, la production cotonnière au Bénin a contribué à hauteur de 24% aux revenus d’exportation du pays et n’a représenté que 1,1% des exportations mondiales de la matière. Il faut entendre par ces chiffres ce qui suit. Si la Côte d’ivoire stoppait sa production de cacao, alors 40% de la demande mondiale serait insatisfaite et le pays aurait un manque à gagner de 37% dans ses recettes d’exportations. Les deux parties perdraient donc autant et auraient tout intérêt à trouver un arrangement commun. Ce qui place la Côte d’Ivoire en position de force. En revanche, si le Bénin stoppait sa production de coton, le marché mondial ne ferait face qu’à un manque “négligeable” de 1,1% , alors que le Bénin se retrouverait lui amputé du quart de ses recettes exportation. Le rapport de force est donc clairement à l’avantage du marché. Si le cacao ivoirien est aussi important pour le monde que l’argent qui en est tiré pour la Côte d’Ivoire, l’argent du coton béninois est en revanche est 24 fois plus utile pour le Bénin que son coton ne l’est pour le monde. Le coton ne nous apporte donc que de maigres ressources (26 fois moins de devises que le cacao ivoirien), et en prime nous place dans une situation de soumission chronique à l’extérieur. C’est là tout le contraire de ce qu’est un avantage comparatif.

Il ressort de tout ceci que le Bénin est voué à rester à l’échelle de ses concurrents, un très petit pays producteur de coton. Aussi, le déséquilibre important entre sa contribution au marché mondial du coton, et la contribution du marché mondial du coton à son économie le place dans une situation des plus inconfortables. Cela rend en effet le pays fortement tributaire des vents extérieurs agissant sur les cours. Voilà en quoi, loin d’être un atout, la culture cotonnière est pour l’économie béninoise une véritable impasse.

2- Pourquoi le Bénin ne sera jamais une puissance agricole ?

L’idée du “coton-miracle” étant — je l’espère — désormais déclassée, il reste à déconstruire une autre vision insidieusement glissée dans l’imaginaire des béninois: le projet selon lequel le Bénin pourrait devenir une puissance agricole. A bien y voir, les nombreux arguments avancés en ce sens sont tout simplement fallacieux lorsqu’ils sont portés par des politiques, ou à tous égards fantaisistes lorsqu’ils sont portés par l’opinion. Le plus fréquent consiste à arguer que la vallée de l’Ouémé est la deuxième la plus fertile du continent après celle du Nil. Étonnement, le fait que cette affirmation soit vraie ou non importe en fait bien peu. En effet, l’équation de la performance agricole d’un pays embarque de nombreuses variables nouvelles dont la pondération est bien supérieure à celle de la fertilité supposée des sols. On peut citer par exemple les superficies exploitables, la qualité de l’aménagement des sols, la mécanisation des cultures ainsi que la maîtrise agronomique (semences et engrais). En clair, pour devenir une puissance agricole, avoir des terres fertiles ne suffit pas.

Pour devenir une puissance agricole, un pays a nécessairement besoin d’un marché vaste, capable d’absorber sa production. Ce marché peut être intérieur, comme c’est le cas de la France dont une part importante de la production agricole est transformée et consommée au sein même du territoire, ou extérieur comme c’est le cas de l’Argentine, grand producteur agricole dont l’essentiel de la production est destinée à l’export. Certains pays comme les Etats-Unis peuvent également jouir d’une combinaison de marchés intérieurs et extérieurs permis par un portefeuille de produits agricoles très varié. En comparaison, le Bénin ne dispose déjà pas d’un marché intérieur vaste. En capitalisant sur population de moins de 12 millions d’habitants en 2019, le pays est loin de pouvoir se hisser au rang d’une puissance agricole non pas mondiale, mais même africaine de seconde ou troisième zone. Il ne nous reste donc pour devenir une puissance agricole que la possibilité de nous reporter sur un vaste marché extérieur. Deux options s’offrent alors à nous : adresser le marché africain, ou adresser le marché mondial au-delà du continent.

Adresser le marché africain en produits agricoles

En Afrique, on peut considérer qu’il existe un grand marché intérieur à adresser. A elle seule, la CEDEAO représente un bassin de plus de 300 millions de consommateurs. Dans ce dernier, les besoins en produits agricoles sont essentiellement axés sur les produits vivriers tels que les fruits, les légumes et les céréales. Plusieurs éléments empêchent le Bénin de se positionner sur ces créneaux.

Premièrement, on note le fait que l’agriculture soit avant tout une affaire de superficie. Le Bénin faut-il le rappeler, ne dispose que d’un très petit territoire. Il en ressort que même dans l’hypothèse où l’ensemble de nos terres agricoles exploitables sont mises en culture, les produits de l’agriculture béninoise ne suffiraient toujours pas à nourrir le seul voisin nigérian. Aussi, le Bénin est loin de disposer d’un avantage comparatif par rapport à ses voisins sur le créneau de l’agriculture vivrière. En effet, la plupart des pays africains fortement consommateurs de produits vivriers en sont aussi producteurs, et surtout disposent d’une capacité de production largement au-dessus de la nôtre. Dans ce contexte, le scénario de la super-puissance agricole béninoise semble peu plausible. La projection selon laquelle le Bénin fournirait à la Côte d’Ivoire, au Burkina-Faso, au Nigeria, ou au Sénégal de la banane, du maïs, et de la tomate à grande échelle paraît donc invraisemblable à court terme, et clairement insoutenable à long terme.

Le Bénin ne dispose donc pas de surfaces suffisamment importantes pour alimenter les pays voisins en produits vivriers. Par ailleurs, ces mêmes pays voisins présentent pour la plupart des potentiels agricoles supérieurs au nôtre. Au vu ces conditions, on peut donc établir que le Bénin ne pourrait devenir une puissance agricole en nourrissant le marché national ou africain.

Adresser le marché mondial en produits agricoles

Sur le marché mondial, la demande porte essentiellement sur les cultures de rente massives (blé, riz, mais, soja…) et le Bénin n’a pas, ici non plus, le potentiel requis. Ce postulat en rupture avec une certaine forme de pensée dominante distillée par les politiques repose pourtant sur des arguments imparables : le Bénin n’a ni le profil agronomique, ni le profil géographique du champion agricole sur le marché mondial.

En termes de profil agronomique, les pays producteurs de culture de rente massives ont la particularité d’être très tournées vers les cultures céréalières. Le Brésil, la France, l’Argentine, les USA sont des champions en la matière. Dans ce domaine précis, force est de reconnaître que le Bénin ne dispose que d’un potentiel très modeste à l’échelle mondiale. Au-delà des contraintes climatiques qui rendent impossible la culture de grandes céréales comme le blé mou, l’avoine, ou l’orge, le potentiel du pays dans la culture de grandes céréales se résume au riz. Malheureusement, même sur ce produit, les capacités dont dispose le Bénin demeurent inférieurs à celui de pays comme le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, le Nigéria, ou le Ghana. Le Bénin n’a donc clairement pas d’avantage comparatif soutenable sur la durée en ce qui concerne les cultures de rente face aux autres pays.

D’un autre côté, en termes de profil géographique, l’agriculture de rente est par définition massive. Plus encore que la pratique vivrière, elle nécessite souvent des surfaces extrêmement importantes et donc des pays à grandes superficies cultivables. Les nations sud-américaines l’illustrent bien avec des exploitations au gigantisme croissant et un déboisement toujours accéléré. Sur la seule année 2018, le Brésil a ainsi emblavé en agriculture l’équivalent d’un million de terrains de football : c’est quasiment le quart des surfaces totales cultivées au Bénin depuis la nuit des temps. C’est là une compétition que nous n’avons aucune chance de gagner, et de laquelle il faut à mon sens se désengager pour des raisons économiques et écologiques. Toutefois, si nous souhaitons maintenir une production de rente au Bénin, elle devra se faire sur des cultures axées sur la qualité et pas la quantité.

Au regard de ces éléments, le Bénin ne peut donc en aucun cas envisager un futur agricole durable basé sur les cultures de rente. Le pays ne dispose en pas d’un marché intérieur vaste, ni de capacités agronomiques et géographiques caractéristiques des puissances agricoles. Il faut donc au plus tôt tordre le coup à la vision irréaliste qui consiste à penser le contraire. Plus tôt nous intégrerons cela, plus vite nous pourrons alors nous assigner de nouveaux objectifs réalistes, et non moins ambitieux.

3-Réformer l’agriculture béninoise

Les analyses précédentes introduisent deux inflexions majeures dans la vision de l’agriculture au Bénin. D’abord, elles démontrent que la culture cotonnière contrairement à la présentation qui en est faite constitue une impasse plutôt qu’un atout. Ensuite, elles déconstruisent l’idée selon laquelle le Bénin serait promis à un grand avenir agricole par-delà ses frontières. Ces transformations profondes de la pensée sur l’agriculture béninoise viennent effriter tout ce qui avait jusqu’ici constitué les piliers de la stratégie agricole nationale. En conséquence, tout ou presque est à reconstruire et la question de la nouvelle stratégie à adopter est entière.

Je propose que la nouvelle stratégie agricole béninoise tienne compte des contraintes et des faiblesses structurelles du pays, de son potentiel agricole peu quantitatif mais extrêmement qualitatif, et de sa situation géostratégique très intéressante. Sur la base de ces éléments, je propose une Nouvelle Politique Agricole béninoise basé sur 3 axes :

  • Le désengagement de la culture du coton au profit la construction d’une nouvelle filière du coton non plus agricole, mais autour de trois industries nouvelles : les intrants biologiques et chimiques, le filage, et le tissage
  • L’intensification des cultures vivrières et le développement d’une industrie agroalimentaire locale afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire
  • Le développement de cultures de rente à forte valeur ajoutée

1 — Le désengagement de la culture du coton au profit la construction d’une nouvelle filière cotonnière non plus agricole, mais autour de trois industries nouvelles : les intrants biologiques et chimiques, le filage, et le tissage

Du fait de sa pratique historique, la question de l’avenir de la culture du coton se pose de manière critique. Même si l’ensemble des raisons sus présentées en font un client peu défendable, l’empreinte économique et sociale de cette activité au Bénin est une réalité. Il faudra pourtant bien, si l’on veut rendre l’agriculture béninoise plus compétitive, repositionner la filière. A cette fin, deux options sont envisageables. La première consisterait à poursuivre la culture cotonnière dans laquelle nous n’excellerons jamais, et mettre en parallèle un coup d’accélérateur sur un autre secteur capable de le supplanter. La deuxième option correspondrait à un désengagement progressif mais déterminé de la culture cotonnière au profit d’un secteur nouveau à plus forte valeur ajoutée.

A mon sens, le premier scénario représente une nouvelle impasse. Maintenir l’engagement du Bénin dans la culture du coton même en souhaitant développer un autre secteur en parallèle est aussi le meilleur moyen de pas en sortir. En effet tant que cette ressource sera présente et continuera de rapporter des devises même maigres, il sera extrêmement difficile de mobiliser les acteurs du pays autour d’une nouvelle activité. Par ailleurs, vaut-il la peine pour nous de continuer à nous investir autant dans un produit qui en comparaison au cacao par exemple rapporte si peu ? Un produit dont nous ne serons jamais les premiers producteurs africains, et dont nous n’influencerons jamais les cours mondiaux ? II y a là à mon sens assez de questionnements et d’arguments en faveur d’une thérapie de choc. Il faudrait donc ranger la culture cotonnière progressivement au passé, au profit de son remplacement par un ou plusieurs nouveaux secteurs, qui idéalement capitalisent sur notre passé avec le coton.

L’industrie des intrants

Le premier segment industriel à attaquer est celui des intrants agricoles destinés à la culture du coton. Dans cette optique, le Bénin pourrait s’appuyer sur sa situation géostratégique de choix. Le pays dispose d’un accès à la mer, et est à la confluence de plusieurs voisins producteurs et exportateurs de coton parmi lesquels, le Burkina Faso, le Togo, le Mali, la Côte d’Ivoire, et le Nigéria. Faute d’une industrie d’engrais robuste dans la sous-région, tous ces pays importent aujourd’hui leurs intrants du Maroc (qui dispose d’un leader mondial en la matière, OCP), d’Espagne, ou d’autres pays d’Europe et d’Asie. Le Bénin peut donc saisir cette formidable opportunité de développer une industrie locale des intrants agricoles pour répondre à la demande sous-régionale. Cette option revêt également un intérêt stratégique fort dans la mesure où le pays ne serait plus un concurrent de ces voisins sur le marché déjà étroit de la vente de la fibre de coton, mais plutôt un fournisseur de ces derniers sur un marché encore vierge de tout acteur régional puissant. Et le Bénin dispose pour cela de plusieurs atouts. Le phosphate, matière première essentielle à l’industrie des engrais est disponible en abondance au Togo voisin. L’entreprise béninoise Phyto Collines a également démontré qu’il est possible de fabriquer à partir de matières premières végétales disponibles au bénin, des intrants agricoles entièrement biologiques et d’excellente qualité. Enfin, parmi les raisons qui militent pour le développement cette industrie, il y a le potentiel économique de ce marché. Les importations d’intrants agricoles au Burkina-Faso ont atteint en 2017 plus de 120 millions de dollars US. Un montant quasi équivalent aux 148 millions de dollars US que le Bénin a tiré des exportations de sa fibre de coton en 2017.

L’industrie du filage et du tissage

Au-delà de l’industrie des intrants, le Bénin pourrait également se positionner sur les phases en aval de la culture du coton. C’est même précisément au-delà du segment agricole de la chaîne de valeur que se situe 70 à 90% de la valeur ajoutée créée par la filière (source Oxfam). Pourtant dans la sous-région, les industries textiles se comptent sur le bout des doigts. En se positionnant sur ce créneau, le Bénin pourrait non seulement tirer une plus forte valeur de la filière coton, mais en plus développer un avantage comparatif du fait de l’état embryonnaire des industries textiles de ses voisins producteurs. Le Bénin pourrait ainsi saisir l’opportunité de développer une industrie du filage et du tissage du coton à l’image de celle de l’Egypte. Ce pays d’Afrique du Nord qui a produit 700.000 tonnes de coton en 2017 a tiré de l’industrie de la filature et du tissage $2,6 milliards de dollars US de devises. La même année, le Burkina-Faso avec une production de fibre équivalente n’en aura tiré que 181 millions de dollars en recettes d’exportations, soit 14 fois moins. L’industrie constitue donc sans surprise la grappe la plus valorisée de la filière cotonnière. Dans l’optique de la développer au Bénin, l’approvisionnement en matières premières sera assuré auprès les pays producteurs voisins. Grâce à son accès à la mer, le Bénin constitue déjà une destination intermédiaire naturelle du coton burkinabé dont seulement 5% est aujourd’hui transformé. Nous capitaliserons donc sur les infrastructures routières existantes pour l’approvisionnement des usines béninoises, et améliorerons le cadre logistique au fur et à mesure de l’augmentation de nos capacités de transformation. L’appartenance de la plupart des pays producteurs à la CEDEAO ou l’UEMOA lève également d’importantes barrières douanières et monétaires au commerce. Aussi, les industries du filage et du tissage étant restées largement mécaniques, le Bénin ne devrait pas rencontrer de grandes difficultés à acquérir les matériels, les installer, les exploiter, et les maintenir. Ces industries présentent aussi l’avantage d’employer une main d’œuvre abondante pouvant être peu qualifiée, conférant à ce projet une portée à la fois stratégique, économique, et sociale très forte. Enfin, comme l’indique ce rapport de l’ONUDI, la mise en place de ces unités industrielles représentent un investissement tout à fait à la portée d’un pays comme le Bénin. Toutes les informations sur la faisabilité de ce projet, les coûts associés, la gestion, et la commercialisation de la production sont d’ailleurs contenues et détaillées dans le rapport de l’ONUDI sus cité. Grâce à ce repositionnement industriel, le Bénin pourrait multiplier les revenus tirés du coton par 20. Ces derniers passeraient ainsi de 148 millions de dollars US générés en 2017 à près de 3 milliards par an d’ici 7 à 10 ans.

2 — L’intensification des cultures vivrières et le développement d’une industrie agroalimentaire locale afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire

Si comme nous l’avons montré, le Bénin est incapable d’adresser le marché international avec une agriculture à l’échelle. Il est en revanche parfaitement capable d’adresser son marché intérieur et d’assurer son autosuffisance alimentaire. Mieux, le pays est même capable au vu de sa faible population de réaliser des excédents de production qui satisferaient une partie de la demande des pays voisins. En effet, sur l’essentiel des produits utilisés dans l’alimentation au Bénin, une grande partie est encore importée de l’étranger. C’est le cas de différents fruits et légumes régulièrement importés des pays voisins comme la tomate qui en temps de pénurie abonde du Burkina-Faso. Le même constat est fait sur certains produits manufacturés de première nécessité comme la tomate en conserve, l’huile de cuisine, le sucre, le lait, des produits à base de blé dur, etc. Il y a sur ces produits non seulement une demande importante du marché intérieur, mais aussi une opportunité de fournir même très partiellement les marchés extérieurs voisins. Pour preuve, le Bénin, porte d’entrée vers les pays de l’hinterland mais aussi vers le Nigéria affiche des chiffres d’importations affolants. En 2017, le Bénin a importé pour sa consommation propre et celle de ses voisins :

  • 437 millions de dollars US d’huile de palme (faisant de lui le troisième importateur du continent derrière l’Egypte et le Kenya)
  • 372 millions de dollars US de riz
  • 168 millions de dollars US de sucre
  • 47,3 millions de dollars US de pâtes
  • 37,4 millions de dollars US de tomate concentrée

En développant les cultures de la tomate, de la canne à sucre, du blé dur, et du riz, le Bénin pourrait donc non seulement répondre à la demande de son marché intérieur, mais aussi déverser ses surplus de production sur les marchés voisins où la demande est colossale. Nous pourrions pour cela nous appuyer sur toutes les terres anciennement consacrées au coton qu’il faudra réaffecter, ainsi que sur les vastes vallées dont dispose le pays. C’est là un projet dont la portée est à la fois stratégique (parce que nous gagnerions en autonomie alimentaire), économique (parce que nous préserverions nos réserves de change), mais surtout sociale (parce qu’il mobiliserait une main d’œuvre massive, jeune, et peu qualifiée sur toute l’étendue du territoire national).

Face à cette perspective, l’on pourrait toutefois être tenté de me faire remarquer que l’une des motivations clés de l’agriculture de rente est de permettre au pays d’obtenir des devises, et que l’abandon progressif du coton pourrait donc faire peser un certain péril sur nos réserves de change. Dans les faits, il s’agit d’un risque mitigé : les exportations de coton et de cajou réunies ont rapporté au Bénin en 2017, 290 millions de dollars US. En face, rien que nos importations de riz ont pesé sur la même période 372 millions de dollars US, laissant ainsi un solde de devises négatif de 82 millions de dollars. L’équation pour préserver nos réserves de devises reste donc largement en faveur d’un ralentissement de nos importations au profit du développement de nos capacités de production agricoles et industrielles internes.

En termes d’exécution de ce projet, le chemin à emprunter pour développer l’agriculture vivrière africaine et béninoise est connu et balisé de longue date. Le sujet n’a été que trop traité dans les cadres institutionnel (rapports commandités par le Ministère de l’Agriculture du Bénin, la FAO, différentes commissions des Nations Unies, le CIRAD, le centre AfricaRice, la CEDEAO, l’Agence Française de Développement et j’en passe), universitaire (des centaines de mémoires d’étude et de cahiers de recherche abordent les problématiques liées à la question), et littéraire (confère entre autres l’ouvrage “Fondements Economiques et Culturels d’un Etat d’Afrique Noire”, écrit par le grand Cheikh Anta Diop, et publié aux éditions “Présence Africaine” en 1960).

Pour tirer le meilleur de cette agriculture vivrière projetée, il faudra lui adosser une industrie légère, capable de transformer les produits issus de nos champs. Il pourrait s’agir de conserverie de fruits et légumes, de minoteries, de raffineries de sucre, de brasseries, et d’unités de transformation des différentes céréales locales (mais, riz, mil, sorgho, fonio…). Ces projets représentent des investissements tout à fait à la portée du Bénin, et ils ont en plus la propriété d’être modulaires. C’est à dire que nous pourrons les redimensionner à la hausse au rythme de l’évolution de la demande sur les marchés intérieur et régional .

Pour assurer la compétitivité de ces projets, plusieurs mesures devront être prises. Par exemple, des hausses de tarifs douaniers pourraient être envisagées sur les importations des produits concurrents. Des mesures de limitations des exportations pourraient également être prises comme ce fût le cas au Sénégal ces dernières années pour soutenir les industries locales du sucre (Compagnie Sucrière Sénégalaise) et du riz (Compagnie Agricole de Saint Louis). Enfin, la mise en œuvre d’une politique d’industrialisation exigera une augmentation de la capacité énergétique, notamment dans l’intérieur du pays, ainsi que le développement de partenariats stratégiques avec des pays comme la Chine, l’Inde, la France et l’Allemagne. Cela nous assurera un accompagnement sur les volets :

  • agronomiques (amélioration de la performance des cultures, mécanisation de l’agriculture, …)
  • infrastructurel (gestion de la logistique de bout en bout, construction des usines, ingénierie hydraulique et électrique, …)
  • technologique (matériel de transformation, technologies de packaging, …)

Si ce projet est concrétisé, nous pourrons alors stabiliser et créer des centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture, en créer de nouveaux dans l’industrie, et générer une valeur ajoutée de près de 500 millions de dollars par an au profit de l’état grâce aux différentes sources directes et indirectes de collecte publique. Le Bénin tirerait ainsi le meilleur de ses sols : l’indépendance alimentaire plutôt que la servitude économique à laquelle nous nous condamnions jusqu’ici avec le coton.

3— Le développement de cultures de rente à forte valeur ajoutée

S’il est difficile pour le Bénin de se positionner sur des cultures de rente massives comme nous l’avons exposé, certaines cultures de rente à forte valeur ajoutée sont tout à fait envisageables. Ces dernières ont la particularité de nécessiter des surfaces de culture moins importantes que les produits de rente classiques, et des climats spécifiques rendant leur zone de culture particulières voire exclusives. Dans de telles configuration le Bénin peut honorablement espérer tirer son épingle du jeu en gagnant une part de marché importante tout en générant une valeur considérable. La noix de cajou en fournit une belle illustration car le pays en tire aujourd’hui des revenus comparables à ceux du Coton (2017 : 141 M$ vs 148M$) avec des superficies emblavées deux fois plus faibles (2017 : 280 000 ha vs 520 000 ha. Dans la même vision, plusieurs autres cultures pourraient être introduites au Bénin :

  • la vanille : Madagascar et les Comores sont à date quasiment les seuls pays du continent à cultiver cette gousse dont les prix atteignent des sommets. La cultiver au Bénin offrirait au marché occidental un fournisseur alternatif à ces îles, car politiquement plus stable, et géographiquement plus proche (Cotonou est à environ 6 heures de la plupart des capitales européennes contre plus de 10 heures pour Antananarivo par exemple)
  • le cacao : Même si le continent a déjà largement remporté le combat de la fève du point de vue de la quantité, il n’est encore que très peu présent sur le terrain de la qualité. Là, ce sont bien les pays sud-américains qui mènent les débats. Il y a donc un marché de la fève africaine d’exception à construire. Nous pourrions donc saisir cette opportunité de proposer un cacao aux arômes complexes dont les prix atteindraient ceux observés sur les fèves malgaches et équatoriennes, vendues deux à trois fois plus cher que celles ivoiriennes.
  • la pistache, la noix de macadamia : à l’image des noix de cajou, ces deux noix sont très fortement valorisées. Leur production est également concentrée dans quelques régions du monde (Iran et USA notamment), ce qui offre une opportunité aux nouveaux pays qui les cultiveront d’intégrer un cercle restreint où la demande n’est pas prête de tarir.
  • le karité : à l’heure où le naturel devient le maître mot dans l’industrie cosmétique, le Bénin a une carte à jouer en faisant la promotion de ce produit. Déjà largement cultivé dans le pays, le karité pourrait bien devenir un produit signature du pays si une bonne stratégie de communication lui est associé. Le karité est en effet un produit relativement encore confidentiel, et dont la trajectoire pourrait si les moyens y sont mis se rapprocher de celle de l’huile d’argan dont le Maroc tire aujourd’hui des revenus importants.

Conclusion

Voilà tracée une vision projective de ce que pourrait être la nouvelle stratégie agricole béninoise. Une politique gouvernée par la réflexion plus que l’histoire, axée sur des cultures de rente à très forte valeur ajoutée, au service de l’autosuffisance alimentaire nationale, et portée par des industries chimique, cotonnière, et agroalimentaire fortes. Tout ceci constitue déjà un important portefeuille de leviers au service du développement du pays. Pour aller encore plus loin, l’économie béninoise devra se renforcer dans les services où là encore, il me semble manquer au pays une politique de long terme ambitieuse et cordonnée. Cela fera je le souhaite, l’objet d’un nouvel essai.

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Naofal Ali
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