Fluidifier le parcours client.

Emilie Larose
Napoleon Agency
Published in
8 min readJul 5, 2018

Une application mobile ou une borne sont autant de solutions imaginées pour réduire les temps d’attente dans les points de vente. C’est ce que Val d’Isère a proposé à ses clients pour leur éviter de faire la queue. C’est une bonne idée sur le papier, et pourtant, lors de son lancement les achats via le site mobile n’étaient pas au rendez-vous. Un problème d’interface ? Peut-être, mais identifier les causes d’un frein à l’usage c’est aussi étudier son contexte et l’éco-système dans lequel il s’inscrit. Nous avons donc analysé les comportements des utilisateurs en station de ski pendant 5 jours.

Napoléon Agency, c’est une agence parisienne fondée en 2011. Nous sommes une trentaine de collaborateurs passionnés par le design et l’Homme. Afin de concevoir des services, des dispositifs et des expériences passionnantes, nous étudions l’humain en mêlant les expertises : psychologie, ergonomie, sociologie des usages, ethnographie, design et direction artistique.

Dans ce cadre, nous accompagnons Val d’Isère Téléphérique depuis 3 ans dans un projet de fond visant à moderniser et connecter le village pour devenir une e-station de ski. L’objectif de la démarche est de simplifier le séjour des clients en leur faisant vivre une expérience aussi agréable que possible.

Les vacances au ski : un privilège qui n’est pas à la portée de tous.

Seulement 8% des Français partent en vacances au ski une année sur deux. En moyenne, une semaine de vacances dans les Alpes au mois de février coûte 900€ par personne.

Le forfait de ski est une dépense incontournable : c’est la carte qui permet aux clients d’accéder au domaine skiable et aux remontées mécanique. Cette dépense représente 15 à 20% du budget des vacances. Pour une famille de 4 personnes, un forfait à la semaine vaut quasiment 1000 euros.

Fluidifier le parcours client en le digitalisant est une priorité pour la station.

Les services que proposent les stations de ski à leurs clients doivent être à la hauteur du budget qu’ils y consacrent. Partir au ski est un luxe, l’expérience utilisateur doit être au rendez-vous.

En 2016, la STVI a donc créé un nouveau service : le site mobile GoSki. Il permet aux clients d’acheter des forfaits de ski en totale autonomie. Ce dispositif à la fois physique et digital propose le process suivant :

  • le client se rend en point de vente,
  • prend une carte vierge sur un distributeur en libre service,
  • il se connecte sur le site GoSki depuis son smartphone
  • il achète un forfait grâce au numéro de la carte.
  • La carte est alors chargée et peut être utilisée instantanément.

La promesse de ce service est d’éviter la queue en caisse en obtenant un forfait instantanément avec la possibilité de le recharger autant de fois que possible via son mobile.

Un lancement du concept peu concluant.

Lors de sa mise en place sur les différents points de vente, le concept est très peu utilisé. Des agents de vente dédiés incitaient les clients à utiliser le site mobile en leur expliquant la procédure et les bénéfices du canal. Malgré cela, les premiers constats furent décevants, les clients semblaient réticents à utiliser le dispositif.

C’est dans ce contexte que Napoléon est sollicité : dans l’objectif d’augmenter le volume d’achat de forfait de ski sur mobile. Les premières intuitions de Val d’Isère étaient les suivantes : l’interface mobile n’est pas efficace et doit être retravaillée. Un audit ergonomique permettra de faire un état des lieux de ce qui fonctionne ou non.

La méthodologie que nous avons proposé : un dispositif d’étude 360°.

Ce site mobile s’utilise dans un contexte spécifique, aussi une démarche d’étude cohérente a du être pensée.

Notre proposition d’accompagnement visait à élargir la vision en ne nous focalisant pas uniquement sur le dispositif digital. Il nous paraissait fondamental de comprendre l’écosystème dans lequel s’inscrivait ce canal de vente, d’identifier les différentes cibles, les parcours clients, les différents points de contact, les stratégies mises en place par la STVI…

En réponse à la problématique soulevée, nous avons proposé une intervention en deux temps : audit ergonomique et étude ethnographique.

Ce que le terrain nous a appris :

Le parcours est semé d’embuches

Le contexte des vacances au ski c’est le grand air, les journées ensoleillées et les soirées au coin du feu, la passion assumée pour la charcuterie et le fromage, les performances sportives des grands et des petits mais aussi des instants partagés en famille ou entre amis. Malgré ce tableau idéal, le parcours pour arriver à cela est parfois chaotique!

Entre le transport avec des enfants impatients, la recherche des différents points de contact et l’attente répétée, le transport des courses, du matériel et la découverte du village, l’arrivée en station est souvent anxiogène. Elle se traduit en moment stressant et parfois se transforme en réelle crise de nerf en publique.

Les clients enfin arrivés, installés et fatigués, le dernier touch point du parcours est l’achat du forfait. L’étape est délicate, puisqu’elle survient après cette série de lourdes tâches et qu’elle demande pourtant de la lucidité. Elle engendre des dépenses allant de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros. C’est l’instant où il faut faire le bon choix, se sentir guidé, accompagné et conseillé.

Que se passe t-il en point de vente ?

Arriver en point de vente avec l’objectif d’acheter un ou plusieurs forfait(s) c’est avoir besoin de garanties concernant :

  • le contexte du séjour (la météo de la semaine, l’enneigement, l’ouverture des différentes pistes du domaine…)
  • la meilleure offre selon ma situation (je suis seul, en famille, je skie tous les jours ou non, j’ai pris des cours de ski ou non, je suis débutant ou confirmé…)
  • le fonctionnement d’un forfait (matérialisation du forfait, assurances, service après vente…)

Arriver en point de vente, c’est aussi avoir besoin de conseil pour les non initiés qui se dirigeront spontanément vers les guichets physiques. Le contact humain avec l’agent sera un instant crucial et permettra de leur assurer que ce qu’ils achètent répond bien à leurs attentes.

Pour les initiés, préférer utiliser une borne en libre service peut être une solution de repli en cas de forte affluence en point de vente.

Enfin, arriver en point de vente ce n’est pas sortir son mobile pour acheter un forfait :

  • Les lunettes de soleil et la luminosité compliquent l’usage
  • Les étrangers (60% de la clientèle Val d’Isère) ne veulent pas utiliser leur data
  • le froid vide la batterie d’un smartphone extrêmement rapidement
  • L’encombrement du matériel (gants, bâtons…) ne facilite pas la prise en main d’un téléphone.

Ce parcours client régit par un point de départ physique en point de vente n’est pas cohérent avec comportements clients. De nombreux points de contacts identifiés sur le parcours client sont autant de moments d’attente qui pourraient être mis à profit en achetant son forfait en amont depuis son smartphone.

Ce constat amène à penser que le dispositif GoSki n’intervient pas au bon moment dans le parcours client. Le proposer dans les agences de location de logements, dans les hôtels, dans les restaurants pourrait sensiblement améliorer l’expérience client.

Des problèmes de spatialisation recensés, mais qu’en est il de sa formalisation ?

La forme du dispositif pose des problèmes de perception et de compréhension. Les hypothèses sur l’utilisation du service sont la plus part du temps très éloignées de l’usage réel qu’il offre. La quasi totalité des clients interviewés lors du terrain ne comprenaient pas la démarche. Des questions se posaient : le forfait est il directement sur le téléphone ? Que faire en cas de perte de la carte sans justificatif papier (comme les fournissent les autres canaux) ? Pourquoi les offres ne sont pas les même depuis GoSki que sur les autres canaux?

Concernant la clientèle étrangère, d’autres freins étaient identifiés : des problèmes de compréhension des informations textuelles (en français pour la plupart, et traduites dans un anglais approximatif) et des problèmes d’accès à internet.

Enfin, les présentoirs GoSki montraient des problèmes de visibilité. Malgré leur couleurs rouge, ils étaient placés dans des recoins et souvent utilisés comme repose ski donc invisibles. Les cartes à disposition n’étaient pas visibles ni accessibles.

Qu’avons nous proposé pour améliorer l’expérience ?

D’un point de vu global, nous avons accompagné Val d’Isère sur un travail de simplification de l’offre et d’optimisation des différents canaux de vente.

Spécifiquement sur GoSki, nous avons retravaillé sa formalisation pour rendre le service plus compréhensible. Concernant la spatialisation des points de contact GoSki (les points de vente) nous avons mis en place des distributeurs de carte plus en amont du parcours; sur les points de contacts identifiés lors de l’étude: les hôtels, les agences immobilières, les magasins de location de ski, la gare routière.

En 2017, nous avons mené une nouvelle étude ethnographique pour observer les éléments mis en place depuis la saison précédente et les optimiser à nouveau. Les premiers chiffres ont montré que la mise en place de distributeurs dans les hôtels ont permis d’augmenter considérablement le chiffre d’affaire sur ce canal.

Quel enseignement ?

Avant de se focaliser sur un problème précis, ouvrez le périmètre d’intervention. Débarrassez vous de vos a priori et gardez en tête que l’action est située, c’est à dire qu’elle s’inscrit dans un contexte d’usage avec des cibles différentes, des contraintes externes, des usages spécifiques et bien d’autres paramètres.

Avant de repenser le design d’une interface, allez étudier le problème à la source et allez à la rencontrer de vos clients : observer les, questionnez les. Cette méthode vous permettra de gagner du temps mais aussi de faire des économies :)

Emilie Larose.

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Emilie Larose
Napoleon Agency

Directrice de la recherche utilisateur, UX research lead @NapoleonAgency • UX speaker @Gobelins