Escapade viticole en Judée

Mathias Richemond
Vin Naturel
Published in
6 min readJan 8, 2018

Lors d’un récent séjour en Israël, j’ai eu l’occasion de passer une journée dans les collines de Judée. Cette région se situe à une quinzaines de kilomètres à l’ouest de Jérusalem et est donc facilement accessible. Il s’agit d’une région très vallonnée dont les plus hautes collines montent jusqu’à 700–800m d’altitude. Cette région jouit ainsi d’un climat plus tempéré, favorable à l’apparition d’une végétation luxuriante. A peu de choses près, on dirait le maquis corse !

Un peu couvert ce jour-là

C’est dans ce contexte géographique propice à la culture de la vigne que de nombreux vignerons se sont installés depuis 20 ans. Evidemment, la production de vin est plus que millénaire en Israël, mais le renouveau du vignoble israélien est relativement récent.

Compte tenu du climat, la plupart des vignerons en Israël ont opté pour des cépages résistant aux fortes chaleurs. C’est là qu’on retrouve nos amis bordelais, les cabernet sauvignon, merlot, cabernet franc, petit verdot et malbec. En rouge on trouve aussi pas mal de Syrah (ou Shiraz, comme vous voulez, le débat n’a aucun intérêt), et un tout petit peu de pinot noir. Ce dernier est rare car trop fragile, il pousse donc surtout dans le Golan. En blanc, on trouve principalement du chardonnay, du sauvignon, un peu de roussanne et une touche de viognier (Yatir en produit une cuvée notamment).

Si on veut un peu caricaturer, le vin israélien est globalement cher, très costaud et bien boisé. On peut blâmer, mais ce ne sont vraiment pas les seuls à avoir céder à la mode du Parker-style, le « full body wine » qui tabasse bien. Mais mais mais… il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Le terroir israélien est relativement riche dans un si petit pays, et certains vignerons essayent de renouveler l’offre en travaillant avec davantage de soin, et surtout en respectant un peu plus leur terroir et l’environnement. On ne trouve pas encore de vin bio, biodynamique ou naturel en Israël, mais des avancées notables en la matière sont apparues ces dernières années.

J’ai pu visiter 2 domaines : Tzuba et Katlav.

Tzuba est un vignoble de 45ha situé sur les terres d’un kibbutz et est détenu par Paul, un sympathique sud-africain qui avait déjà un pied dans le vin dans son pays d’origine. Ses techniques sont relativement classiques : démarche « raisonnée », levurage (obligatoire selon lui car les indigènes ne survivent pas) et bois neuf. La gamme de vin correspond à ce que l’on trouve habituellement dans la région. Nous avons pu goûter 4 vins :

  • Bordeaux blend : pot pourri de cépages bordelais avec dominante de cabernet sauvignon. 100% de fûts neufs ce qui ne passe pas inaperçu évidemment. Pas mal mais sans plus.
  • Syrah : aucune surprise sur les notes gustatives du vin, pur classique du genre. Pas désagréable mais manque un peu de fraicheur.
  • Malbec (cuvée PM) : déjà plus intéressant car beaucoup moins boisé et plus fruité. On en a pris 2 bouteilles du coup.
  • Chardonnay : classique du genre, tout ce qu’on peut attendre d’un chardonnay du nouveau monde avant même de l’avoir goûté. C’est pas désagréable cela dit et ça s’ouvre tranquillement à l’apéro.
La cuverie de Tzuba

Paul était très accueillant et m’a autorisé à visiter sa cuverie et son chai, tous deux de taille modeste. On sent bien la difficulté de faire du vin dans cette région escarpée et le travail que cela peut nécessiter. Des « shomrim » (littéralement gardiens en hébreu), supervisaient la mise en bouteille et s’assuraient à tout instant que le vin reste casher. Paul, qui n’est pas religieux, n’a pas le droit de toucher son propre vin ! Un comble pour un vigneron. Il avait l’air un peu paniqué que je rentre dans la cuverie, et n’a pas manqué de me glisser « you pay what you touch ». Paul a admis être en train de passer en biodynamie sur une parcelle et de tester de nouvelles méthodes. C’est très courageux de sa part, et cela mérite de continuer à suivre le travail de ce vigneron indépendant.

Tzuba utilise une majorité de fûts neufs français

Katlav est situé dans le grand moshav de Nes Harim. Il s’agit d’un plus petit domaine détenu par Yossi Itach, un homme affable et délicat. Nous avons pu déguster 4 vins avec un couple d’américains relativement insupportables, qui avaient cette fâcheuse tendance à se prendre pour des experts (je ferai un article un jour sur ce sujet de l’expertise…). Bref, voici les vins dégustés :

  • Rosé : très forte première impression. Ce rosé envoie du lourd. Il s’agit d’un mix de cépages bordelais vinifiés en blancs. On retrouve donc du pur fruit et de la structure quasi tannique, sans la lourdeur associée. Ca se boit très bien.
  • 100% Petit Verdot : assez intéressant, bien structuré, avec des tanins bien fondus malgré la jeunesse du vin. Je n’avais jamais gouté un vin uniquement composé de petit verdot auparavant donc je n’avais pas beaucoup de points de repères.
  • 100% Syrah : au départ j’étais pas vraiment convaincu, mais la finale longue et fraiche (légèrement mentholée), apportait un équilibre bienvenu à ce vin bien fait. Aucune comparaison avec le précédent ! Là, on retrouve une vraie expression de terroir, et la minéralité des roches pauvres des collines de Judée.
  • Cabernet Sauvignon Single Vineyard : apparemment une de leurs cuvées phares. Au départ fermé mais, au bout d’une demi heure et de crampe au poignet, ça envoie ! Pour la première fois sur un vin israélien je retrouve les caractéristiques gustatives d’un grand bordeaux.
Une des bouteilles de la dégustation, assez original

Yossi nous rejoint ensuite pour discuter et c’est là que la magie opère, tant la passion du type est contagieuse. Il n’utilise jamais de bois neuf. C’est une différence fondamentale qui le distingue de ses camarades, et qui explique — en partie — pourquoi j’ai largement préféré cette dégustation à la précédente. Son élevage est lent, pas moins de 24 mois et parfois jusqu’à 5 ans ! Il produit plein de cuvées différentes au gré de ses envies, de ce qu’il a en fûts et des millésimes. Il nous a montré quelques barriques gentiment assises là depuis 2012, qu’il garde pour une cuvée d’exception. Cette démarche est géniale. On laisse le vin en fût s’exprimer, et ensuite on voit. Yossi ne soufre que très peu ses vins ce qui se traduit par de très faibles doses résiduelles après la mise en bouteille. Sa cuverie est minuscule et ses fûts sont éparpillés à droite à gauche. Il a tout construit lui-même, en prenant soin d’isoler les bâtiments contre les fortes chaleurs estivales. Ce type a une passion communicative et ne compte pas ses heures pour sortir des vins fins et élégants. Les prix sont tout de même très (trop ?) élevés et nous ont surpris. Le dernier vin — le meilleur parmi ceux dégustés — était à 85 euros la bouteille tout de même. A titre de comparaison, c’est le prix d’un excellent châteauneuf-du-pape (Clos des Papes ou Domaine Pégau).

C’est donc avec un nouveau regard que nous avons quitté la région. Il existe de nombreux autres vignobles intéressants, comme par exemple Flam, Tzora, Sea Horse, Bravdo, Moni, etc. que nous retournerons visiter.

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