Le bois : pour quoi faire ?

Mathias Richemond
Vin Naturel
Published in
7 min readJun 21, 2016

Initialement utilisé pour transporter le vin, les fûts (ou barriques, selon la région) en bois sont devenus des éléments essentiels dans le processus de vinification. Une grande majorité des vignerons aujourd’hui ne peuvent s’en passer dans la phase d’élevage du vin, c’est à dire sa mise en barriques pendant plusieurs mois afin d’en affiner la saveur et d’accroître sa complexité.

Il y a plusieurs raisons qui ont poussé à l’utilisation de barriques en bois, principalement du chêne.

  • Premièrement, le bois, matériau poreux, permet de faire respirer le vin par contact avec l’oxygène. Ce contact est très diffus et permet ainsi une oxydation lente et maîtrisée. Cela peut aussi laisser aux levures le temps d’agir sur le vin et d’en terminer la fermentation;
  • Deuxièmement, le bois permet de faire reposer le vin et de faire en sorte que le dépôt résiduel du vin (les lies — composées de levures et bactéries) se sédimente au fond du tonneau. On parle alors d’un élevage sur lies;
  • Troisièmement, le bois permet un transfert de tannins. Au contact du vin, le bois, qui a été “chauffé” au préalable — nous reviendrons sur ce point — libère des tannins qui donneront au vin un boisé plus ou moins prononcé. Le bois participe ainsi pleinement à la complexité du vin.

La mise en barrique à l’issue des processus de fermentation permet “d’élever” le vin, c’est à dire de le faire atteindre sa maturité gustative. Il s’agit de la phase la plus longue et qui requiert le plus de patience. L’élevage peut aller de 6 à 36 mois (parfois plus), selon les contraintes du millésime, du cépage, et des contraintes économiques du vigneron. En général, plus l’élevage est long, plus le vin gagnera en complexité mais ce n’est pas un règle gravée dans le marbre. De toute manière, au bout d’un certain temps, le bois arrête de donner des tannins et le vin peut aussi s’exposer au risque d’une trop grande oxydation.

Comment fabrique-t-on un tonneau ?

Vidéo de la tonnellerie Damy décrivant l’ensemble du processus de fabrication d’un tonneau

La fabrication d’un tonneau est un processus artisanal complexe requérant une très grande maîtrise et beaucoup d’expérience. Il s’agit d’un assemblage de “planches” de chêne massif assemblées en arc de cercle, puis chauffées et pliées afin de former un tonneau. Le chêne qui sert à la confection du tonneau aura au préalable reposé 18 mois en extérieur afin de retirer au bois ce goût “vert” qui pourrait nuire au vin.

La chauffe est la phase la plus technique et la plus fondamentale pour la vinification. Le tonneau est placé autour d’un feu qui permet de “toaster” le bois, c’est à dire d’en extraire tous les arômes et tannins possibles. Le type de bois de chauffe utilisé ainsi que la durée de la chauffe sont déterminants. En général, le type de chauffe appliqué aux tonneaux est décidé entre le tonnelier et le vigneron, selon le style de boisé recherché pour le vin. Tout au long de la chauffe, le bois est humidifié afin qu’il ne brule pas ou ne cède pas sous la chaleur. Cela permet de contrôler la chauffe et d’assouplir le bois afin de lui donner ses courbes et de pouvoir le fermer. Plusieurs types de chauffes existent selon le style que le vigneron souhaite donner à son produit :

  • Chauffe faible (30 mn à 120°- 130°) : beaucoup de tannins et peu de substances aromatiques (arôme légèrement vanillé).
  • Chauffe moyenne (35 mn à 160°- 170°) : la synthèse d’arômes est intense, maximale, avec un apport de tannins normal (vanille et arômes variétaux).
  • Chauffe moyenne forte (45 mn de 180 à 190°) : notes vanillées plus intenses, coco, légèrement torréfié (intéressant pour la fermentation malolactiques en barriques).
  • Chauffe forte (45 mn de 200 a 210°) : des notes de brûlé et de caramel sont très présentes, mais la complexité est moindre que lors d’une chauffe moyenne (intéressant pour les liquoreux).

Plusieurs types de tonneaux sont fabriqués : les barriques bordelaises contiennent 225 litres alors que les pièces bourguignonnes contiennent 228 litres. Chaque région dispose de ses propres types de tonneaux. On trouve régulièrement chez les vignerons des demi-muids qui contiennent de 500 à 600 litres. Les foudres (les plus grands tonneaux, jusqu’à 1000 litres) sont également répandues dans certaines régions. Ci-dessous un petit lexique pour s’y retrouver :

  • Barrique Bordelaise : de 225 l, c’est certainement le tonneau le plus fabriqué et distribué en France et dans le monde.
  • Pièce Bourguignonne : largement distribuée également, sa contenance est de 228 l. Plus petite en hauteur, son ventre est plus galbé que la barrique bordelaise.
  • Muid et demi muid : d’une contenance variable, allant de 400 à plus de 1000 litres en fonction des régions où ils sont utilisés.
  • Foudre : tonneau de grande capacité allant de 1000 litres pour le foudre de Moselle et jusqu’à la plus grande foudre en chêne du monde : 1.000.200 litres, 100 tonnes à vide, 12,5 m diamètre entreposée dans les Caves Byrrh.
  • Pièce Champenoise : contenance de l’ordre de 206 litres.
  • Feuillette : équivalent à une demi-barrique, soit de 110 et 130 litres.
  • Quartaut : équivalent d’une demi-feuillette, soit environ 55 litres.
  • Queue : d’une contenance variable, généralement équivalente à une double barrique, soit 456 litres environ pour la queue de Bourgogne.
Petite vidéo intéressante sur la fabrication d’une très grosse foudre

Une simple mode ?

Avec l’introduction de nouveaux matériaux pour réaliser les cuves (béton et inox), l’utilisation des tonneaux en bois était un peu tombée en désuétude. Il est important de noter qu’un fût est un objet très couteux pour le vigneron : en moyenne, une barrique bordelaise de 225 litres coûte entre 600€ et 650€. Le coût de l’utilisation des fûts représente ainsi une part non négligeable du prix d’une bouteille de vin. Utiliser des tonneaux entraîne également des pertes car le bois absorbe une partie du liquide et le contact et car l’oxydation entraîne une évaporation lente. On comprend mieux que seuls les grands domaines peuvent se permettre d’utiliser chaque année 100% de fûts neufs pour l’élevage de leur production.

Malgré le coût important de l’utilisation du bois, celui-ci est devenu un élément essentiel dans la valorisation d’une production. Il permet d’accroitre la complexité d’un vin et d’en affiner la rondeur et l’équilibre. Mais, le bois est également utilisé comme une mode. Avec le fort intérêt du monde entier pour les vins français, de nombreux guides ont cherché à noter et à classer les vins et à établir ainsi une hiérarchie des producteurs. Quelques critiques ont ainsi réussi à concentrer entre leurs mains le pouvoir, chaque année, de faire ou défaire des vins. Parmi ces critiques stars, Robert Parker est indéniablement le plus influents d’entre eux. Il a contribué à la renommée et à la fortune de nombreux vignerons, mais s’est également fait de solides ennemis dans la profession, en imposant un style caractéristique. Ce style, très boisé et tannique, a ainsi conduit de nombreux vignerons à se forcer à “fabriquer” ce type de vins et à utiliser du bois neuf en grande quantité. Le goût Parker a malheureusement contribué à l’uniformisation des vins de Bordeaux, la région dans lequel le critique a eu le plus d’influence.

L’utilisation du bois a donc en quelque sorte répondu à une mode. A ceux qui ne pouvaient se permettre d’utiliser des fûts neufs, l’utilisation de copeaux de bois dans les cuves s’est imposé comme une alternative du pauvre. Pour d’autres, l’utilisation de procédés chimiques a fait le reste. On peut critiquer les guides pour avoir uniformisé les vins mais les vignerons sont nombreux à vivre aussi de la renommée que ces guides apportent. Le vin a besoin d’être gouté, comparé, critiqué, mais le système de notation sur 100 ou 20 est peut-être un carcan trop étroit pour un breuvage censé exprimer la complexité d’un terroir.

Quelles alternatives au bois ?

Aujourd’hui, plusieurs vignerons refusent de se soumettre à ce diktat du bois, imposé notamment par les critiques et les guides. Ils ne refusent pas forcément par rebellion, mais aussi parce que le bois ne leur donne pas entière satisfaction sur le plan de l’élevage, du respect du terroir et sur le plan financier. Certains vignerons défendent ainsi fermement que le bois nuit à la pleine expression du jus issu de leur raisin, en apportant une dose d’artifice et une lourdeur non souhaitables.

Reportage de France 3 sur l’élevage de vins en amphores

Une alternative crédible au tonneau est l’amphore. L’amphore est un matériau naturel, poreux et inodore qui permet ainsi une oxydation lente et maitrisée sans apporter au vin le goût caractéristique de bois. De plus en plus de vignerons adoptent cette méthode en réalité très ancienne. Par exemple, Jean-Claude Lapalu, vigneron bio dans le Beaujolais, a adopté avec succès cette méthode d’élevage pour certaines de ses cuvées. Ses vins sont extraordinairement concentrés et complexes (fait remarquable lorsque l’on vinifie du gamay).

Jean-Claude Lapalu, un vigneron qui mérite d’être connu

Il existe donc des moyens de ne pas utiliser forcément du bois pour arriver à un résultat satisfaisant. Toutefois, ne jetons pas tout de suite tous les fûts. Le bois permet des résultats fabuleux et il n’existe pas une seule et unique voie. Utiliser des fûts de plusieurs vins permet d’avoir des résultats plus diffus et moins boisés. Il faut simplement garder toujours en tête le respect du produit de la vigne, qui doit rester le seul élément entrant dans la composition d’un vin.

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