Comment accompagner ses équipes au virage de l’IA ?

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5 min readJul 17, 2019

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Propos recueillis par Frédéric Oru (fondateur de AI4better) et NUMA.

On l’a vu précédemment, l’Intelligence Artificielle va provoquer des changements drastiques dans notre manière de travailler, dans la valeur que nous apportons à l’entreprise, et cela pour tous les corps de métiers.

Dans leur livre Human + Machine, Reimagining Work in the age of AI, Paul R. Daugherty et H. James font le portrait d’un vaste changement des procédés business des entreprises, qu’ils aient trait à l’innovation de pointe, au service client ou aux habitudes personnelles qui font (ou non) la productivité.

Pour les deux auteurs, respectivement Directeur de la recherche et CTO chez Accenture, il est urgent d’accompagner les salariés dans le développement de nouvelles compétences pour exploiter au mieux leur potentiel et celui des machines.

Benjamin*, RH d’un des leaders de l’expertise-comptable en France, a accepté de répondre à nos questions sur les transformations qu’induit un tel changement dans une entreprise.

Pourquoi l’IA ?

B. : Il y a environ 3 ans, on avait fait un essai avec une technologie qui visait à automatiser la saisie des factures, afin de dégager du temps à nos gestionnaires-comptables, mais les résultats du système de reconnaissance étaient décevants. Aujourd’hui, on a repensé le projet entièrement. On a identifié un partenaire spécialisé dans l’IA, avec lequel nous avons développé notre propre solution d’automatisation de la saisie comptable basée sur l’intelligence artificielle. Cette solution est actuellement déployée progressivement dans l’entreprise.

Rencontrez-vous des réticences, des problèmes autour de cette IA ?

B. : Les dysfonctionnements que nous avons connus lors de notre premier essai d’automatisation de la saisie comptable ont créé une perte de confiance chez les collaborateurs quant à la capacité que nous pouvions avoir à mettre en œuvre une solution fiable sur ce sujet. Mais aujourd’hui, le nouveau système a un taux d’erreur très faible !

Avec un taux d’erreur de 1%, la machine est aujourd’hui capable de traiter 80% des factures ! Et sur les 20% restants, la solution fait une proposition d’affectation à valider. En comparaison, un humain fait en moyenne 6 % d’erreur de saisie.

Par contre, au-delà de la technicité de l’IA, ce qui est compliqué, c’est de faire accepter la machine aux collaborateurs. Aujourd’hui, il y a deux types de personnes qui l’utilisent : les directeurs, qui ont déjà passé le cap, et des gestionnaires-comptables volontaires, qui ont plus de craintes face à la machine, mais qui se prennent progressivement au jeu. Si on veut pouvoir tirer tout le potentiel de l’association homme / machine, cela implique nécessairement de faire évoluer nos paradigmes.

Comment utilise t-on la solution chez vous ?

B. : Les directeurs se sont pris au jeu : la saisie n’est pas leur cœur de métier, mais ils testent la machine. Ils ont fait évoluer leurs pratiques et expérimentent une autre manière de travailler. Progressivement, ils ont appris à traiter des volumes importants en des temps très courts grâce à des contrôles de cohérences pertinents permis par la machine.

En fait, c’est surtout une question de posture : il ont réussi à faire confiance à la machine, à accepter sa technicité. La confiance n’exclut pas le contrôle, bien au contraire : cette collaboration homme-machine ne peut fonctionner que si les dispositifs de contrôles sont performants et aboutis et que les acteurs ont confiance en ces dispositifs.

Comment expliquez-vous cette différence entre les directeurs et les gestionnaires ?

B. : Les directeurs sont habitués à la prise de décisions, ils ont assimilé le ratio maîtrise de risque/opportunités. Les collaborateurs, eux, sont moins habitués à ça : en faisant confiance à la machine, ils ont l’impression qu’on leur demande de se mettre en danger et qu’ils font un pari sur la qualité du travail qu’ils effectuent pour le client.

Cette réticence, comment y remédier ?

B. : On a posé un périmètre de tests de la techno dans l’entreprise, et au fur et à mesure on étend le périmètre en fonction des demandes. On compte beaucoup sur l’évangélisation en interne. On fait le pari du collaborateur ambassadeur : on privilégie des gestionnaires qui ont un peu de bouteille, qu’on écoute, et qui vont faire la promotion de la machine. Les premiers résultats sont prometteurs.

Selon vous, quel impact aura la techno sur le temps des salariés ?

B. : D’ici quelques années, ce type de technologies aura remplacé une part significative des fonctions du métier actuel : on estime qu’il faudra réinventer 30% du temps de travail des gestionnaires-comptables. Notre orientation aujourd’hui est de transformer ce temps en du temps disponible pour conseiller le client, l’assister dans certaines démarches, jouer la carte de la proximité et être là pour lui. On fait face à un véritable déplacement de la profession de comptable vers du conseil client. Une partie seulement de nos effectifs est déjà en phase avec cela.

En termes de formation, sur quoi vous concentrez-vous ?

B. : On est en train de lancer des parcours de formation pour faire des comptables-gestionnaires augmentés, mais à terme, on pourrait faire face à une véritable inversion du rapport à la formation et au recrutement, et pourquoi pas un jour recruter des gens pour leurs compétences en matière de relation client et les former à la comptabilité plutôt que l’inverse. Mais à mon sens, l’enjeu pour l’instant c’est de créer de la réassurance. Autour de la machine, mais aussi du métier de chacun.

Quels risques identifiez-vous pour les entreprises ?

B. : Il y a un écart qui peut être dangereux entre le temps nécessaire au corps social pour s’adapter aux transformations et la vitesse réelle du changement. Dans ce cadre, l’important, c’est de rassurer, d’accompagner. On ne peut pas aller plus vite que ce que le corps social peut accepter. L’IA amène une peur de déshumanisation chez les salariés, une perte totale des repères et parfois de sa raison d’être. Par conséquent, l’accompagnement du changement et la réassurance de chacun est incontournable.

Finalement, comment s’y préparer ?

B. : Il y a un certain emballement autour de l’IA, ce qui se traduit par une instabilité de l’environnement. Ce qui aide les salariés à mon sens, c’est d’avoir une assise personnelle solide, d’arriver à savoir ce qui est important pour eux, de pouvoir se projeter dans l’organisation, et d’avoir confiance en leur capacité à faire face au changement. Tout ça, c’est du soft skill. Quand ils ont ces compétences techniques et cette stabilité personnelle, ils sont bien outillés pour vivre le changement.

Merci à Benjamin pour ce témoignage précieux !

*Le prénom a été modifié.

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