Futur des médias [1/3] — quelle place pour le e-sport dans la journalisme sportif ?
A l’occasion des 70 ans de l’Equipe, NUMA a accompagné l’Equipe dans l’organisation d’une journée dédiée au futur des médias sportifs. L’objectif était didactique : présenter et tester les innovations à l’oeuvre dans le domaine des médias sportifs ou généralistes et réunir différents types d’acteurs pour initier une réflexion globale :
A quel niveau un média comme l’Equipe doit-il être attentif et intégrer de nouveaux types de contenus (e-sport) ? de nouvelles méthodes (intelligence artificielle) ? et de nouveaux supports (réalité virtuelle) ?
C’est par un cycle de table-rondes et de keynotes, suivi d’une démonstration de casques de réalité virtuelle et d’un mini BarCamp que nous avons tenté de couvrir ces enjeux et de faire émerger des applications concrètes pour les start-ups, journalistes, reporters et lecteurs présents ce samedi sous la grande verrière du quotidien, à Boulogne-Billancourt.
#contenus — L’heure du sport électronique a-t-elle sonnée ?
Premier sujet : le sport électronique (e-sport). La pratique de jeux vidéo multijoueurs est devenue un « phénomène de société ». Les compétitions phares remplissent des stades, génèrent de juteux contrats de sponsoring et commencent à attirer les médias sportifs traditionnels. L’Equipe Explore a enquêté sur le sujet tandis que l’Equipe 21 a été la première chaine à diffuser des compétitions en clair.
Pour traiter de la place du e-sport et de l’écosystème média qui l’entoure, la table ronde réunissait Hadrien Noci, commentateur de compétitions de jeux-vidéo et créateur de la web-tv O’Gaming, Antoine Frankart, organisateur de compétitions et créateur de la plateforme tournament.com, Cyril Chomette, de la plate-forme de compétition en ligne Glory4Gamer et Nicolas Besombes, sociologue du sport.
Encore réservé à un public de connaisseurs, l’évolution du e-sport le rend pourtant incontournable. Avec plus de 200 millions d’amateurs dans le monde et une croissance annuelle de 30 % par an, tous les signaux semblent au vert. Son public, fidèle et jeune (20–35 ans) est amené à se développer par le simple effet de la pyramide des âges. Un joueur sur quatre seulement étant amateur de e-sport, son coeur de cible étendu ne passe pas non plus inaperçu.
Si chaque année, depuis 10 ans, le JT de TF1 couvre avec la même surprise l’affluence au championnat du monde, l’attitude des éditeurs, des médias traditionnels et des autorités a évolué.
Les éditeurs ont été les premiers à considérer le e-sport. Le studio Blizzard veut maintenant que tous ses jeux soient compatibles e-sport tandis qu’Activision a racheté la MLG pour tenter de devenir “l’ESPN du e-sport”. Un joueur de e-sport créant un revenu 3 fois supérieur à un joueur traditionnel, les éditeurs monétisent leurs jeux sur un bien plus long terme.
Les nouveaux outils de diffusion, YouTube puis Twitch (2 millions d’heures visionnées chaque jour en France) ont constitué un deuxième moteur de développement et la diffusion des championnats et des compétitions sur les chaines traditionnelles devraient faire entrer le sport électronique dans la sphère grand public.
Cette croissance peut sembler naturelle et inébranlable mais elle doit pourtant faire face à un certain nombre d’obstacles :
1. Le e-sport souffre d’abord d’un problème de définition. Son succès médiatique, son organisation et sa diffusion ne suffisent pas à en faire un sport égal aux autres. Le succès de ses champions repose bien sur des performances, une réactivité et une activité motrice exceptionnelles. Starifiés, ils s’entrainent tous les jours avec des coachs et des analystes comme des sportifs. Mais ces joueurs sont des auto-entrepreneurs payés par les organisateurs pour leur “apport en communication”…
2. Implication directe de sa difficile définition, le second problème du e-sport est son manque de régulation. Coincé entre les domaines du sport, de la compétition électronique et du jeu d’argent, le e-sport a un statut différent dans chaque pays. Soutenu par l’Etat en Corée du Sud et en Allemagne, il connait aussi des avancées en Belgique et au Luxembourg où les communautés de joueurs sont petites et plus simples à structurer. En France, sa place reste trouble. Alors que Manuel Valls a demandé une consultation parlementaire sur le sujet, le Ministère du sport ne se voit pas encore promouvoir ce type de compétition. Les “cash prizes” sont tolérés par les autorités mais pas légaux. L’ARGEL qui légifère sur les paris en ligne s’est d’ailleurs emparé de cette question, faisant craindre un dangereux glissement pour les organisateurs. Le CSA est aussi attentif à la diffusion de compétitions qui s’apparente, pour lui, à de la promotion de marques…
3. Les instances régulatrices sont toutes gênées par la place des éditeurs et des diffuseurs de jeux. Le champion du monde de Counter Strike n’est pas un champion de jeu de tirs mais d’une licence détenue par un éditeur ou un diffuseur. Cette notion de propriété du jeu est centrale puisqu’il s’agit du frein principal à la régulation et au soutien public du secteur.
L’avenir du sport électronique semble donc étroitement lié à cette question : de qui doit-il dépendre ?
La concurrence globale entre les organisateurs donne un rôle clé au soutien de l’Etat. Les organisateurs français envient et craignent leurs concurrents coréens tandis qu’on regrette déjà la fuite des stars nationales qui vont chercher de meilleurs contrats de sponsoring à l’étranger.
Alors que la montée des droits de diffusion s’annonce fulgurante, l’Etat peut-il se permettre de rester à côté de ce qui constitue à la fois un riche écosystème et un secteur économique grandissant ?
Trop souvent, la transformation d’une sous-culture en une culture de masse s’est faite avec le marché pour seule instance régulatrice. Sans intervention de l’Etat, la richesse de son tissu associatif est menacée et un climat de méfiance entre ces acteurs et les autorités pourrait émerger au lieu de potentielles collaborations.
C’est d’ailleurs sur ce sujet que les médias sportifs devraient finalement se positionner. En intégrant le e-sport à leur programme et à leur ligne éditoriale, ils peuvent jouer un rôle d’avant garde et contribuer à un développement vertueux du secteur.
NUMA soutient XPOT
La Virtual Association, en collaboration avec Aurélien Fache, organise sur Paris l’événement XPOT — expériences of tomorrow le 11 juin. L’événement aura lieu à la Gaîté Lyrique lors du festival futur en Seine.
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