Quand le service public devient digital

Ou comment les inventeurs de la bureaucratie sont en train de devenir des champions de l’innovation

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7 min readJul 13, 2018

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Par Claudio Vandi, Maxime Basset, Thomas Lacquemant

Les États, les Gouvernements et leurs administrations ont toujours mauvaise réputation lorsqu’il s’agit d’innovation : leurs équipes sont souvent considérées comme lentes et leurs processus archaïques.

Pourtant, au cours des dernières années, ces dernièresont créé certaines des structures les plus avancées dans la mise en place de l’innovation à grande échelle. Ces paris et ces réussites deviennent des modèles pour toutes organisations.

Le secteur public est le plus important client en terme de prestation de Service Design et d’Innovation. Dans le monde entier, des États créent des labs d’innovation, des agences digitales internes ou des incubateurs de projets pour transformer de l’intérieur le Service Public, améliorer ses performances et “l’expérience utilisateur”.

En Europe, GDS (Government Digital Services) au Royaume-Uni et le MindLab au Danemark sont parmi les structures les plus connues. L’Italie a missionné un ancien vice-président exécutif d’Amazon pour diriger l’équipe “IT Digital Team” : une équipe d’experts du numériques provenants d’entreprises et d’universités du monde entier.

En France, les initiatives publiques de transformation digitale et d’innovation sont également florissantes, notamment à travers Beta.gouv : une plateforme d’incubateurs de services innovants qui crée des équipes réduites et autonomes pour construire des services publics numériques “en mode startup”.

Cela fonctionne en 4 étapes :

Beta.gouv a commencé comme un projet du SGMAP (Secrétariat Général de la Modernisation de l’Action Publique), mais c’est aujourd’hui bien plus que ça. C’est devenu une véritable plateforme rassemblant compétence, savoirs faires et méthodes dont chaque administration peut bénéficer pour ses propres services. Si vous avez lu notre article sur les Innovation Portfolios, cela en est un très bon exemple.

Depuis 2017, NUMA est l’un des principaux partenaires Beta.gouv. Et plus spécifiquement pour le Ministère Français des Affaires Sociales, Le Ministère de l’Ecologie, ainsi que celui des Armées. Nous travaillons également sur un programme similaire au sein de la Ville de Paris (Startup de Ville).

Voici 3 enseignements que nous tirons de notre collaboration avec des partenaires du secteur public qui peuvent s’appliquer à toute entreprise désireuse d’innover à grande échelle.

Le pilier essentiel pour passer à l’échelle : une communauté ouverte et généreuse

Le meilleur moyen de faire fructifier l’énergie déployée pour innover est de créer une communauté d’innovateurs chargée d’enrichir et développer un portfolio d’innovation.

La Scalabilité s’acquiert avec des équipes qui partagent leurs ressources et leurs apprentissages.

Beta.gouv est un bon exemple : des agents de l’état, des développeurs, des data scientists, des business developers et des designers forment un ensemble cohérent d’équipes réduites et autonomes travaillant sur plusieurs projets en parallèle. Ce modèle d’organisation permet de mutualiser les compétences et les diverses expériences sur les projets.

Pour maintenir un collectif et sa dynamique, la mise en place de rituels est essentiel. Pour beta.gouv, c’est le mercredi à 12h : tous les membres de la communauté se réunissent à l’incubateur pour partager avancements, apprentissages et proposer de l’aide. GDS pour sa part centralise les différents apprentissages en alimentant des guidelines et des éléments de design que tout projet de service public peut réutiliser.

Dans ces exemples issus du service public, le savoir est ouvert et facilement accessible au-delà des équipes-projets pour encourager la réutilisation : accès aux versions bêta de nouveaux services, mise à disposition des mesures de performance, partage du code de chaque projet en open source et ouverture des données. Tout l’enjeu est d’engager une conversation permanente avec les utilisateurs et les parties prenantes sur l’ensemble du cycle, de la conception initiale à la mise en ligne de la première version du service.

2. Dépasser la tragédie de l’exécution

Quand il s’agit de d’enrichir un portfolio d’innovation nous nous rattachons à à l’image du seau d’eau percé : pour avoir un maximum d’innovation sur le marché, il suffit de d’ajouter le plus possible d’idées en entrée du funnel. En maximisant le nombre de projets innovant en entrée, on augmentera mécaniquement le nombre de réussites.

Malheureusement cette image n’est que très partiellement juste. Même s’il est fondamental d’alimenter régulièrement un funnel d’innovations, ce n’est pas la seule condition pour transformer les projets innovants en réussites.

Il suffit de considérer que la durée moyenne des grands projets informatiques du secteur public en France est de 6,2 ans. En guise de comparaison, Uber a mis moins de 3 ans pour pénétrer le marché Français. Les bonnes idées existent, là n’est pas le problème, mais la plupart du temps elles se perdent dans leur l’exécution : recherche de la perfection, lourdeurs de process ou encore lenteurs des prises de décisions alourdissent un funnel d’innovations et mettent en péril la réussite des projets.

Inspirées des méthodes des entrepreneurs privés du numérique, les équipes des Startups d’État concentrent d’abord leur énergie sur sur la construction d’une version initiale (ou “bêta”) d’un service afin qu’il soit mis en ligne et utilisé le plus rapidement possible par de vrais utilisateurs. Généralement une première version est expérimentée quelques semaines après la création de la Startup d’État.

Par exemple, la Startup d’État Work In France du Ministère des affaires sociale que nous suivons à été très rapidement expérimenté “in real life”. Le service permet de délivrer des demandes d’autorisation provisoire de travail pour les étudiants étrangers.

Après avoir été sur le terrain à la rencontre des agents et des usagers, le produit Work In France a été construit en quelques semaines seulement. L’équipe a utilisé la technologie développée par Démarche Simplifiées, une autre Startup d’État qui permet de dématérialiser n’importe quelle démarche administrative en quelques minutes. Puis une première expérimentation a été lancée dans un périmètre géographique restreint (pour les demandes du département de Paris) et un nombre de fonctionnalités limitées (seules les demandes d’autorisation de travail provisoires pour les étudiants étrangers).

Une fois la première version du produit publiée, vous n’êtes plus sur un Powerpoint théorique et il est alors plus facile de l’améliorer et d’impliquer d’autres parties prenantes.

Maintenir des projets sous tension et donner des délais courts encourage l’urgence de l’exécution. Cela incite les équipes à se concentrer sur un objectif : la satisfaction de leurs utilisateurs, le plus tôt possible. Ainsi, en très peu de temps (de 6 mois à 1 an), de premiers résultats peuvent être présentés.

Ce “time-boxing” permet de rapidement trier les projets d’un portfolio d’innovation. C’est pourquoi les accélérateurs de startups, sont aujourd’hui des acteurs majeurs de l’innovation corporate : lorsque la rapidité d’exécution est essentielle, ils sont un meilleur partenaire que les agences et les consultants traditionnels.

3. Le ROI est bien plus que le retour financier

Mesurer le retour sur investissement des projets d’innovation est essentiel, mais le limiter uniquement aux résultats financiers masque une grande partie de la réalité.

Le succès d’une innovation peut se mesurer aux économies d’argent réalisées, au gain de temps, à l’acquisition ou la rétention des utilisateurs, ou simplement au fait de passer de décisions fondées sur des suppositions à des décisions fondées sur des faits.

Les premiers résultats de la Startup d’état Work in France peuvent facilement être converties en économies. En seulement 2 mois d’expérimentation, plus d’un tiers des demandes sur Paris sont réalisées via le service, le temps de traitement des dossiers est divisé par 10 et le tout est monitoré en permanence pour faire de l’amélioration continue. C’est ici un très bel exemple de gain de temps pour l’usager, l’agent et son administration.

Dashboard public des statistiques d’utilisation du service Work in France

GDS fait également un excellent travail en partageant l’impact de ses projets : sur le service de taxe sur les véhicules, il est possible de voir le nombre total de transactions et le «coût du service» par transaction. Un bon service signifie réduire ce coût au minimum.

Dashboard de performance du service de recouvrement de la taxe sur les véhicules de GOV.UK

La prochaine fois que vous devrez définir des KPIs pour vos projets, essayez de mesurer l’impact au-delà des rendements financiers.

En bref :

  • Se concentrer sur les apprentissages et leurs partage
  • Passer rapidement à l’exécution
  • Penser au-delà du ROI financier

Nous espérons que ces enseignements tirés de l’innovation dans le secteur public vous aideront à transformer votre organisation jusqu’au passage à l’échelle de vos projets d’innovation.

Travailler avec nous

Si vous voulez discuter de la façon de construire des équipes axées sur l’exécution pour créer des services numériques dans des entreprises privées ou publiques, contactez Maxime, Products & Services Design Lead ou Thomas, Public Innovation Programs manager.

Apprendre avec nous

Tout ce que nous apprenons à travers nos projets est également partagé dans nos formations, du Design Thinking & Lean jusqu’au coaching d’équipe. Jetez un coup d’œil à nos formations ou contactez Claudio, Learning and Transformation Director.

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L’expérimentation est toujours le maître-mot et les apprentissages ne sont jamais définitifs.

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Le coaching d’une génération d’entrepreneurs nous a appris une chose essentielle : la seule compétence indémodable, c’est de savoir travailler.