madalphabétisation

Rajiosy Gérard
On Madagascar
Published in
3 min readNov 30, 2015

Le taux d’alphabétisation actuel de Madagascar n’est pas forcément une mauvaise nouvelle comme on pourrait le croire. Ni une très bonne à court terme.

L’information n’a pas fait beaucoup de vagues. On peut même dire qu’il a fallu un an pour susciter une brève dans La Gazette de la Grande Île et une plus brève encore sur le site de Tananews. Tous les deux soulignant, déplorant les 46% d’analphabètes restants. La source quasi-officielle remonte déjà à 2014 lorsque le ministre actuel de l’Education a annoncé publiquement ce chiffre. Mais après tout, il y a donc plus de la moitié des malgaches qui savent lire et écrire. Madagascar vient de franchir la barre des 50% d’alphabétisés et c’est un fait remarquable.

Reconnaître le succès de l’alphabétisation

La tendance actuelle au pessimisme a occulté ce fait important : en un peu moins de deux siècles, Madagascar a pu atteindre cette étape importante de l’alphabétisation de la moitié de sa population. Vers 1820, le roi Radama a codifié la transcription de la langue malgache en caractères latins puis encouragé la scolarisation des enfants dans le but de créer un État moderne. L’effort s’est poursuivi sur le reste du 19ème siècle, la colonisation l’a amplifié sur une échelle beaucoup plus grande. Les deux premières républiques de l’ère indépendante ont fait de l’alphabétisation une priorité avant que l’économie ne devienne l'obsession des prochains dirigeants.

Pour comparaison, on peut grossièrement situer le début de l’alphabétisation en Europe juste après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1454. Les 50% d’alphabétisés ont été atteints en France à la veille de la Révolution en 1789 : il a donc fallu 3 siècles.

Il ne faut pas oublier que savoir lire et écrire rend possible beaucoup de choses : l’apprentissage des techniques en général, de l’histoire, de l’hygiène, de l’introspection et aussi la lecture de la Bible pour le plus grand profit de la religion. L’alphabétisation permet le développement.

Il s’agit donc bien d’une avancée réelle et d’un succès à ne pas négliger.

De crise en crise jusqu’à l’équilibre

Il n’était pas anodin d’avoir mentionné la Révolution française et d’avoir insisté plus haut sur ce seuil de 50%. Car selon le démographe Emmanuel Todd, ce passage est marqué historiquement par des troubles dans la société. La Révolution s’est faite en France, la république proclamée, la monarchie abolie, la guerre avec les pays voisins déclarée et la Terreur répandue. Ce même moment des 50% a vu également les révolutions arabes fleurir en 2010/2011.

La diffusion des connaissances ne va pas sans remises en cause des croyances, des idées et des autorités établies, au niveau individuel comme au niveau collectif. Elle ne va pas sans doutes, sans conflits intérieurs, familiaux ou dans la société en général. On peut parler de confusion mentale et d’instabilité en quête d’équilibre.

Nous franchissons donc d’un pas ferme le seuil et proclamons Madagascar en état de crise mentale aiguë pour cause de poussée d’alphabétisation. Ici, une difficulté apparaît dés lors que cette crise s’est manifestée par des éruptions successives en 1972, 1992, 2002 et 2009. Deux explications peuvent être avancées qui ne s’excluent pas mutuellement. D’abord, comme l’exemple de la Révolution française de 1789 le montre, la route vers la stabilité à pris quelques années jusqu’à la prise de pouvoir de Bonaparte en 1799 quoiqu’on peut tout aussi la repousser à la fin de l’épopée napoléonienne. Le monde arabe comme on peut le constater aujourd’hui, est toujours en crise depuis 2010. Une explication complémentaire, spécifique au contexte malgache, demande à être infirmée ou confirmée (notamment par les statistiques) : la première «révolution» de 1972 correspondrait au franchissement du taux de 50% dans les régions centrales d’Antananarivo et de Fianarantsoa qui sont les premières à avoir été alphabétisées, la seconde de 1992 coïnciderait à l’extension sur toute la région des Hautes Terres et le littoral Est, la troisième de 2002 inclurait la région occidentale et le Sud-Est. La quatrième de 2009, nous semble être une réplique mineure de la troisième doublée d’une crise religieuse.

Épilogue

Madagascar a donc pu réaliser un taux d’alphabétisation de plus de 50%. C’est une bonne nouvelle. Mais on a vu que cela entraîne par ailleurs une longue crise sociale.

L’effort dans l’éducation doit néanmoins se poursuivre. Les dirigeants le savent, les prochains ne doivent pas l’oublier. Car il ne peut pas y avoir de développement économique sans un développement intellectuel au préalable.

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