RTL, France TV : ou l’art de gérer un divorce

Angélique
On the road to journalism
5 min readAug 13, 2018

Sale automne pour les médias. Suppression de 180 postes, coupes budgétaires dans l’information et mauvaise gouvernance, il n’en fallait pas plus pour pousser le personnel du groupe audiovisuel français France Télévisions vers de multiples grèves de 24 heures en décembre dernier. Delphine Ernotte a d’ailleurs fait l’objet d’une motion de défiance votée par 84% des travailleurs. Cette crise rappelle, à échelle moindre, celle que traverse le groupe RTL en Belgique. Deux situations différentes, mais qui méritent comparaison.

Le personnel gronde ces dernières semaines pour sauver l’ emploi et contester des mesures “injustes”. ©Sipa (gauche), Mathieu Golinvaux (droite)

Des raisons économiques, avec des finalités différentes

Malgré des modèles divergents, les deux entreprises partagent des raisons économiques communes pour expliquer un tel divorce. Dans la maison publique française, Delphine Ernotte doit jouer entre de multiples pressions et des comptes dans le rouge depuis plusieurs années. Un dilemme un peu plus cornélien depuis que le gouvernement français l’a récemment sommée d’économiser pas moins de 50 millions d’euros dans les mois à venir. L’équipe Macron veut privilégier d’autres compétences que celles relatives aux médias pour réduire son déficit à 2,6% du PIB. À terme, les plus pessimistes pourraient craindre l’extinction du service public, tendance dont plusieurs médias ont déjà été ou ont failli être victimes.

Du côté de l’entreprise privée belge, rien de politique : malgré un bénéfice de 43 millions d’euros en 2016, Philippe Delusinne dit officiellement répondre à la nouvelle concurrence de TF1 dans le marché publicitaire belge. Aussi, le directeur général de RTL a pris conscience de son retard accumulé dans la transition vers le numérique. C’est dans cette optique que le plan « Evolve » a été présenté en Conseil d’administration, et donc aux actionnaires : à côté de mesures phares comme la fusion des régies publicitaires, l’organisation d’une rédaction articulée entre fast et slow news, le développement d’une plateforme de production multimédia et d’une catch-up gratuite financée par la publicité ciblée, soulignons l’optimisation de l’entreprise pour la rendre plus efficace à la fois en TV, en radio et sur le Web. Si ce plan ambitieux veut séduire actionnaires et annonceurs, il demande aussi des coûts. Des coûts anticipés par le licenciement de 105 personnes, annoncé le 14 septembre dernier au cours d’une Assemblée générale réunissant l’ensemble du personnel.

Le personnel uni dans la même douleur

Les syndicats de la famille RTL rejoignent la volonté de la direction de prendre enfin le virage du numérique, eux qui réclamaient depuis plusieurs années la mise en place d’une réelle stratégie en la matière. Cependant, ce “réveil brutal et tardif” a créé l’incompréhension du personnel, pour deux raisons. D’une part, les rumeurs d’une suppression de ces 105 postes avaient déjà fuité… dans les médias eux-mêmes : les travailleurs reprochent à la direction de ne pas avoir communiqué assez rapidement et de ne pas avoir consulté les syndicats en amont. D’autre part, ils ne comprennent pas le prétexte de la menace désormais directe de TF1 face à la relative bonne santé de RTL sous l’ère Delusinne.

Ce management fait précisément défaut dans le chef de Delphine Ernotte. Depuis son arrivée à la tête de l’entreprise publique française en 2015, les Sociétés de Rédaction la pointent constamment du doigt suite à plusieurs décisions polémiques : parmi les plus récentes, le non-renouvellement des Contrats à Durée Indéterminée, l’arrêt brutal des piges pour les Journalistes Reporters d’Images, et surtout la baisse drastique des budgets alloués aux magazines Envoyé Spécial et Cash Investigations. Une véritable atteinte à la liberté d’information largement dénoncée sur les réseaux sociaux, notamment par la journaliste Élise Lucet. Revendications entendues : l’équipe Ernotte s’est ravisée au bout de quelques jours. Mais les syndicats dénoncent toujours, au travers des grèves qui ont ponctué ces derniers mois, l’immobilité de leur patronne face à des mesures qu’ils considèrent injustes. Un conflit donc bien installé au sein des rédactions et qui dure selon certains employés interrogés : « certains ne souhaitent qu’une seule chose : partir ».

Et après?

Difficile de trouver une issue à une crise née dès l’entrée en fonction de la directrice de France Télévisions : après deux années d’échanges avec les Sociétés de Rédaction, la communication ne semble pas (r)établie pour autant. Pour preuve, fin 2017, les salariés sont partis en grève à deux reprises. Plus encore, en votant une motion de défiance contre Delphine Ernotte, ils ont acté un profond désaccord qui ouvre la voie à une crise de légitimité de leur chef. Delphine Ernotte a assuré entendre les cris d’alarme de son personnel, sans pour autant se déclarer prête à démissionner. Un pas de côté qui aurait peut-être permis d’apporter de la sérénité au sein de son entreprise, elle qui est désormais désavouée par le président français lui-même, Emmanuel Macron.

Malgré une colère identique chez RTL, les discussions en interne avancent. Dans le cadre de la Procédure Renault, lancée dès l’annonce du licenciement collectif, syndicats et direction multiplient les réunions de concertation sociale. L’objectif, mieux comprendre les raisons qui ont mené l’équipe de Delusinne à cette décision mais aussi définir les modalités de licenciement : comment les futurs sans-emplois se relèveront-ils de ce choc? Des discussions menées à l’abri des regards médiatiques, à l’inverse de celles en cours chez France Télévisions.

Le point central de ces deux crises se situe peut-être dans la force de ce cadre. Chez nous, la Procédure Renault, en place depuis le drame social du même nom de 1997, contribue à amortir la douleur du personnel touché par des licenciements collectifs. La concertation sociale typique à la Belgique permet aussi aux employés de se sentir épaulés par les syndicats, partie prenante dans ces discussions. En France cependant, le cadre plus large relatif au travail est sur le point d’être réformé, un an après la mise en place polémique de la Loi Travail sous le quinquennat de François Hollande. Deux conflits donc d’ampleur différente, mais dont un cadre de discussion semble être la meilleure solution : même s’il ne diminuera pas le nombre de licenciés, il conservera au moins un dialogue relativement harmonieux.

Article initialement publié en décembre 2017, dans le cadre d’une évaluation pour un cours de gestion d’une rédaction.

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Angélique
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IHECS Alumna, journaliste, médiaphile et future écrivain en herbe. Peut-être.