Perspective inspirée de la ville de Galilée, depuis la bibliothèque de recherche au dernier étage

À l’œil libre @Museo Galileo, Florence, IT

Six pensées en vrac à la suite d’une visite du Musée Galilée de Florence.

Ronan de la Croix
of Museion and Men
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5 min readJul 23, 2018

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Visiter à l’œil libre, c’est ma façon très personnelle de profiter d’un musée ou exposition, sans jugement, sans crainte, pour le plaisir et les sensations, sans auto-censure et sans que des connaissances a priori n’interfèrent trop dans la visite. C’est une manière de visiter qui m’a été enseignée par ma mère et que je souhaite diffuser autour de moi car elle abaisse les barrières souvent psycho-sociales à l’entrée des musées. Et vous, visitez-vous à l’œil libre ?

Tous les musées de Sciences et Techniques se suivent mais ne se ressemblent pas. Ces temples de découvertes et de savoirs suscitent l’admiration des petits et grands enfants. Dans le Museo Galileo, on parcourt l’histoire de découvertes universelles avec pour fil rouge la vie de ce grand découvreur, ses révélations, ses épreuves, ses méthodes, ses outils.

1. Hackers du XVIIIe siècle

Les murs des salles du Museo Galileo sont parsemés de citations de personnes illustres (ou inconnues…), qui donnent chair et voix à l’expo. Sans citations ni cartels, l’expo ne serait qu’un beau fatras d’objets mystérieux. Celle-là me plaît : “On ne fait pas de physique expérimentale sans instruments” (Jean-Antoine Nollet, 1770). J’imagine les physiciens de l’époque en train de bidouiller leurs mécanismes, d’agencer leurs roues dentées, leurs clochettes, d’inventer leurs propres instruments avec des morceaux de métal ou de verre, découpant du bois, du papier, etc…

Il y a de l’artisanat dans cette science !

Et soudainement, on voit la main du scientifique derrière la petite graduation peinte le long du tube à essai, ou de la gravure de la plaque de laiton. Aujourd’hui quand je vois des ados utiliser des cartes Arduino pendant les hackathons ou des physiciens ajuster des boulons du projet ITER de fusion atomique, je comprends que la passion de la découverte est intimement liée à celle de la pratique, et la tête à la main.

2. Coronelli vs Google Maps

Des globes terrestres et célestes du XVIIIe siècle aux portulans du XVe, ces admirables objets offrent des représentations du monde et des cieux toutes différentes et poétiques. Les concepteurs comblent un manque par un dessin de forêt ou d’animaux étranges, ils placent des bateaux dans les océans… “Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, l’univers est égal à son vaste appétit.” Le début de Voyage de Baudelaire est aussi une invitation à se faire ses propres cartes, imaginer leurs formes, leurs légendes… La projections Mercator, si univoque et archaïque, imposée par Google Maps, en est encore bien loin ! Ces globes de papier mâché me font plus rêver que mon écran de téléphone aux potentialités infinies…

3. Du Labo au Salon

Un homme, chargé d’électricité et suspendu en l’air, attire des petits objets, papiers et l’attention du public

La science, comme en témoigne le Museo Galileo, est source d’émerveillement dès le XVIIe siècle, voire même de spectacle ! C’est pourquoi la finition de ces machines est splendide, elles sont presque des meubles, destinés à être montrés et utilisés en public, comme on ferait aujourd’hui une performance magique ou artistique. Le tenant français de cette tradition était l’abbé Nollet qui au XVIIIe pratiquait la physique spectaculaire à Versailles pour la Cour. Étincelles : Ouaouh ! Electricité statique : Ooooh !

4. Miniaturisation

Chéri j’ai rétréci l’astrolabe

Voir de si grands objets de mesure, faits pour occuper une place centrale dans un salon ou sur une table, devenir si petits dans la vitrine d’à côté, on se dit que la miniaturisation des technologies n’a pas attendu la loi de Moore. Finalement, et je fais un énorme raccourci à dessein, mais tout ce matériel qui prenait tant de place est aujourd’hui en orbite autour de la Terre et nous n’avons besoin ici-bas que d’un minuscule boîtier GPS nous orienter de jour comme de nuit, sur terre comme sur mer.

5. Roues crantées vs écrans

Les dernières salles du musée sont consacrées à l’expérimentation scientifique et proposent de manipuler des billes de plomb, appuyer sur des boutons, remonter des engrenages, toucher des écrans, regarder des vidéos… Est-ce par exotisme ou par instinct, mais les enfants, qui adorent ce genre de salles pédagogiques, sont mille fois plus attirés par les dispositifs mécaniques que par les écrans qu’ils délaissent sans parfois même y jeter un œil. Ces écrans, qui sont aussi le fruit de la recherche et de l’ingénierie, leur sont peut-être tellement communs qu’ils ne les attirent même plus ?

6. Fuck les reliques

Un doigt d’honneur qui dure depuis presque 400 ans, c’est à mettre au Guinness Book

Enfin, 6e et dernière remarque. Parmi tous ces objets étranges des collections permanentes, qui pourraient faire passer le musée pour un cabinet de curiosité, il en est un qui me fait particulièrement rire : le majeur droit de Galilée lui-même, dressé comme un doigt d’honneur au status quo, à l’obscurantisme officiel, (dont l’Eglise Catholique se faisait championne à l’époque — Galilée a fini en résidence surveillée pour l’hérésie d’avoir défendu l’héliocentrisme…), et à l’inertie des certitudes.

Je ressors de ce musée plein de joie, d’espoir dans les développements de la science, que cette heure et demie m’a rendue moins austère. L’expo a disséqué (je vous ai épargné la partie médecine, à découvrir par vous-même) les rouages du “progrès” en petits pas qui rendent le reste du chemin (iter en latin) beaucoup plus envisageable.

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Ronan de la Croix
of Museion and Men

General manager at qqf.fr / Founder of Musei.on / Artistic director at Château Jouvente. History geek, media explorer, wine amateur, royalist. Opinions are mine