Le vrai rôle du musée n’est pas de porter un message mais d’ouvrir l’esprit des gens.”

Ronan de la Croix
of Museion and Men
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8 min readJul 30, 2018

🎙Entretien avec Chantal Steegmuller, ‎Chargée du développement des publics, Musée de la Chasse et de la Nature.

Cette interview fait partie d’une série d’entretiens avec de multiples parties-prenantes des musées qui parlent avec leur propre voix, sans représenter officiellement leurs institutions. Les mêmes questions sont posées et ont pour but de dessiner une palette d’opinions sur le rôle et l’impact social des musées en France et dans le monde. Si vous souhaitez proposer un intervenant ou enrichir ce corpus, envoyez un petit message !

MUSEI.ON : À quoi sert un musée ?

Chantal Steegmuller : Je pense que le musée a un rôle social à jouer. Certains artistes ont l’ambition de changer la société. En accueillant ces artistes, le musée se fait porte-parole de leur ambition.

On a reçu des artistes pro-chasse, pro-taxidermie […] mais aussi des artistes végétariens, voire végétaliens !

La fameuse photo “avoir l’air naturel” (la girafe et la pile de dossiers étaient déjà en place)

L’intitulé du Musée de la Chasse et de la Nature ne laisse pas indifférent ; il interloque voire choque, positivement ou négativement. Le musée a pour mission de présenter l’évolution du rapport entre l’homme, l’animal et leur environnement. La chasse, qui fait partie de ce rapport complexe, incite à la discussion et au débat. Est-ce qu’on est végétarien, écolo ? Le Musée fait des choix mais veut aussi présenter différents points de vue : donc on a reçu des artistes pro-chasse, pro-taxidermie, carnivores, etc… Et au contraire des artistes pour la défense des animaux, plutôt végétariens voire végétaliens. C’est important car le rôle du musée c’est d’ouvrir la pensée des gens. On espère qu’à la fin de l’exposition, vous n’aurez pas forcément changé d’avis, mais vous vous serez ouvert à d’autres idées, opinions, argumentaires, qui seront partagées ou pas. On ne prétend surtout pas changer les mentalités, mais si l’opinion de l’autre n’est plus aberrante ou à mettre à la poubelle, c’est déjà un grand pas.

On vit quand même dans des sociétés où les opinions sont très divisées… […] Le vrai rôle du musée n’est pas de porter un message mais d’ouvrir l’esprit des gens.

On vit quand même dans des sociétés où les opinions sont très divisées... Sur l’éducation des enfants, la religion, la sexualité, la politique… Pour moi le but pour n’importe quelle institution culturelle, Beaux-Arts, histoire, sciences, etc… c’est d’ouvrir l’esprit des gens pour vivre mieux en société.

Un exemple d’engagement bénévole dans un musée en France ou à l’étranger ?

Je pense aux bénévoles du musée McCord. Une vingtaine de jeunes retraités (il y a une dizaine d’années. Ndlr), dynamiques, qui ont à cœur de faire connaitre le Musée et viennent doubler l’équipe de médiation pour faire les visites ensemble. Il y a donc un guide (rémunéré), généralement un étudiant avec sa jeunesse et sa fougue, accompagné d’un bénévole qui est là depuis des années, qui connaît le musée par cœur. C’est ce mélange des générations qui apporte au groupe et au musée une vraie richesse, une vraie sagesse, une connaissance plus complète du lieu.

S’il y avait des bénévoles au Musée de la Chasse et de la Nature, que feraient-ils ?

Il n’y a pas d’équipe de médiateur au musée, car le budget de fonctionnement ne prévoit pas — pour l’instant — d’embauche pour ce pôle. C’est la Chargée des publics, Cécile Vandermeersch, qui anime les visites et ateliers. L’idéal serait une équipe de médiateurs doublée d’une équipe de bénévoles comme à McCord, ce serait formidable, notamment pour des activités menées hors les murs, dans certaines écoles de quartiers défavorisés ou à l’hôpital.

Je pense également à tous les gros événements où l’on présente le Musée au public comme la Nuit des Musées ou le Salon du Livre, on manque de bras ! C’est mon directeur (Claude d’Anthenaise, Ndlr) qui fait l’accueil et distribue les tickets, mais il n’a pas le temps de parler à tout le monde… Et puis quand les visiteurs viennent pour la première fois dans le cadre du parcours de la Nuit des Musées, ils sont un peu déboussolés par les performances, ils ne comprennent pas toujours… On pourrait avoir une table en début ou fin d’expo pour que des bénévoles renseignent ou présentent le Musée, et échangent avec les visiteurs sur leurs impressions.

On pourrait créer un vrai lien entre bénévoles et équipes du Musée

On a aussi le Pôle “Nature” qui fait souvent des Salons du Livre et Salons de la Revue. Ces bénévoles pourraient être des ambassadeurs du lieu. S’ils sont bénévoles, c’est qu’ils sont fans !?

L’ascenseur de la Fondation François Sommer (Fondateur du Musée et promoteur, avec son épouse, d’un dialogue apaisé entre les “utilisateurs” de la Nature)

Notre Société des Amis joue un rôle capital dans le financement et le rayonnement du Musée, mais ils ne sont pas tellement impliqués dans sa vie quotidienne. Les bénévoles seraient invités aux vernissages VIP, on pourrait les rencontrer aux lancements de saison par exemple ; on pourrait créer un vrai lien entre bénévoles et équipes du Musée, voire même faire des ponts avec d’autres institutions.

Qu’est-ce qu’ils pourraient apprendre ici ?

Eh bien, vu que c’est pas évident de ne pas prendre position pour ou contre, je pense qu’ils pourraient apprendre à promouvoir le dialogue, à prendre du recul sur une thématique et écouter l’opinion de l’autre.

Je le vois à l’échelle de mon équipe, c’est nos différences qui font notre richesse. Le Musée de la Chasse c’est un lieu de mélange. Avant d’arriver, je venais de l’étranger et j’avais travaillé au Palais de Tokyo…

N’oublions pas qu’on est le Musée de la Chasse ET de la Nature !

Après, même si le Musée a une vraie envie de s’ouvrir au grand public, on est bien conscients que parmi les 80 000 personnes qui entrent chaque année, on ne peut pas atteindre notre niveau de diversité idéal. Notre pouvoir de développement des publics est limité par nos ressources en temps et main d’œuvre.

Un bénévole peut aussi acquérir des compétences comme la prise de parole en public, faire comprendre un message, créer de la cohérence dans son discours, être plus intelligible, plus logique… ce sont des choses qu’on apprend sur le terrain. Il pourrait apprendre l’événementiel, des notions de scénographie auprès de notre incroyable équipe technique.

Ici les bois de cerfs sont en fer forgé…

Enfin, le public peut découvrir Billebaude, la revue éditée par la Fondation François Sommer et les Editions Glénat. Elle explore et encourage la réflexion sur les usages et représentations de la nature avec des grands thèmes comme la ruralité, le réchauffement climatique, les animaux protégés comme le loup, en mélangeant journalistes, scientifiques et artistes.

C’est un engagement capital pour nous, n’oublions pas qu’on est le Musée de la Chasse ET de la Nature ! On accueille la remise de prix de COAL, et puis Cécile accueille beaucoup de scolaires via cet angle-là, qui visitent les expositions puis font des ateliers créatifs sur le lien homme-environnement.

Quels sont les projets de long terme, les projets titanesques, presque impensables, que vous ne pouvez pas mener à bien par manque de ressources humaines ou financières ?

Avoir de la médiation en salle en tout temps. On en rêve ! Cécile se charge des groupes (visites conférences, ateliers, etc…) mais elle ne peut pas être partout, tout le temps. Evidemment, on a nos gardiens. Ils sont la marque de fabrique du Musée. Hyper investis, ils vont voir le public et leur parlent des œuvres. Ils ne sont pas formés, mais ils entendent les visites, beaucoup lisent les catalogues, certains connaissent le musée mieux que moi ! Il n’empêche qu’on aimerait bien avoir une vraie équipe de médiateurs volants, comme au Palais de Tokyo.

Autres grands projets : la Carte d’adhérent, la billetterie en ligne et l’agrandissement du Musée. Il y aura une boutique, un café et des nouveaux espaces d’exposition, et les bureaux vont déménager.

On a aussi voulu faire un festival de cinéma sur l’écologie, qui ne s’est pas fait pour cause de deadlines, de finances et de ressources humaines. Ce n’est que partie remise !

Mais en parallèle, on organise le Salon du livre pour la troisième année. Il fédère les pôles Culture, Nature et la Revue.

Quels sont, au Musée de la Chasse et de la Nature, les dispositifs existants de participation des publics ?

On a le livre d’or numérique (GuestViews) qui permet de laisser des commentaires, choisir sa salle préférée, s’inscrire à la newsletter, ou communiquer directement avec l’équipe du Musée. Personnellement, j’ai répondu 5 ou 6 fois à des visiteurs, pour éclaircir, répondre à des incompréhensions… C’est très utile, surtout quand on a pas de médiation !

En septembre 2018, on organise avec le réseau Marais Culture Plus “Les Traversées du Marais”. Cette année, on travaille avec les Tricoteuses de Belleville (renommées “les Araignées du Marais” pour l’occasion) qui vont venir faire un parcours de fils de laine dans le musée. On demande aux Parisiens d’apporter leurs pelotes tout l’été !

Quel est le musée qui vous inspire aujourd’hui le renouveau de la forme muséale ?

Je dirais que le Palais de Tokyo, dans la catégorie “art contemporain, actuel et obscur”, est celui qui arrive le mieux à attirer des publics vers des œuvres pas évidentes : la jeunesse branchée, le fan d’art contemporain, le hipster qui vient pour la soirée DJ set… Ils ont une programmation qui fait que peu importe qu’on soit intéressé par l’art ou pas, on trouvera quelque chose qui nous plaît. Ils ont réussi à installer une ambiance qui te donne envie de se poser, de chiller, de “traîner au Palais de Tokyo”, grâce à de grands canapés dès l’entrée, à la boutique, au restau… Avant même d’avoir aperçu la première œuvre d’art, on perçoit déjà l’essence du musée.

Au Palais de Tokyo […] Avant même d’avoir aperçu la première œuvre d’art, on perçoit déjà l’essence du musée.

Et puis dans les expos, parfois très particulières, les médiateurs volants seront toujours là pour élucider une question.

La cour est toujours ouverte pour respirer l’air d’une forêt qui pousse…

Au Musée de la Chasse aussi, on voudrait pouvoir faire vivre un petit bout du musée sans avoir à faire le tour de l’expo, que les gens puissent entrer et se poser, prendre le programme, être intrigués puis revenir s’ils veulent.

C’est une envie de la direction de faire du Musée un lieu vivant, où l’on se rencontre et discute comme dans une agora. C’est pour ça qu’on a une telle programmation, pour que les gens reviennent et voient les collections sous un autre angle.

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Ronan de la Croix
of Museion and Men

General manager at qqf.fr / Founder of Musei.on / Artistic director at Château Jouvente. History geek, media explorer, wine amateur, royalist. Opinions are mine