Interview : Caroline Lair, Co-fondatrice de Women In AI

ONU Femmes France
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7 min readSep 14, 2019

24 avril 2019

“Je fais partie des grandes enthousiastes vis-à-vis des technologies d’IA, notamment car je suis convaincue qu’elles constituent une opportunité inédite pour notre civilisation de faire le point sur les valeurs de l’humanisme, que nous souhaitons transmettre et automatiser dans les algorithmes.” Caroline Lair, Co-fondatrice de Women In AI

En ce 25 avril 2019, Journée internationale des jeunes filles dans les nouvelles technologies, Caroline Lair, Co-fondatrice de Women In AI, passionnée par l’intelligence artificielle et experte en la matière, nous livre sa vision du futur de cette industrie et partage avec nous ses actions.

Caroline, pouvez-vous nous faire comprendre les temps forts de votre parcours en quelques mots ?

J’ai un double cursus Em Lyon/Business et un Master 2 en Sciences Politiques/Relations internationales. Je travaille dans le secteur des NTICs* depuis 10 ans, sur des postes de business développement et de partenariats, et au sein de diverses sociétés : grand groupe technologique/Apple, software/Nik Software, fond d’investissement/Hardware Club et plus récemment en startup dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) chez Snips.

Je suis également une des co-fondatrices de Women in AI (WAI), une association française qui oeuvre pour des IA responsables et inclusives en particulier sur la question du genre. Plus concrètement, nous travaillons à augmenter la participation et la représentation des femmes dans l’industrie de l’intelligence artificielle.

Je fais partie des grandes enthousiastes vis à vis des technologies d’IA, notamment car je suis convaincue qu’elles constituent une opportunité inédite pour notre civilisation de faire le point sur les valeurs de l’humanisme, que nous souhaitons transmettre et automatiser dans les algorithmes.

Women in AI expliqué à des jeunes, que diriez-vous ?

Le concept de l’intelligence artificielle, c’est de rendre les machines un peu plus intelligentes et de leur permettre de reproduire certains comportements humains. Par exemple, la capacité à comprendre le langage ou à reconnaitre le contenu d’une image.

Pour faire cela, les humains vont entrainer les machines, en d’autres termes, leur apprendre ou leur faire apprendre comment prendre telle ou telle décision. Comme pour l’éducation de jeunes enfants, les humains vont transmettre des connaissances avec du sens aux machines. Or, comme n’importe quel enseignement donné d’un humain à un autre, l’humain va également transmettre sa propre vision et sa compréhension du monde, basé sur sa propre histoire, ses origines. En somme il va donner une vision particulière du monde avec des biais conscients et inconscients. Ainsi, les intelligences artificielles vont reproduire une ou des images de notre société.

Or aujourd’hui, les humains qui développent ces intelligences artificielles sont des hommes, blancs et occidentaux, la plupart du temps. Il y a encore très peu de femmes qui sont impliquées dans « l’éducation » des intelligences artificielles. Ce qui implique que les IA d’aujourd’hui ne sont pas, ou très peu, entrainées avec une perspective féminine, et cela a pour conséquences le développement d’IA sexistes, machistes ou simplement ignorantes à propos de la moitié de l’humanité.

C’est pourquoi nous avons créé Women in AI, il y a deux ans, pour prévenir ce phénomène, éduquer sur les enjeux de l’intelligence artificielle et impliquer davantage de femmes dans cette industrie. Pour ce faire, nous avons développé la première communauté internationale de femmes expertes ou autodidactes en la matière qui rassemble aujourd’hui plus 1600 membres de plus de 80 pays.

Nous promouvons ces femmes comme rôles modèles pour donner des exemples aux plus jeunes, nous les encourageons à prendre la parole sur notre événement WaiTALK et nous développons un programme d’éducation Wai2GO pour les plus jeunes. L’idée est vraiment d’aider les femmes à prendre leur destin en main, et également à saisir l’opportunité de l’intelligence artificielle pour éduquer les machines à reproduire une société moins patriarcale et plus égalitaire entre les femmes et les hommes.

Comment faire venir plus de femmes aux STEM** ?

Pour augmenter la participation des femmes dans les STEM, il faut réunir plusieurs cartes.

Il faut des exemples. Aujourd’hui les STEM sont perçus comme un domaine masculin, il faut donc changer les mentalités et communiquer de manière forte sur des rôles modèles féminins en la matière.

Il faut également éduquer et initier les jeunes filles dès leur plus jeune âge à l’école. De nombreuses initiatives en la matière existent : Women in AI développe cette activité à travers son programme éducatif Wai2GO, qui propose des workshops d’introduction à la robotique et à l’IA dans les écoles, mais également des programmes d’accompagnement et de mentoring pour les lycéennes souhaitant débuter une carrière en STEM. Il est impératif de suivre les jeunes filles sur le long terme, de maintenir le soutien et de ne pas seulement réaliser des actions sans lendemain. C’est aussi pour cette raison que nous croyons à la communauté qui permet à nos jeunes Alumni de trouver des conseils, et des pairs, pour les soutenir.

A vos yeux, quels rôles doivent respectivement jouer les medias, les entreprises et les pouvoirs publics dans cette bataille pour l’égalité ?

Ces trois acteurs, indéniablement, ont un poids majeur dans les représentations sociales véhiculées et les champs des possibles ouverts au filles.

Nous avons besoin de vraies réformes politiques dans l’éducation, avec un engagement fort et suivi ainsi que des objectifs clairs : augmenter le ratio d’étudiantes dans les STEM. Il est également primordial d’agir sur le corps enseignant (enseignant.e.s, conseils d’orientation) et de le former et l’éduquer sur ce sujet.

Les recruteurs et recruteuses, en d’autres termes les entreprises, jouent également un rôle très important et doivent s’engager à encourager les femmes à se former dans le domaine des STEM et de l’IA. Cela passe par de la communication, des politiques RH davantage « women-friendly » et de la formation continue sur les sujets d’IA en interne. WAI organise notamment des Masterclasses à destination des entreprises pour former leurs effectifs sur ces enjeux et techniques d’IA.

Les medias ont une grande responsabilité sur ce sujet. Ils dépensent bien trop d’énergie à entretenir des fantasmes sur une intelligence artificielle qui dépasserait l’humain, atteindrait un niveau de conscience d’elle-même et finirait éventuellement par détruire ses créateurs et créatrices, au lieu de se focaliser sur les vrais sujets. Comment créer des IA qui nous élèvent en tant que sociétés plutôt que nous augmenter ? Comment faire évoluer les mentalités et quel rôle les medias peuvent-ils jouer en communiquant davantage sur des rôles modèles féminins dans les STEM.

L’industrie culturelle enfin, et notamment Hollywood, doit s’impliquer : à quand des premiers rôles pour des femmes scientifiques et ingénieures qui sauvent le monde, ou du moins travaillent à le rendre meilleur ?

Quelle est l’initiative en la matière qui vous a paru le plus efficace ces dernières années, en France ou à l’international ?

Il existe de nombreuses initiatives disséminées sur tous les continents. Aux cotés de Women in AI, des initiatives comme AI4ALL, Women in Tech ou Girls Who Code aux Etats-Unis font un travail formidable. En France, il y a beaucoup de projets également, comme la Ada Tech School, des sociétés dans les EdTech comme Magic Makers et l’investissement de grands groupes comme Microsoft avec son Ecole IA ou la Fondation l’Oréal qui souhaite soutenir les femmes chercheuses en IA avec son programme Women in Science.

Que conseilleriez-vous à une jeune fille qui veut réussir dans la tech ?

Vouloir est déjà un gage de réussite ! Je lui conseille de ne jamais s’arrêter aux préjugés des gens et d’avoir confiance en elle ! Pour l’aider à dessiner sa trajectoire professionnelle et savoir comment faire les bons choix, je lui conseille de s’entourer de personnes inspirantes qui pourront la mentorer et lui apporter des conseils. C’est exactement ce que nous faisons au sein de Women in AI, nous travaillons à faire émerger la prochaine générations de femmes leaders dans la tech. Première étape : nous rejoindre sur womeninai.co !

Votre dernière lecture inspirante sur le sujet ?

L’intelligence artificielle, pas sans elles, de Aude Ernhein et Flora Vincent, rare ouvrage de vulgarisation en français, très bien pour comprendre ce qu’est l’IA et les enjeux d’une IA inclusive.

Pour aller plus loin : Homo Deus: A Brief History of Tomorrow, par Yuval Noah Harari. Existe en français aussi. Human + Machine: Reimagining Work in the Age of AI par Paul Daugherty et H. James Wilson

Qu’est-ce qui vous interpelle chez ONU Femmes France ?

La capacité de coopération internationale et de mobilisation dans plus de 100 pays, la force de communication avec le relais de campagnes internationales menées par ONU Femmes.

Le fait de mener des programmes auprès des populations les plus vulnérables est également fondamental pour agir de manière efficace car c’est bien parmi ces populations que les inégalités sont les plus fortes, et ce sont ces premières femmes qui doivent bénéficier en tout premier lieu d’aides, d’inspiration et de soutien.

Bien évidemment, ONU Femmes France ce sont également des femmes et des hommes inspirant.e.s, aux parcours brillants, qui dédient une partie de leur temps libre à la lutte pour l’égalité des sexes.

C’est enfin un esprit positif et porteur d’espoir pour les générations futures de femmes que nous partageons chez Women in AI et qui doit les encourager à devenir actrices du changement.

*NTIC : nouvelles technologies de l’information et de la communication

**STEM : science, technology, engineering, and mathematics (en français STIM : science, technologie, ingénierie et mathématiques)

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ONU Femmes France représente l’agence des Nations Unies ONU Femmes en France, au service de l’égalité des genres, des droits et de l’autonomisation des femmes.