Vivatech2019 — Femmes, tech et cyber-violences : Quels enjeux pour les nouvelles générations ?

ONU Femmes France
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6 min readSep 14, 2019

9 juin 2019

Le 18 juin dernier, le comité ONU Femmes France animait une conférence intitulée “Femmes, tech et cyberviolences : quels enjeux pour les nouvelles générations ?”, dans le cadre de l’édition 2019 du salon VivaTech. L’objectif de cette initiative : sensibiliser le public aux bonnes pratiques contre les cyberviolences et à la place des femmes dans l’univers des nouvelles technologies.

Pour sa quatrième édition, Viva Technology a décidé de mettre en lumière les femmes du numérique au travers de différents panels et exposant.e.s. A cette occasion, ONU Femmes France a organisé une table-ronde sur les questions liées à la cyber-sécurité et à la place des femmes dans le marché du numérique. La conférence était orchestrée par Marine Aubin, consultante en innovation et entrepreneuriat, et animée par les retours d’expériences de Carlotta Gradin et Aroua Biri, deux expertes en cybersécurité ; et d’Elise Goldfarb et Julia Layani, fondatrices du média féminin, Fraiches et du cabinet de conseil en positionnement de marque, Elise & Julia.

Les femmes, premières victimes de violences en ligne

L’un des premiers éléments à être mis en lumière est la question des cyberviolences. Avec l’ascension des réseaux sociaux, les filles subissent davantage de violences en ligne que les garçons. Ces violences prennent différentes formes : insultes en lignes liées à l’apparence physique, insultes à caractère sexuel, violation de la vie privée “en lien avec des photos, vidéos, ou même usurpation d’identité”, selon Carlotta Gradin, doctorante en droit à l’Université Paris II — Panthéon Assas, et experte en cybersécurité ; ou encore par des comportements et commentaires sexistes sur les réseaux sociaux. Pour l’experte en cybersécurité, big data et e-santé*, Aroua Biri, ces cyberviolences “peuvent tuer et laisser de graves séquelles. Elles excluent les femmes d’internet et des espaces politiques.”

“Pour mieux vous faire mal, le cyberharceleur va récolter le plus d’informations possibles sur les réseaux sociaux”

Pour pouvoir faire face à ce type de situation, les deux expertes en cybersécurité ont partagé avec le public quelques conseils. “Pour mieux vous faire mal, le cyberharceleur va récolter le plus d’informations possibles sur les réseaux sociaux”, informe Aroua Biri. “Pour parvenir à réduire les risques, il faut éviter de trop mettre en lumière les informations de votre vie privée. Pour cela, vous pouvez également contrôler vos paramètres de confidentialité. Ne laissez pas votre compte privé en public. N’hésitez pas à faire un deuxième compte pour les relations professionnelles. Il n’est pas recommandé d’avoir famille, amis, et collègues de travail sur un même réseau social. Régler qui peut voir vos publications. Enfin, il est important de désactiver votre géolocalisation : par exemple, lorsque vous prenez une photo sur Facebook avec la géolocalisation active, Facebook enregistre votre emplacement géographique, ce qui permet indirectement au hacker, de connaître votre adresse”.

De son côté, Carlotta Gradin, oriente le public vers le guide de protection numérique du Centre Hubertine-Auclert. Il s’agit d’une plateforme qui propose de nombreux conseils pour sécuriser tous ses appareils (ordinateur, tablette, smartphone), mais aussi, sa boîte mail, ses réseaux sociaux, sa navigation internet ou encore ses comptes bancaires et administratifs. Via son label de respect en ligne, l’ONG Respect Zone, propose également différents outils de prévention au harcèlement, aux discriminations et à l’incitation à la violence en ligne et dans l’espace public. “Ces violences peuvent être signalées sur la plateforme du gouvernement, Pharos ou encore celle de l’association Point de Contact. Des numéros d’écoutes comme le Non au Harcèlement 3020, ou le Net Ecoute 0 800 200 200, permettent d’entendre les victimes et témoins de cyberviolences”, précise l’experte. Enfin, la Fondation des Femmes propose un travail de la Force Juridique (un organisme indépendant, composé d’avocats et de juristes bénévoles, qui défend le droit des femmes, NDLR) et la création d’un fond spécifique pour aider les victimes de cyberharcèlement.

Manque d’éthique ou manque de maîtrise des algorithmes ?

L’autre problème majeur souligné par les quatre intervenantes : les algorithmes créés pour faire de l’IA (Intelligence Artificielle). L’éthique des algorithmes utilisés pour l’IA fait l’objet de nombreux questionnements. Pour Aroua Biri, par exemple, ils sont souvent synonymes de discrimination et d’inégalité. “J’ai déjà vu des logiciels qui ne gardaient que le CV des hommes, ou qui proposaient une rémunération moins élevée à une femme qu’à un homme. L’intelligence artificielle collecte les données que l’on lui donne. Si vous avez l’habitude de donner des informations discriminantes à votre outil d’intelligence artificielle, l’IA va être éduquée à partir des données stéréotypées que vous lui aurez fournies”, souligne-t-elle. De son côté, la co-fondatrice de Fraiches, Elise Goldfarb, remet en cause les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux. “Lorsque vous regardez une vidéo sur votre fil d’actualité Facebook ou Instagram, automatiquement, on va vous suggérer par la suite une série de vidéos en autoplay, sur le même sujet que celle que vous avez pu regarder. Cela veut dire que si je regarde une vidéo violente, on va continuer à me suggérer des vidéos violentes”, décrit-elle. En plus d’être traumatisant, cette expérience peut être très dangereuse, car elle peut inciter les adolescent.e.s à entrer dans le cercle vicieux des challenges (à l’instar du Momo Challenge ou encore du Kylie Jenner Challenge). “L’autre point négatif est que les algorithmes utilisés par Facebook mettent en lumière sur le fil d’actualité, les contenus qui ont le plus de commentaires, de j’aime, et de partages. Cela incite les médias à créer des contenus qui suscitent une division entre les internautes. Résultat : on retrouve beaucoup de commentaires haineux sur les réseaux sociaux”, ajoute la jeune femme.

Si l’on analyse de plus près, les risques négatifs des algorithmes et de l’IA, on comprend que cela n’est pas forcément intentionnel, il s’agit tout simplement d’une perte de contrôle dans le déploiement de ces nouvelles technologies, très puissantes. Alors, comment casser ce système nocif des réseaux sociaux et plateformes en ligne ? Pour Aroua Biri, “il faut ajouter des règles qui favorisent davantage les femmes et les autres personnes discriminées. Il faudrait également que les femmes s’orientent davantage vers les métiers de la data science. Pour cela, il faut montrer aux filles, dès leur plus jeune âge, que tout est possible et accessible. Il est important de les former à l’IA.”

Comment sensibiliser la nouvelle génération ?

Face au rôle ambigu que portent aujourd’hui les réseaux sociaux, il est primordial de sensibiliser les jeunes aux dangers d’internet. Julia Layani, propose de renforcer l’éducation aux réseaux sociaux dans les programmes scolaires. Une femme du public, enseignante dans une école à zone d’éducation prioritaire, confie que dans son école, “il y a tout un programme de modules de sensibilisation sur l’éducation aux réseaux sociaux, ou encore l’éducation aux médias. Pour ma part, en tant qu’enseignante, j’essaye de me tenir à la page pour pouvoir être au plus proche de ce que font les jeunes sur les réseaux sociaux. Malgré cela, j’ai l’impression qu’on ne fait pas baisser grand chose”. Pour Aroua Biri, l’accompagnement des jeunes sur les réseaux sociaux devrait aussi se faire via les parents dès l’acquisition du premier smartphone.“Les parents devraient opter pour le contrôle parental”. Catherine Reichert, Vice-Présidente Communication à ONU Femmes France, prend la parole pour mettre l’accent sur le dialogue parents-enfants, via des situations d’exemples, pour “briser les tabous.” Julia Layani ajoute que la personne en charge des réseaux sociaux d’un média ou d’une page, d’un groupe Facebook, a une part de responsabilité dans la modération des commentaires. Cela fait réagir, Ibrahim, community manager d’une page étudiante, venu assister à cette table-ronde. Il évoque les difficultés parfois rencontrées dans la modération des communautés, face à l’ampleur de la tâche. “Il faudrait recruter plus de community manager afin de se passer le relais, lui répond Julia Layani, on a tendance à sous-estimer la tâche”.

En somme, la mobilisation doit venir de tous les acteurs et actrices. Pour accompagner sereinement la mutation culturelle que nous vivons, il faut que parents, corps enseignant, institutions et plateformes numériques sensibilisent les jeunes aux cyberviolences.

Par Sabrina Alves

*L’e-santé ou la santé numérique désigne « l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’ensemble des activités en rapport avec la santé »

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