Créer un jeu vidéo sur une femme de sciences en 48H, c’est possible !

Anne Lautrou
Open EdTech
Published in
9 min readApr 26, 2016

Le week-end du 15 au 17 avril 2016, la #DiversityJam se tenait dans les locaux de Mozilla. Nous étions une trentaine à participer à cet événement co-organisé par le Gamelier et Jamshaker et 7 jeux ont vu le jour dans ce laps de temps. Ce fut un week-end intense et très enthousiasmant.

Pour ceux qui découvrent le concept de “gamejam”, et qui trouvent l’idée de passer deux jours à concevoir un jeu (ou en tout cas un prototype fonctionnel) intrigant, je vous invite à suivre le Gamelier et Jamshaker sur Facebook. Le meilleur moyen de comprendre de quoi il s’agit est encore d’y participer. Dans tous les cas, vous trouverez ici un retour d’expérience aussi complet que possible, quoi que très partiel et forcément différent de ce que les autres participants auraient pu vous en dire.

En effet, chacun arrive à une gamejam avec des attentes, des compétences et des expériences différentes. Il y a ceux qui n’ont jamais fait de gamejam et qui sont juste curieux ; il y a ceux qui en sont à leur dixième et qui arrivent avec un groupe et une idée de projet déjà constitués ; et il y a ceux, comme moi, qui connaissent un peu mais qui attendent de voir comment ça se présente, et forment un groupe par affinité le vendredi soir. Professionnels ou amateurs du jeu vidéo, dans tous les cas, il s’agit de ne pas trainer :

Le temps presse pour former une équipe projet

Vendredi soir, nous arrivons dans les locaux -somptueux- de Mozilla. Le premier choc passé, le deuxième arrive. Entrer dans un lieu avec un majordome et un hall d’entrée pouvant accueillir une maison aux proportions tout à fait respectables fait souvent cet effet-là. Dans la salle des fêtes, la présentation du programme du week-end a déjà commencé. Je m’installe dans un coin et écoute les talks sur la diversité, le déroulement du week-end, les différents organismes qui soutiennent les jeux à impact social comme Game for change et une asso toute jeune dont j’ai oublié le nom mais qui devrait bientôt faire parler d’elle… D’ailleurs, si vous avez son nom, je prends ;)

Très vite, la parole revient aux participants. Nous avons 30 minutes pour discuter entre nous, chercher des idées de jeu, reconnaître des visages connus dans la foule. À la fin de l’échange, il doit y avoir bien 12 personnes qui ont une idée de jeu à présenter à l’assemblée.

Par exemple, un jeu qui se joue en réel où chacun est porteur d’un handicape qui lui fait vivre l’expérience différemment, un jeu traitant de la diversité génétique des bananes, des stéréotypes que nous associons à tout un tas de choses, d’une séance de coatching pour magical girl qui refusent d’aller sauver le monde, etc.

Les projets sont tous très différents, il y en a pour tous les goûts et à force de discussions, les équipes se forment autour des projets les plus susceptibles d’être menés en un week-end. Pour ma part, j’en ai au moins quatre qui m’intéressent et je prends trente minutes pour parler avec chacun des instigateurs.

Finalement, il est 21h30 le vendredi soir et je viens d’intégrer l’équipe Satellite. Notre projet ? Un jeu basé sur la vie (passionnante) de Catherine Cesarsky, une éminente astrophysicienne, malheureusement trop peu connu du grand public. Dans les années 70–80, elle a su faire sa place dans un univers très majoritairement masculin pour devenir la première femme à occuper des postes comme la présidence de l’Union Astronomique Internationale. La gamejam peut commencer pour de bon mais en attendant, les locaux ferment et nous avons tous mérités un peu de repos. Quel luxe ! Habituellement, il faut voler quelques heures de sommeil, sinon le développement se fait en continue.

Jour 1

Le lendemain matin, 10h, la team Satellite se retrouve au grand complet :

  • Edwige, instigatrice du projet et développeuse,
  • Judicaëlle, graphiste 2D,
  • Elsa et Anne, game designer et scénaristes,
  • Saïda, sound designer (à distance).

Pour commencer, nous lisons tout ce que nous pouvons sur Catherine Cesarsky. Peu d’informations existent en ligne et la page wikipédia ne suffira jamais. Heureusement, Edwige est en contact direct avec la dame et, très vite, nous pouvons aborder la question centrale :

Quel game design pour quel message ?

En nous appuyant sur cet article du magasine la Recherche et les mails de la concernée, nous convenons que trois axes forts marquent la vie de Catherine Cesarsky. C’est une femme du monde (Argentine, USA, France, Europe, Chili), elle a un parcours scientifique exemplaire et elle a su s’imposer dans un milieu peu favorables aux femmes. De là à imaginer une aventure épique sur fond de combat contre les préjugés dans le milieu de la recherche, il n’y avait qu’un pas que nous avons franchi sans hésiter. Pour que notre développeuse et notre graphiste puissent très rapidement commencer à travailler, nous actons un premier jet du jeu :

L’exploration du campus de CalTech où Catherine a réalisé son post-doc et eu son premier enfant, alterné avec des phases de battle d’arguments avec des ennemis. Si nous avons le temps, nous dupliquerons et adapterons ce chapitre 4 fois pour couvrir les étapes de sa vie identifiées comme décisives.

Avec Elsa, il nous reste encore beaucoup de choses à préciser en terme de game design et de scénario. Pas de temps à perde, Edwige et Judicaëlle ont besoin de précisions sur tous les fronts, ou presque : quels personnages ? Quel plan pour le campus ? Quelles interactions pour le joueur ? Quels objectifs ? Quelles jauges pour rendre compte de sa progression ?

En jaune, le chemin, en vert, les arbres, en bleu, les étangs, en orange, les bâtiments, en violet les interactions, en bleu le personnage principal

Entre spécifications et écriture, un monde se dessine et nous découvrons toute l’ampleur des décisions à prendre et des questions à se poser. Quand on s’enflamme, Edwige ne manque jamais de nous remettre les pieds sur terre : “On n’a que 16h devant nous !” Quatre personnages, pas plus, et trois attaques par battle. Si nous pensions à instaurer des événements aléatoires, avec des probabilités, une montée en puissance, nous oublions tout ça tout de suite. Nous n’aurons pas le temps de faire plus qu’un prototype entièrement scripté.

Concernant le fond, ce sont les dialogues qui posent le plus de problème. Comment reproduire le quotidien d’une femme de sciences sans entrer dans la parodie ? Quelles nuances faire passer ? Parce que nous souhaitons nous adresser aux femmes, aux scientifiques, mais aussi aux personnes qui jouent le jeu d’un milieu qui se ferme aux femmes, il nous faut orienter le joueur plus que lui imposer un comportement considéré comme acceptable. Lors des “battle”, nous avons donc pris le parti de proposer trois réponses face aux attaques. Une seule est considérée comme la bonne. Saurez-vous deviner la quelle ?

Adversaire : Moi, les femmes dans l’astrophysique, je n’y crois pas ;

Cat : Quand on est scientifique, mieux vaut ne pas se baser sur des croyances ;

Cat : C’est vrai que nous ne sommes pas très nombreuses dans cette discipline ;

Cat : Moi, je crois à l’expansion de l’univers et aux mécaniques célestes.

Seuls les tests nous permettrons de savoir si nous avons nuancé correctement ces réponses, mais nous souhaitons clairement encourager une posture bien précise : “je suis scientifique et rien de ce que vous dites et qui échappe au domaine des sciences ne doit intervenir dans cette discussion”. D’ailleurs, en hommage à Catherine Cesarsky et à la quête qu’accomplissent bon nombre de femmes de sciences, nous décidons d’appeler le jeu : TO THE SKY, . Et déjà, c’est l’heure de manger.

De l’idée à la réalisation : une expérience hors du commun

Le reste du week-end va nous servir à étoffer le jeu d’illustrations, de textes et d’interactivité. Chacune d’entre nous a un rôle à jouer mais le gros du travail reste pour notre développeuse qui doit, en plus de coder, intégrer tous nos contenus. Avec beaucoup de thé et de sucreries, toutefois, nous relevons le défi.

Notre graphiste a même le temps de nous faire un logo :

Jour 2

Pour être honnête, le contexte d’une gamejam n’est pas sans poser des difficultés. Dès le début, nous avons dû prendre des décisions importantes sur le long terme alors que nous étions loin d’avoir une vision du jeu suffisamment précise et complète. Par exemple, nous avions prévu que le personnage principal se promènerait sur le campus et interagirait avec d’autres personnages, alliés ou ennemis. Ce n’est que dans un second temps que la nature des interactions a été définie. Que se serait-il passé si, alors, nous nous étions rendue compte que la structure générale du jeu ne permettait pas de développer des interactions intéressantes ? Nous n’aurions pas pu revenir en arrière par manque de temps et nous aurions dû composer avec ce qui était déjà fait. Beaucoup de Jam se finissent en queue de poisson pour ce genre de raison. Heureusement pour nous, la conception du jeu s’est très bien passée, mais il est évident que la contrainte de temps à deux effets :

D’une part, il est facile d’éviter la prise de risque en se dirigeant vers des structures de jeu connues et éprouvées. D’autre part, ce qui fait l’essence d’un jeu vidéo, la possibilité de le tester et de le modifier pour s’adapter au ressenti du joueur, n’a pas sa place.

C’est la course, que diable ! Tergiverser n’est pas une option.

Enfin, vous l’aurez vu venir, 48H, ce n’est pas suffisant pour créer un vrai jeu vidéo. Le processus de création d’une expérience multimédia et interactive de cette densité (et de qualité) prend beaucoup plus de temps et ne peut pas être réduit sans conséquences.

Alors, quel intérêt trouve-t-on dans une gamejam ?

Pour commencer, c’est une vraie expérience humaine. Les talents réunis, le défi à relever, l’ouverture d’esprit des participants, tout concours pour faire de cet événement une belle rencontre. Parce qu’il existe bien d’autres façons de passer un bon week-end et qui n’incluent pas de s’enfermer dans une grande salle face à son ordinateur, une gamejam est aussi l’occasion d’expérimenter. D’expérimenter quoi ? Tout ce qu’on veut du moment qu’on arrive à convaincre quelqu’un de se lancer avec soi ! D’ailleurs, ce n’est même pas une obligation puisqu’il est possible de se lancer tout seul aussi. Le fait est que vous avez 48H pour produire quelque chose de montrable. Point.

Les hypothèses de départ peuvent varier énormément :

  • Est-il possible de réaliser un jeu vidéo sur une femme de science ?
  • Peut-on faire un jeu qui se joue avec différents handicapes ?
  • Peut-on simuler la diversité génétique dans un programme simple d’utilisation ?
  • Peut-on faire un jeu mulitjoueur qui parle de diversité ?

Voici les résultats : https://itch.io/jam/diversity-jam

Les réponses ne sont pas complètes non plus mais en un week-end on ne peut pas espérer avoir plus qu’un confirmation ou qu’une piste de réflexion. En cela, les gamejam permettent d’innover et d’oser. Et comme je vous l’ai dit, chacun vient à une gamejam avec ses raisons. Pour ma part, je suis venue avec l’idée de ma rassurer sur mon travail en équipe et pour vérifier l’intérêt de mon profil dans la création de jeu.

On peut dire que j’ai obtenu des réponses ;) Et vous, quelle serait votre raison de passer le pas ?

Lien vers le jeu To the sky sur ich.io : https://edwige.itch.io/to-the-sky

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