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Philosophie de l’éducation : De l’évaluation de et dans l’enseignement au développement durable

Nicolas Coënt
Open EdTech

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Il est de bon ton de nos jours d’être en faveur du développement durable. En effet, la position de refuser le constat du réchauffement planétaire et des émissions de gaz à effet de serre devient de moins en moins défendable. De même, il est admis que l’introduction du développement durable dans la société passe par une Education au Développement Durable auprès des plus jeunes. L’idée d’une éducation à l’environnement n’est pas récente, en effet Rousseau au XVIIIème proposait déjà une éducation environnementale. Mais l’éducation « moderne » fut initiée en 1977, suite à une circulaire du ministère de l’éducation, sous la forme de l’ERE. Plus récemment, en 2004, l’Education à l’Environnement pour un Développement Durable (EEDD) fut intégrer aux cours de SVT et de Géographie pour les collégiens. Ce programme fut changé en 2007 en EDD, puis connu plusieurs modifications les années passant. Au milieu de tous ces sigles, il semble devenir important de redéfinir plus clairement qu’elles doivent être les objectifs d’un tel enseignement, comment faire une évaluation de cette enseignement, et par qui ?

Selon Michel Hagnerelle, auteur du rapport de l’inspection générale sur le bilan de trente ans d’éducation à l’environnement dans l’Education nationale, rappelle que l’enjeu principal de l’EDD est de « reboussoler le monde ». Vaste défi, qui n’évite pas de nombreuses injonctions contradictoires. Des approches interculturelles, interdisciplinaires, ou des démarches purement scientifiques, ont été tentés dans différents établissement.

Un des écueils à éviter dans ce type d’enseignement et de se contenter de parler « des petits gestes du quotidien ». En effet, les actions personnelles ne se réduisent pas à des choix de comportement plus ou moins respectueux de l’environnement, il faut prendre en compte les enjeux collectifs, sociaux, politique avec l’indispensable culture scientifique et le non moins nécessaire esprit critique à l’égard des discours médiatiques. Les « bons gestes » ne permettent pas de construire et comprendre un projet de société dans ses composantes environnementales, sociales, économiques et éthiques avec toute la complexité de réponses qui ne peuvent être simple et unique. Un futur citoyen n’est pas seulement responsable de ses actions personnelles, il doit être capable de participer aux décisions publique, apte à s’engager dans l’élaboration d’une société durable, ce qui nécessite des connaissances, des valeurs et une aptitude à vivre ensemble. Cette aptitude rejoint une des autres problématiques de l’enseignement de notre époque, à savoir le combat contre les discriminations et l’exclusion sociale. En effet, en apprenant à prendre l’autre en compte, et à faire attention à ses besoins et nécessités, la réduction des inégalités sociales aurait lieu, du moins dans les relations entre les citoyens.

Ainsi le travail avec la classe sous la forme de jeux de rôles, et de débats, permet aux élèves de se développer une empathie et une capacité de réflexion sur ces questions. En plus de ces capacités réflexives, de solides connaissances des dimensions scientifiques et sociales afin de favoriser une rationalité critique dans la pensée des élèves. L’un des principaux problèmes de l’enseignement scientifique est qu’il oscille entre deux tendances. D’un côté, une vision positiviste des sciences, marquée par l’absence de sens critique, fondée sur la conviction que toute avancée des sciences est synonyme de progrès. A l’opposé, un discours relativiste qui assimile le discours scientifique à un tout autre discours, y compris moral, et ne lui reconnait aucune validité spécifique. L’activité neutre, la manière dont elle est conduite est porteuse de choix sociaux, de choix économiques et de choix éthiques, il en découle une prise en compte des risques générés par les progrès techniques. Face à ces visions, les enseignants doivent prendre en compte les incertitudes scientifiques, mais aussi sociales, économiques et éthiques dans leur approche de l’EDD. En cela, la promotion de l’interdisciplinarité et des formes pédagogiques interactives et ouvertes telles que les TPE, les débats, les études de cas… entre certainement dans cette perspective.

Face à ces thèmes à aborder dans l’enseignement, les contraintes posées par un système scolaire piloté prioritairement par l’évaluation individuelle et la sélection compétitive est peu compatible avec des principes de citoyenneté active.

Le mot évaluation en lui-même est chargé d’une certaine ambigüité : s’agit-il de d’une mesure, en fin de parcours, pour mettre en évidence le chemin parcouru, ce qui a été fait et appris par les élèves ? Ou bien s’agit-il d’une évaluation continue, de tous les instants ? En fait, l’évaluation d’une éducation au développement durable doit porter sur deux éléments : ce qui a été fait, réalisé, l’analyse de la production terminée, et ce qui a été appris, la vérification des acquis prévu en début de parcours.

Cette évaluation des projets peut être faite par les élèves eux-mêmes. En effet avoir un regard critique sur ses propres réalisations, savoir accepter ses erreurs et échecs, fait partie de l’apprentissage du sens critique par les élèves. Evaluer, pour le professeur, c’est peut-être d’être seulement en observation et à l’écoute tout au long de la progression d’un projet. Néanmoins la question de la note se pose. L’acquisition des connaissances est en effet aisée à évaluer, mais qu’en est-il des paramètres touchant les aptitudes et les méthodes de travail, comme l’implication, la persévérance, la manière de s’organiser, de présenter un problème et ses résultats, la faculté de communiquer…. Ces compétences s’apparentent mal à des contrôlent ou des interrogations, qui paraissent figés et vides de sens pour les élèves. Quoiqu’il en soit, l’utilisation d’une note induirait de plus l’établissement d’une hiérarchie et d’une compétition entre les élèves, dans un domaine qui se veut égalitaire. Enfin, l’impact réel de ce type d’activité reste difficile à évaluer, les retombées, si elles existent, peuvent ne se manifester que sur le long terme.

Certains acquis peuvent tout de même être contrôlés avec certitude. L’esprit critique par exemple. Développer une pensée critique, c’est acquérir les capacités de :

-ne pas affirmer gratuitement

-passer de l’affirmation au doute

-savoir trouver des arguments

-discuter les arguments des autres et mesurer la valeur des arguments contradictoires

-ne pas se sentir obliger de décider ou de choisir en l’absence d’arguments suffisants

-pouvoir accepter d’avoir tort et ne pas se sentir systématiquement jugé par les autres.

Ces critères ajoutés à des critères particuliers sur les projets des élèves, tel que la motivation et intérêt du sujet, accord entre les objectifs et les actions menées, l’implication dans le projet, les documents et matériel fournis et utilisé… Donne déjà une bonne grille d’évaluation sur cette formation. Mais ces critères ne demandent pas d’être forcément enseignant, des professionnels avec qui les élèves travailleraient pourraient tout aussi bien l’établir, et c’est sans compter la capacité des élèves à juger eux même de leur travail.

Le but des enseignants devrait être de « fabriquer des emmerdeurs », dit Albert Jacquard. Cette idée colle parfaitement au concept de l’EDD et de la remise du système dans lequel nous vivons. Evaluer un tel parcours ne devrait donc pas consister en un questionnaire donné à la fin, mais un accompagnement des élèves le long de celui-ci, afin de les aider à devenir les citoyens de la prochaine société.

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Nicolas Coënt
Open EdTech

Geologist, EdTech student, want to developp new ways of teaching ecology.