Partager le patrimoine culturel Autochtone en ligne : une vue d’ensemble des politiques des GLAMs

Brigitte Vézina
Open GLAM
Published in
7 min readOct 28, 2020

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Le 9 août est la Journée internationale des peuples autochtones du monde, une journée qui vise à sensibiliser aux droits et aux aspirations des peuples indigènes dans le Monde et les soutenir. À Creative Commons, nous souhaitons mettre en lumière cette importante célébration et reconnaître qu’à l’échelle internationale des mesures doivent être prises pour protéger le droit et les intérêts des peuples Autochtones dans leurs cultures uniques. Une mesure qui recoupe notre travail politique à CC à l’Open GLAM concerne le partage ouvert et en ligne du patrimoine culturel Autochtone pris en charge par les institutions du patrimoine culturel.

Logo for the International Day of the World’s Indigenous Peoples by the United Nations. Access it here.

Creative Commons et le mouvement Open GLAM

De nombreuses galeries, bibliothèques, services d’archives et musées (appelés collectivement GLAMs), s’efforcent de rendre accessible au public les collections du patrimoine culturel. Pour ces institutions, l’accès à la connaissance et à la culture est un aspect essentiel de leur devoir et mission d’intérêt général. Beaucoup d’institutions numérisent et rendent accessible en ligne les collections du patrimoine culturel dans un effort pour à la fois préserver et partager ouvertement le matériel du patrimoine culturel. Le mouvement Open GLAM reconnaît cette mission et la promeut activement, aidant les GLAM à tirer le meilleur parti des licences et des outils CC pour communiquer ce que les utilisateurs peuvent faire avec le contenu numérisé. Chez CC, nous préconisons fortement l’accès libre au matériel du domaine public conservé dans les collections GLAM pour le bénéfice de tous. CC croit fermement que les reproductions numériques des éléments de ces collections qui sont dans le domaine public devraient rester dans le domaine public et être accessibles en ligne aussi ouvertement que possible.

Le patrimoine culturel autochtone et Open GLAM

La réutilisation libre des documents du domaine public, favorisée par la numérisation, peut créer des tensions en ce qui concerne le patrimoine culturel Autochtone. La loi actuelle sur le droit d’auteur, imprégnée de concepts et de valeurs occidentaux, ne protège pas de manière adéquate les expressions culturelles traditionnelles Autochtones, ni ne reflète ou ne rend suffisamment compte des valeurs culturelles Autochtones. Par défaut, de nombreuses formes de patrimoine Autochtone ou «expressions culturelles traditionnelles» (qui peuvent inclure un contenu secret, sacré ou sensible) sont injustement considérées comme relevant du domaine public en vertu de la conception classique de la législation sur le droit d’auteur.1 En particulier, le système du droit d’auteur ne rend pas correctement compte des façons dont les expressions culturelles traditionnelles sont créées, détenues collectivement et transmises à travers les générations. Les critères d’éligibilité au droit d’auteur, tels que l’originalité et la qualité d’auteur, sont souvent en contradiction avec les notions Autochtones de créativité et la conservation du patrimoine culturel d’une communauté. En conséquence, il peut sembler qu’un tel patrimoine est librement disponible pour être utilisé et réutilisé, alors qu’en réalité ce n’est peut-être pas le cas. Permettre ce niveau d’accès et d’utilisation soulève des préoccupations éthiques qui doivent être pleinement prises en compte.2

La notion de «domaine public» est pertinente dans le cadre du système du droit d’auteur. Ainsi, alors que le patrimoine culturel Autochtone peut être considéré comme du domaine public en vertu des règles du droit d’auteur, et donc libre d’utilisation, d’autres droits et intérêts peuvent encore s’y rattacher, provenant de diverses sources. Celles-ci incluent d’autres restrictions juridiques telles que les droits à la vie privée, d’autres droits de propriété intellectuelle (y compris les droits sui generis pour protéger les expressions culturelles traditionnelles), les droits de la personnalité, ainsi que les lois et protocoles coutumiers Autochtones. Dans la pratique, cela signifie que l’accès et l’utilisation des contenus Autochtones peuvent être limités et justifiés pour des raisons qui ne relèvent pas du système du droit d’auteur. Étant donné que ces droits et intérêts ne sont pas protégés par la loi sur les droits d’auteur, ils ne font pas l’objet d’une licence sous les licences et les outils de CC, qui fonctionnent uniquement dans le cadre du système de droits d’auteur. Cela signifie que les conditions spécifiques d’accès et d’utilisation basées sur les droits, intérêts ou souhaits Autochtones ne sont pas pleinement prises en compte lors de l’application des licences et des outils CC uniquement et que des mesures supplémentaires pourraient être recommandées pour refléter correctement les conditions associées à l’accès et à l’utilisation des expressions culturelles traditionnelles. Local Contexts, un système de marquage inspiré de Creative Commons, a été conçu pour résoudre ce problème en alertant les ré-utilisateurs sur les protocoles locaux établis par les communautés.

Les GLAMs sont dans une position centrale pour prendre des mesures actives à l’appui des intérêts et des valeurs culturels Autochtones. Grâce à une prise de décision réfléchie, volontaire et respectueuse, les GLAMs peuvent permettre le traitement éthique des éléments du patrimoine culturel, allant au-delà de l’application de la législation sur le droit d’auteur et de la détermination du statut de domaine public d’une œuvre. Les GLAMs devraient tenir compte des droits et des intérêts des peuples Autochtones, en particulier en ce qui concerne la numérisation, l’accès et la réutilisation du patrimoine culturel Autochtone.

A South African woman from the Ndebele tribe stands in front of a house in 1983. This picture was provided by the UN Photo/P Mugubane and shared via Flickr under CC BY-NC-ND 2.0.

Une étude de la politique des GLAMs sur le patrimoine culturel autochtone

Dans une volonté de mieux comprendre comment les GLAMs s’attaquent à cette tension, nous avons entrepris une recherche documentaire visant à étudier et à analyser les politiques et les pratiques des GLAMs traitant du traitement des contenus culturels autochtones.3 Après avoir rassemblé une gamme diversifiée de ressources provenant de divers GLAMs situés dans différentes régions du monde, nous les avons étudiées pour trouver les tendances, les bonnes pratiques, les stratégies et les justifications communes.4

Nous avons constaté que certaines institutions tentent de trouver un équilibre entre leur objectif de partager ouvertement les collections et la nécessité de donner la priorité aux intérêts des peuples Autochtones dans leur patrimoine culturel. Les politiques en place au Auckland War Memorial Museum (discuté ici avec Open GLAM on Medium), au Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa et au Museum of Applied Arts and Sciences sont d’excellents exemples d’institutions qui s’efforcent de trouver cet équilibre.

De plus, nous avons pu identifier trois thèmes clés dans les politiques étudiées:

  1. Reconnaissance — Les GLAMs devraient reconnaître et affirmer les intérêts des peuples Autochtones dans leur propriété culturelle et intellectuelle, existant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du droit d’auteur conventionnel.
  2. Consultation — Les GLAMs doivent établir des relations authentiques et significatives avec les communautés d’origine, comprendre le droit coutumier et les protocoles, et déterminer les besoins et les souhaits des communautés en ce qui concerne leur patrimoine culturel.
  3. Tutelle — Les GLAMs devraient respecter activement les décisions de la communauté concernant la numérisation, l’accès et l’utilisation, en donnant aux communautés autochtones une pleine autorité sur la façon dont leur matériel culturel est traité.

Bien que cette recherche nous donne un premier aperçu, ce n’est que la première étape dans la compréhension des interrelations importantes mais complexes entre les objectifs du mouvement Open GLAM et l’éloge du domaine public d’une part, et l’obligation éthique, et parfois juridique de respecter le patrimoine culturel autochtone, d’autre part. L’examen des politiques institutionnelles explore un aspect étroit d’un débat beaucoup plus large. Il reste encore du travail à faire et CC continuera d’explorer des moyens d’attirer l’attention sur ce problème. En attendant, nous restons convaincus qu’en ce qui concerne le patrimoine culturel Autochtone, les GLAMs devraient reconnaître que les restrictions d’accès et de réutilisation peuvent être justifiées dans certaines situations. Avec des efforts continus, nous espérons mieux informer le mouvement Open GLAMs des bonnes pratiques lors de la numérisation et de la mise à disposition de contenu en ligne, ce qui représente plus que le statut de «domaine public» du patrimoine culturel Autochtone.

Pour aller de l’avant, chez Creative Commons, nous avons l’intention d’explorer des voies pour trouver des moyens de résoudre cette tension dans l’espace GLAM et au-delà. Idéalement, nous aimerions mener des recherches supplémentaires pour développer des choix éclairées de politiques, tenir des débats ouverts et des consultations avec les parties prenantes concernées, sur ces questions importantes sur la base des principes de collaboration, d’inclusion et de transparence, et continuer à clarifier le fonctionnement des licences et des outils CC développer des moyens de mieux refléter et rendre compte des droits et intérêts des peuples Autochtones dans leur patrimoine culturel.

Notes

1. Certains pays ont mis en place des systèmes de protection sui generis (sur mesure) conçus spécifiquement pour protéger les expressions culturelles traditionnelles contre l’appropriation illicite et l’utilisation abusive. Pour plus d’informations, voir «Compilation d’informations sur les régimes nationaux et régionaux Sui Generis pour la protection de la propriété intellectuelle des savoirs traditionnels et des expressions culturelles traditionnelles». Cependant, un tel régime n’existe pas au niveau international. Le Comité intergouvernemental de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle est l’instance où se déroulent des négociations en vue de l’élaboration d’un instrument juridique international sui generis pour la protection des expressions culturelles traditionnelles.

2. Dans le cas des musées, le Code de déontologie du Conseil international des musées (ICOM) fournit une base pour reconnaître les intérêts culturels Autochtones en tant que considération éthique.

3. Par souci de compatibilité, nous avons modélisé notre approche sur l’enquête Open GLAM.

4. Notez que l’échantillon de politiques examinées était relativement petit à côté du grand nombre de GLAMs. En tant que tels, les résultats ne sont pas exhaustifs et ne sont pas nécessairement représentatifs des pratiques GLAM plus largement.

Cette publication a été co-écrite par Brigitte Vézina, responsable de la politique d’ouverture chez Creative Commons et Alexis Muscat stagiaire au département Juridique et Politique et initialement publié sur le site Creative Commons. Cet article a été traduit par Marie Rivallin et est sous licence CC BY 4.0 International. Il a été traduit lors du “Translation Sprint” au Sommet Mondial Creative Commons.

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