Pourquoi (et comment) exprimer la raison d’être de son projet ?
Proposition de structure pour une raison d’être opérationnelle et authentique
[brève actualisation en 2023 pour ajouter le péril]
Il suffit d’ouvrir un livre sur l’entrepreneuriat au hasard pour lire qu’il faut définir sa vision et sa mission. Le Ted-X de Simon Sinek, Start With Why, bien que scientifiquement approximatif, est particulièrement efficace pour nous encourager à revenir au « pourquoi ». Ce sujet est même d’actualité avec la loi Pacte et le statut d’entreprise à mission.
Pour ma part, je ne peux qu’aller dans ce sens car je suis convaincu que c’est un outil incontournable lorsqu’on lance un projet. Cependant, j’ai rencontré deux difficultés en abordant ce sujet :
- comment être authentique
- comment l’exprimer pour qu’elle soit opérationnelle
En gros : stop au bullshit à vocation de communication. Je voulais être vrai en proposant une raison d’être qui me ressemblait et je voulais que ce travail me serve véritablement.
Dans cet article je vous propose la structure en 4 niveaux qui m’a permis de répondre à ces problématiques :
1 — le constat (ou péril)
2 — la vision (ou utopie)
3 — les convictions (ou manifeste)
4 — la mission (ou beau geste)
Avant de détailler ce modèle, voici d’abord ma définition de la raison d’être et pourquoi je trouve que c’est essentiel de la définir.
La raison d’être répond à la question de pourquoi votre projet existe
Il suffit de décomposer le nom pour en comprendre le sens. La raison d’être d’un projet vient expliquer la raison de son existence. C’est le sens de ce que nous faisons, l’ambition ou le rêve que nous poursuivons ou encore la direction que nous prenons et maintenons. La chercher, c’est ouvrir un questionnement intime et introspectif pour être à l’écoute de ce qui nous anime. Pour donner une définition, j’aime utilisé celle proposé notamment par l’institut des futurs souhaitables.
“La raison d’être est l’expression de ce qui est vivant en nous à un instant présent pour nous guider vers un futur possible et désirable”.
Définir ce cap est essentiel à trois niveaux : pour le projet, pour l’ensemble des parties prenantes, mais aussi (et peut être avant tout) pour celui qui initie le projet.
Pour le projet cela permet de s’assurer que toutes nos actions servent cette raison d’être et éventuellement d’en abandonner plus rapidement certaines ci-besoin. Par ailleurs en se détachant de ce qu’on fait concrètement pour se concentrer sur ce à quoi on souhaite servir, on ne voit plus notre offre comme une finalité mais comme un moyen. Cela permet d’ouvrir ainsi un champ des possibles immense. La raison d’être est ainsi un outil de décision stratégique et un levier de résilience et d’innovation qui permet de toujours garder en tête l’ambition qu’on a.
Pour les parties prenantes c’est avant tout un levier de motivation et de cohérence dans la durée. Dans une époque où la quête de sens au travail est forte, cela permet par exemple aux collaborateurs de savoir à quoi ils participent et d’avoir envie de se lever tous les matins. Pour un investisseur c’est particulièrement important pour assurer un développement cohérent qui ne serve pas que ses intérêts personnels.
Enfin c’est essentiel pour la personne qui initie le projet pour prendre du recul sur ce qui l’anime et pouvoir le garder en tête durant tout le développement du projet.
Je suis convaincu qu’on ne se lance pas sans être animé par le projet. Au-delà de l’existence d’un marché, je pense que ce qui nous fait choisir une opportunité parmi une infinité d’autres, ce sont des aspirations et convictions personnelles. Par contre j’observe que nous avons rarement conscience de ces raisons personnelles. L’idée première est toujours alignée avec qui on est et ce qu’on souhaite apporter, mais il y a un risque important de passer à côté si on ne prend pas le temps de l’identifier. Or je suis convaincu (et j’observe) que pour rester motiver et toujours retrouver de l’énergie face aux difficultés, il faut que le projet reste en cohérence avec ces aspirations premières. Il faut donc prendre le temps de la conscientiser.
En conclusion, la raison d’être c’est un peu le haut de la montagne qu’on peut montrer au début d’une expédition. Si tout le monde l’identifie et est motivé par cette perspective, alors on pourra facilement mettre tout le monde en mouvement dans la même direction. On ne sait pas encore comment on va y aller, mais l’équipe sera déterminée à l’atteindre. Ça permet à l’expédition (notre projet) de garder de la cohérence sur la durée, à l’équipage (les parties prenantes) de rester motivée et au premier de cordée (l’entrepreneur) de pouvoir prendre régulièrement du recul pour s’assurer qu’il est cohérent avec son ambition initiale.
La raison d’être reflète l’ambition initiale et permet d’avancer au quotidien
La raison d’être peut donc être un outil de prise de décisions, un levier d’innovation, de cohésion et de motivation. C’est pour cela qu’elle doit être authentique et retranscrire les véritables raisons qui font que l’entrepreneur initie ce projet, mais aussi qu’elle doit aussi être opérationnelle pour être utilisée au quotidien.
C’est ce que je me suis attaché à faire en regroupant le péril, la vision, la mission et les convictions. C’est une structure que j’ai commencé à adopter par tâtonnements en initiant un projet (Pack Your Skills) et que j’ai fait évoluer au fur et à mesure de mes accompagnements. J’ai construit ce modèle ainsi car il permet de structurer sa propre réflexion et d’exprimer le projet en envoyant trois messages différents et complémentaires.
Pour chaque ingrédient, j’aime associer deux termes, un commun dans le monde de l’entrepreneuriat, le second plus “orienté” qui me semble éclairer plus justement l’intérêt de ce questionnement.
Le péril exprime un futur possible auquel vous voulez apporter des alternatives, la vision explique le monde auquel vous aspirez, la mission exprime votre façon de participer à cette vision et les convictions viennent faire le lien entre les deux en expliquant ce en quoi vous croyez.
Le #PÉRIL parle d’un futur possible auquel vous voulez échaper
En entreprise, on parlera plus sobrement du constat ou du problème qu’on veut résoudre. Pour ma part, j’aime appuyer plus fortement sur ce point en invitant à se questionner sur la situation qu’on juge problématique dans le présent, mais aussi sur les menaces probables dans le futur si rien n’est fait pour changer.
Pour l’identifier il peut-être très intéressant d’explorer nos émotions : “Qu’est-ce qui me met en colère aujourd’hui et qu’est-ce qui me faire peur pour demain ?”
La #VISION propose la vision d’un monde souhaitable
La littérature propose généralement deux manières pour exprimer la vision. Soit sous la forme d’une ambition pour le projet (à 10 ans par exemple), soit comme un rêve pour le monde. Pour ma part je préfère la seconde car je trouve la vision d’un futur désirable plus inspirante.
En effet je trouve la première solution réductrice de tout ce que représente un projet et particulièrement de ce pourquoi on l’initie (moins authentique). Par ailleurs, elle parait plus opérationnelle car plus concrète, alors qu’en réalité elle fige le projet dans la durée.
A l’inverse, la vision utopique du monde permet de se détacher de la solution en imaginant une situation dans laquelle notre projet n’aurait pas vraiment de raison d’exister. On se concentre vraiment sur ce qu’on veut apporter et le problème qu’on veut résoudre.
D’ailleurs, j’utilise le mot — vision — parce que c’est couramment utilisé dans l’entrepreneuriat, mais je trouve qu’utopie pourrait encore plus facilement exprimer ce que nous voulons expliquer ici.
Pour l’identifier je vous propose de répondre à la question : “à quoi ressemblerait un monde souhaitable et envisageable* dans lequel mon projet n’aurait plus de raison d’exister ?”.
*la notion “envisageable” nécessite de vérifier que ce monde est réaliste (et notamment qu’il intègre les limites de notre planète).
La #MISSION est plus pragmatique et explique la manière de faire
Si la vision est une situation que nous cherchons à atteindre, la mission permet d’expliquer comment nous voulons l’atteindre, pour qui, et l’impact recherché pour les bénéficiaires. Elle est cohérente avec la vision, mais elle est beaucoup plus précise.J’aime inviter à voir cette mission comme un “beau geste”, c’est-à-dire une action que nous trouvons belle, qui nous rend fiers, car nous sentons que nous faisons quelque chose de bien.
Beaucoup de méthodes sont proposées pour exprimer la mission. Pour ma part, j’aime inviter à se poser trois nouvelles questions :
- vos #BÉNÉFICIAIRES / votre #CIBLE : pour qui vous le faites (et éventuellement le périmètre),
- votre #IMPACT : le résultat que vous souhaitez atteindre pour le bénéficiaire,
- votre #PRODUIT / #PRESTATION : ce que vous faites.
Une fois que vous avez identifiez les trois ingrédients, voici trois propositions de phrases pour les associer et rédiger votre mission :
- Proposer / Offrir / Fournir #PRESTATION, à / pour #BÉNÉFICIAIRES visant #IMPACT
- Favoriser #IMPACT à / pour #BÉNÉFICIAIRES grâce à / avec / en proposant / par le biais de / via #PRESTATION
- Aider / Accompagner #BÉNÉFICIAIRES à développer / vers / à atteindre / à réussir #IMPACT avec / par le biais de / grâce à #PRESTATION
Le bénéficiaire est probablement la question la plus importante de la mission. J’ai l’impression que le reste s’exprime beaucoup plus fluidement quand il y a de la clarté sur ce point. Cependant, ce n’est pas une mince affaire car tout projet à de multiples parties prenantes. Or, l’invitation ici est un peu de se demander “si on ne gardait plus qu’une parties prenantes ce serait qui ?” — “Pour qui est-ce qu’on fait vraiment tout cela ?”
Le bénéficiaire va au delà de la “cible” marketing. L’idée n’est pas tant d’exprimer rationnellement et pragmatiquement ceux à qui vous pouvez vendre, mais une nouvelle fois de vous écouter vous-même pour exprimer pour qui est-ce que vous faites ce projet.
Le bénéficiaire est parfois même différent du client (celui qui paye). Un exemple facile est celui d’un intervenant dans une école — le ‘client’ est l’école — les bénéficiaires sont les étudiants. En tout cas, ces deux notions répondent à deux éléments différents — le bénéficiaire éclaire la raison d’être, le client parle du business modèle (qui est un des moyens nécessaire pour incarner sa raison d’être).
Vos #CONVICTIONS permettent de faire le lien entre votre vision et votre mission
Votre vision présente le grand rêve qui vous anime et votre mission propose une manière de faire. Afin de faire le lien entre les deux et permettre à chacun de s’approprier la raison d’être du projet, je vous propose d’exprimer vos convictions.
Le résultat n’est pas généralement pas très loin d’un texte pour expliquer et défendre votre projet et il se transforme très bien en manifeste. D’ailleurs une des définitions de manfeste est “Dont l’existence ou la nature est évidente” (on l’utilise souvent pour une erreur manifeste).
Je trouve ça intéressant pour éclairer nos convictions. En effet, je ne parle pas de convictions qui forcément vous animent depuis votre enfance, ni de certitudes, mais simplement de tout ce que vous croyez qui vous permet construire ce projet. D’une certaine manière, ce sont des idées qui sont à la base de notre projet et qu’on vient rappeler à l’évidence. Les premières viennent ainsi défendre la vision et les suivantes la mission.
Concrètement pour les trouver il suffit de se poser la question « Pourquoi ? » pour chaque élément du projet. J’encourage à répéter cette question et à oser questionner ce qui paraît non questionnable pour identifier le véritable postulat de départ.
En résumé, l’invitation est d’exprimer sa mission à la tension entre deux futurs possibles, un problématique auquel nous souhaitons échaper (le péril) et un autre souhaitable auquel nous souhaitons contribuer (la vision).
Une autre définition que j’aime donner c’est, la raison d’être est un ensemble de réponses subjectives à des questions introspectives, qui invitent toutes à exprimer notre désir de contribution. Dans ce modèle, l’authenticité de la raison d’être se retrouve dans le péril, la vision et les convictions. En se détachant de la solution on exprime une ambition qui nous est propre. Par les convictions on présente ce qui nous anime et on défend notre projet avec des arguments personnels. L’association de la mission et des convictions apporte ensuite le caractère opérationnel. La mission propose une description concrète du projet et assure une cohérence au niveau de l’impact recherché, des bénéficiaires et du types de produits ou de prestations choisis. Les convictions venant expliquer et défendre cette mission permettent à chacun de se l’approprier et de l’utiliser au quotidien.
La raison d’être devient ainsi un référentiel facile à mobiliser pour prendre des décisions, juger la cohérence et pertinence de nos actions ou imaginer des nouvelles solutions.
La dernière étape essentielle dans la définition de la raison d’être sera ensuite sa communication. En effet c’est en la partageant que vous l’ancrerez dans la durée, que vous saurez que les gens vous rejoindront et vous choisirons pour une bonne raison et que vous pourrez vous appuyez dessus pour prendre des décisions et les justifier ensuite.
Pour cela, il faudra savoir s’affranchir du modèle que je vous ai proposé. Il est intéressant pour structurer votre réflexion, mais présentée ainsi votre raison d’être est relativement lourde à recevoir. Je vous conseille d’en extraire la substance et le message essentiel en fonction des personnes avec qui vous échangez et du média utilisé. Faites-le de manière agile, par itérations. Verbalisez votre raison d’être le plus souvent possible, présentez-là et défendez-là un maximum de fois. C’est pour moi la manière la plus rapide et pertinente de voir ce qui vous correspond vraiment et ce que vous devez modifier.
Quoi qu’il en soit, gardez toujours en tête ces deux questions :
« Est-ce que je me sens aligné avec ce que je dis ? »
« Est-ce que cette manière de présenter ma raison d’être m’aidera vraiment de manière au quotidien ? »
Si je dois ajouter ici un article sur la raison d’être, je vous propose — Mourir en paix, ultime futur souhaitable des entreprises. L’écriture est le royaume des idées, j’y trouve un espace ou je peux explorer, parfois radicalement, quelques réflexions, sans le confronter au réel. Je trouve que ça à un côté libérateur, car d’une certaine manière, cela permet d’ouvrir des possibles vraiment différents. Cet article est une de ces explorations.
Dernièrement j’écris plutôt sur ma newsletter, Des idées mises en mots
À propos de moi
Aujourd’hui, mes sujets de réflexion et d’accompagnement sont la raison d’être de l’entreprise (ou de tout collectif), la prospective et la fiction, ainsi que des réflexions sur les imaginaires collectifs et sur notre rapport au vivant. Derrière cela, il y a l’envie non dissimulée de questionner, dé-ranger & dé-router pour ouvrir les possibles (en particulier sur les modèles d’entreprises). En ce moment, j’aime beaucoup jouer autour de la question : À quoi ressemblerait une entreprise qui vivrait au rythme des saisons ? Plus concrètement, je suis facilitateur, conférencier et professeur en écoles et universités.
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