Les espoirs de reforestation menacent la sécurité alimentaire mondiale

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4 min readAug 5, 2021

Auteur : Fiona Harvey

Les gouvernements et les entreprises qui espèrent planter des arbres et restaurer des forêts afin d’atteindre des émissions nettes nulles doivent limiter fortement ces efforts pour éviter de faire grimper les prix des denrées alimentaires dans les pays en développement, a averti Oxfam.

Image représentative. Source : Liselotte Brunner via Pixabay

La plantation d’arbres a été présentée comme l’un des principaux moyens de lutter contre la crise climatique, mais la superficie nécessaire à la création de telles forêts serait énorme, et la plantation d’une fraction seulement de la superficie nécessaire pour compenser les émissions mondiales de gaz à effet de serre empiéterait sur les terres nécessaires aux cultures pour nourrir une population croissante, selon un rapport intitulé “Tightening the net : Net zero climate targets implications for land and food equity”.

Il faudrait au moins 1,6 milliard d’hectares, une superficie cinq fois supérieure à celle de l’Inde et équivalente à la totalité des terres actuellement cultivées sur la planète, pour atteindre l’objectif de zéro émission nette pour la planète d’ici à 2050 par la seule plantation d’arbres. Bien que personne ne suggère de planter des arbres dans cette mesure, les auteurs du rapport ont indiqué que cela donnait une idée de l’ampleur de la plantation nécessaire et de la mesure dans laquelle la compensation devrait être limitée si l’on veut éviter la hausse des prix alimentaires.

Nafkote Dabi, responsable de la politique climatique chez Oxfam et co-auteur du rapport, a expliqué : “Il est difficile de dire quelle quantité de terres serait nécessaire, car les gouvernements n’ont pas été transparents sur la manière dont ils prévoient de respecter leurs engagements en matière de zéro émission nette. Mais de nombreux pays et entreprises parlent de boisement et de reboisement, et la première question à se poser est la suivante : d’où viendront ces terres ?”

Selon certaines estimations, les prix des denrées alimentaires pourraient augmenter de 80 % d’ici 2050 si la compensation des émissions par la sylviculture est utilisée de manière excessive.

Dabi a déclaré : “Des centaines de millions de personnes dans le monde souffrent déjà de la famine. Nous devons consulter les pays sur la manière dont ils vont utiliser leurs terres, et les pays ainsi que les entreprises doivent d’abord réduire leurs émissions avant de compter sur la compensation. Nous devons également réduire les émissions de l’agriculture, qui est la deuxième plus grande source d’émissions au niveau mondial.”

Le rapport a également révélé que deux des mesures de compensation les plus couramment utilisées, à savoir le reboisement et la plantation de nouvelles forêts, étaient parmi les moins à même de mettre en péril la sécurité alimentaire. Selon l’analyse, les solutions fondées sur la nature, axées sur la gestion des forêts, l’agroforesterie, pratique consistant à combiner cultures ou pâturages avec la culture d’arbres, ainsi que la gestion des pâturages et des sols dans les terres cultivées sont bien meilleures. Ces solutions permettraient aux gens d’utiliser la terre pour se nourrir tout en piégeant le carbone.

Dabi explique : “Nous ne sommes pas contre le boisement et le reboisement, et nous ne voulons pas empêcher les gens de faire ces choses. Mais elles ne devraient pas être utilisées à grande échelle et devraient être combinées à d’autres méthodes comme l’agroforesterie.”

Elle a donné l’exemple de la Suisse, qui prévoit de compenser environ 12,5 % de ses émissions par des crédits carbone issus de projets menés dans d’autres pays, dont le Pérou et le Ghana. Pour atteindre cet objectif, il faudrait une superficie équivalente à celle du Costa Rica, a indiqué Oxfam.

Certaines entreprises prévoient également d’utiliser la compensation carbone basée sur les arbres et les terres dans le cadre de leurs efforts pour atteindre des émissions nettes nulles. Oxfam a constaté qu’un grand nombre de ces plans, pris dans leur ensemble, pourraient équivaloir à une surutilisation des terres.

Par exemple, quatre grandes entreprises du secteur de l’énergie auraient besoin d’une superficie deux fois plus grande que le Royaume-Uni pour leurs compensations. Shell aurait besoin d’environ 28,6 millions d’hectares d’ici à 2050, selon les estimations d’Oxfam, tandis que TotalEnergies prévoit de compenser environ 7 % de ses émissions, ce qui nécessiterait environ 2,6 millions d’hectares d’ici à 2050. Eni, une autre société énergétique, prévoit 8 millions d’hectares de forêts, mais Oxfam estime que le double pourrait être nécessaire. BP n’a pas défini ses plans en détail, mais il est probable que 22,5 millions d’hectares soient nécessaires pour compenser jusqu’à 15 % de ses émissions.

Danny Sriskandarajah, directeur général d’Oxfam GB, a appelé les entreprises et les gouvernements à réduire radicalement leurs émissions plutôt que de compter sur les compensations. Il a exprimé : “Trop d’entreprises et de gouvernements se cachent derrière l’écran de fumée du net zéro pour poursuivre leurs activités sales comme si de rien n’était. Le secteur pétrolier et gazier, qui tente de justifier la poursuite de l’extraction de combustibles fossiles en promettant des programmes irréalistes d’élimination du carbone nécessitant des superficies ridicules, est un excellent exemple de la double pensée à laquelle nous assistons.”

Il a ajouté : “Certains gouvernements et entreprises prennent des mesures audacieuses pour réduire les émissions, mais elles sont actuellement trop peu nombreuses pour nous donner une chance réaliste d’éviter la catastrophe climatique avec la dévastation généralisées qui l’accompagnent.”

Un porte-parole de BP a confié : “BP n’a pas l’intention de s’appuyer sur les compensations pour atteindre ni nos objectifs de réduction des émissions de 2025 ni ceux de 2030. Cependant, ils peuvent nous aider à aller au-delà de ces objectifs si nous le pouvons.”

“Atteindre un objectif net zéro nécessite de changer fondamentalement les formes d’énergie que Shell fournit, puis d’utiliser des compensations à la marge pour compenser toute émission restante, c’est-à-dire que nous changeons les produits que nous vendons”, a déclaré un porte-parole de Shell.

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