Burn-out. Le corps ou l’esprit lâche, il abdique

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
7 min readAug 31, 2018

Stéphane, membre de notre groupe Burn-out parlons-en a accepté de raconter son burn-out et de témoigner, de façon anonyme.

Oser Rêver Sa Carrière : Stéphane, pour toi, qu’est-ce qu’un burn-out ? Comment le définirais-tu ?

Stéphane : Le burn-out, c’est quand on a essayé trop longtemps de tenir une situation qu’on jugeait au fond de nous même, consciemment ou inconsciemment, intenable. Quand on a pas réussi à identifier un conflit de valeurs ou qu’on l’a identifié mais que les autres (environnement professionnel, familial, etc) ou soi-même mettent d’une façon ou d’une autre une pression pour avancer coûte que coûte.

Contrairement à ce que peuvent penser ceux qui ne sont pas passé par là, le burn-out ce n’est pas uniquement de gros horaires de travail. C’est surtout une fatigue psychique qui apparaît alors qu’on donne le meilleur de nous-même et que ce que nous renvoie le monde n’est pas en harmonie avec le sens profond que nous mettons dans ces actions. Le burn-out est avant tout une faille dans notre rapport au monde que nous avons voulu nous cacher.

Un beau jour le corps ou l’esprit lâche, il abdique, il nous fait tomber. Probablement pour n’avoir pas su lui apporter ce dont il avait réellement besoin. L’esprit cherche du sens, le respect de ses valeurs et des priorités de vie (parmi lesquelles le travail ne peut pas avoir la première place). Le corps, lui, attend aussi du repos, du sommeil, une alimentation correcte, du sport,…
Je suis convaincu que nous tombons en burn-out à la fois pour des raisons
psychiques profondes mais également parce que l’on a oublié que le corps a aussi des limites. Si c’est l’esprit qui “lâche” en premier, la dépression complique le burn-out. Si c’est le corps, c’est une fatigue sans fond que l’esprit et la volonté de l’individu ne peuvent combattre facilement. Quand l’esprit lâche, tout s’écroule et on tombe dans un trou noir que nul ne peut décrire car il est un enfer conçu sur mesure par le psychique de chaque dépressif…

Oser Rêver Sa Carrière : A quel âge t’est-ce arrivé ?

Stéphane : J’ai fait mon premier burn-out à 37 ans, rapidement diagnostiqué puis traité comme dépression. Je ne me suis pas arrêté car le fait d’être inactif me rendait fou au sens premier du terme. Cela aggravait considérablement les symptômes… Au travail on a accepté que je vienne sans rien faire car ils avaient compris que ne pas venir me mettait dans un état pire que de venir en mode “zombie”. J’ai remonté la pente en mettant des rustines sur une vie et une image de moi-même qui ne me convenait pas. Il s’est passé ce qui devait arriver : je suis retombé un an après dans une dépression incroyablement douloureuse sur le plan psychique. Cette fois, j’ai demandé l’arrêt et accepté de plonger dans mes ténèbres… Ma dépendance au travail cachait de profondes blessures émotionnelles et des failles dans ma construction identitaire.

Oser Rêver Sa Carrière : L’as-tu senti arriver ? Des signes annonciateurs ?

Stéphane : La première fois pas du tout. A la relecture, mon épouse et mes amis m’ont dit que je n’étais plus le même depuis quelques semaines. Trop mono-maniaque sur les sujets professionnels. Moins investi dans les loisirs qui me plaisaient ordinairement. La seconde fois, il s’est déroulé une semaine entre l’apparition d’insomnies et d’angoisses extrêmes au milieu de la nuit et le moment où j’ai commencé à plonger… Autant dire que je ne l’ai presque pas vu venir. Et il était de toutes façons trop tard.

Oser Rêver Sa Carrière : Comment s’est-il manifesté ?

Stéphane : Le sommeil a peu à peu été remplacé par des nuits d’angoisses incompréhensibles dans lesquels je m’accusais de tous les maux et où je me
dévalorisais au point de questionner ma propre existence. Pendant des semaines, je me réveillais en pleine nuit transpirant, paniqué, incapable de dormir. Les journées n’étaient guère plus réjouissantes. Rester allongé sur un lit m’était impossible malgré ma fatigue extrême et provoquait des crises d’angoisse très difficiles à supporter. Mon seul remède: arpenter les rues de ma ville sans véritable but, juste celui de faire semblant d’exister… Durant trois mois, je n’ai plus pu parler d’autre chose que de moi-même, tentant vainement de comprendre ce qui m’arrivait. Je n’ai plus rien pu faire, impossible de regarder la télé, internet, la lecture était difficile. Je devais relire plusieurs fois les mots pour les comprendre.

Très vite j’ai été consulter un psychiatre qui m’a mis sous antidépresseurs et a reconnu une dépression caractérisée. J’ai la chance, même en tant qu’individu masculin, de n’avoir pas de difficulté à exprimer mes émotions et cela m’a sauvé la vie. En plus du traitement médical, j’ai entamé une psychothérapie fondée sur la reconnaissance et l’expression de ses émotions. Trois heures par semaine, j’ai pleuré, je me suis mis en colère contre les événements du présent comme contre ceux de mon enfance. Il s’agit d’une thérapie où la psychologue tente de faire émerger le “moi” et d’aider à reconstruire ce qui nous lie à notre identité profonde via nos émotions. Cela joue également un rôle important dans la reprise de confiance en soi et dans l’identification des dépendances aux autres que l’on construit dans sa vie.

En thérapie, j’ai peu à peu exhumé tout ce qui provoquait mon surinvestissement professionnel et mes conflits de valeurs. Cela m’a permis de faire ressortir ce qui ne serait jamais ressorti en 10 ans de psychanalyse simple. Peu à peu, j’ai émergé du trou noir dans lequel j’étais tombé en passant par des périodes de désespérance profondes. En tout, il m’a fallu 4 mois pour retrouver un regard positif sur la vie.

Oser Rêver Sa Carrière : Où en es-tu aujourd’hui Stéphane ?

Stéphane : J’ai repris à temps partiel dans mon milieu professionnel qui m’a toujours aidé et qui a été d’une bienveillance à toute épreuve lors de mes deux burn-out. Si mon milieu professionnel a évidemment un rapport avec mon épuisement, c’est plutôt la “valeur travail” dans mon inconscient qui était en conflit. Je n’ai jamais vécu de harcèlement ou de hiérarchie toxique à une exception prêt. Aujourd’hui, grâce à des rencontres fortuites, j’ai été mis “sur la piste” par une collègue de ce que l’on appelle les “adultes surdoués”. C’est un terme qui provoque souvent des réactions complexes. Souvent le commun des mortels ne conçoit pas comment être “surdoué” peut entraîner des problèmes. Malheureusement, la “douance” ne vient pas sans son lot d’interrogations métaphysiques et sans une hypersensibilité particulièrement difficile à vivre.

Oser Rêver Sa Carrière : Cet épisode a-t-il changé ta perception du travail ?
Stéphane : Oui. Aujourd’hui j’ai compris comment je fonctionne, j’ai repris confiance en moi et j’ai changé d’attitude face au travail. Cela me permet de mettre en avant mes atouts et de connaître les valeurs profondes auxquelles doit répondre mon activité professionnelle. J’ai le sentiment d’avoir trouvé ma boussole professionnelle.

Oser Rêver Sa Carrière : Pour t’en sortir, quelles béquilles as-tu utilisé ?

Stéphane : Mes amis et ma famille ont été d’un grand secours. Ils n’ont jamais cessé de croire en moi alors que je n’avais plus aucune estime de moi. Ils m’ont
accompagné, soutenu, aidé, sorti de ma chape de plomb. La psychothérapie m’a permis de bouger en profondeur et les médicaments ont joué le rôle de
“pompiers” dans l’urgence du début de ma dépression.

Oser Rêver Sa Carrière : Comment vis-tu ta reprise ?

Stéphane : J’ai repris à temps partiel et, en suivant les avis de mon médecin, de la médecine du travail et de ma RH, j’augmente progressivement les jours travaillés. Le challenge pour moi est de remettre de l’ordre dans mes priorités de vie et de remettre mon activité professionnelle à sa place. Travailler pour vivre et non l’inverse!

Oser Rêver Sa Carrière : Si tu devais comparer le burn-out à un animal ?

Stéphane : C’est assez facile pour moi depuis que je me connais mieux et depuis que je sais que mon cerveau fonctionne différemment d’un cerveau dans la “norme”. Jeanne Siaud Facchin, une psychologue, s’est penchée sur les caractéristiques des enfants et adultes qui ne peuvent s’arrêter de créer, de penser, de ressentir plus intensément que les autres. Elle a utilisé le zèbre, le seul équidé non domesticable, pour décrire ce caractère taciturne et, il faut bien le dire, un peu à part avec ses rayures, toutes différentes… Je suis donc zèbre et j’espère que mon second burnout sera le dernier…

Oser Rêver Sa Carrière : Merci beaucoup pour ton témoignage Stéphane !

Vous ❤ cette interview ? N’hésitez pas à la partager !

Pour en savoir plus sur l’épuisement professionnel : Marina Bourgeois. Burn-out, Le (me) comprendre & en sortir, 2018.

--

--