D’avocate à sportive de l’extrême

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
13 min readNov 19, 2020

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Stéphanie Gicquel

Stéphanie était avocate en M&A. Détentrice du record du monde de la plus longue expédition en Antarctique à skis, elle est aujourd’hui exploratrice et sportive de l’extrême. Son crédo, titre de son livre qui vient de paraître : « on naît tous aventuriers ». Elle nous raconte son parcours pour le moins atypique !

Stéphanie, tu es une reconvertie. Tu as, à ton actif, déjà deux vies professionnelles, la seconde étant tout à fait surprenante ! Que faisais-tu exactement dans ton ancienne vie ? Du monde du droit des affaires aux chemins tout aussi périlleux de l’exploration polaire, de l’équipe de France d’athlétisme aux conférences en France et à l’étranger, j’ai évolué dans des environnements différents, c’est vrai, mais il n’y a jamais eu une ancienne vie et puis une nouvelle vie. Certains changements ont été plus significatifs, sans pour autant constituer une rupture totale, y compris sur le plan professionnel. Au contraire, les éléments de continuité ont jusqu’à présent été prédominants. C’est mon ressenti en tout cas. J’ai toujours été impliquée à 100% dans chacun de mes projets, chacune de mes phases de vie, et ce que j’ai appris au fur et à mesure de ces différentes expériences m’a aidée à mieux appréhender les suivantes.

Pourquoi avoir originellement opté pour l’avocature ? Quand j’ai intégré HEC, je n’avais aucune idée précise sur mon avenir. J’y voyais surtout un moyen d’acquérir des clés pour entreprendre. Il y avait beaucoup de voies possibles, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Pendant l’année de césure, j’ai fait des stages dans des cabinets de conseil, des cabinets d’avocats. Après avoir été diplômée, j’ai poursuivi ma formation à l’EFB et à l’Ecole d’Economie de Paris, j’ai prêté serment et rejoint un cabinet français puis un cabinet anglo-saxon. Le droit m’attirait surtout pour le raisonnement juridique et parce que je voyais dans la règle de droit un moyen d’acquérir une meilleure connaissance des opérations corporate et plus généralement de notre société.

Tu as vite été rattrapée par l’appel du large… raconte nous ton déclic ! En fait, j’ai toujours été attirée par les grands espaces, le voyage. Lorsque j’étais plus jeune, comme beaucoup d’enfants, j’avais envie d’apprendre, de voyager, d’aller découvrir le monde. Je n’avais pas les moyens de mes envies et c’était une bonne chose car j’ai ainsi conservé cette âme d’enfant, cette envie d’apprendre, de grandir. C’est cela qui me pousse à changer régulièrement d’activité. L’appel du large en d’autres termes. Après avoir exercé la profession d’avocat pendant plusieurs années je sentais que la courbe d’apprentissage, qui avait été exponentielle les premières années, commençait sérieusement à s’aplanir. Il y avait une forme de répétition, presque mécanique, quotidienne, que l’évolution constante du droit ne parvenait plus à estomper. Une sensation d’enfermement dont il fallait s’extraire avant que cette source d’apprentissage ne devienne un puit d’amertume.

La course à pied est alors devenue un moyen de trouver un équilibre de vie, une bulle d’oxygène. Je me suis rapidement projetée sur des distances assez longues car cela me permettait de parcourir de grands espaces, de faire corps avec la nature. J’ai aussi pris conscience, au grand air, de mes capacités d’endurance que je n’avais jusqu’alors sondées qu’au fil des longues heures passées au bureau. Il n’y avait plus de limite. Alors je suis partie explorer les régions polaires.

Stéphanie Gicquel

L’appel du large a été pour moi jusqu’à présent un rempart contre la perte de sens qui ne connaît aucune frontière. Dans tous les domaines dans lesquels j’ai évolué, sans aucune exception, j’ai côtoyé la perte de sens ou le mal-être de ceux qui n’osent pas aller vers le changement, qui ont perdu leur âme d’aventurier, y compris dans le domaine de l’exploration, le domaine du sport également, trop souvent idéalisés. Après avoir atteint un sommet ou une performance sportive, ce n’est pas le retour dans le quotidien qui procure ces sensations déprimantes, mais l’incapacité à se projeter ailleurs, dans une expédition plus engagée par exemple, ou qui nécessite de lever plus de fonds. L’incapacité à oser se lancer dans une nouvelle aventure. Ce ressenti-là n’est pas différent de celui qui s’invite parfois chaque matin sur le chemin d’un bureau où l’on va sans plus trop savoir pourquoi.

On me pose souvent la question du sens au travail à laquelle je réponds par la problématique du sens de la vie. On a tendance à vouloir faire porter la responsabilité de notre manque de bonheur au milieu dans lequel on évolue. Le travail doit être au service de la vie. Travailler n’a aucun sens si cela n’est pas au service d’un chemin de vie.

Aujourd’hui, tu es donc sportive de l’extrême… exploratrice ! C’est incroyable pour nous qui avons des métiers plus « normés ». Tu nous racontes ? Ce serait une longue histoire ! Je pratique la course à pied sur longue distance, l’ultra-fond, discipline dont j’ai remporté les championnats de France il y a deux ans et pour laquelle je suis régulièrement sélectionnée en équipe de France d’athlétisme. Lors des derniers championnats du Monde, j’ai couru 240,6 kilomètres en 24 heures pour entrer dans le top 8 mondial. C’est à ce jour la deuxième meilleure performance française tout temps et je me projette désormais sur les prochains championnats du Monde en 2021 et le record de France avec une belle envie de progression. Et je réalise des expéditions sportives. J’ai notamment parcouru plus de 2.000 km à travers le continent Antarctique via le pôle Sud en 74 jours par des températures qui sont descendues à -50°C, ou encore couru sept marathons en sept jours consécutifs en Antarctique et autour du monde dans le cadre d’une compétition internationale d’ultra-distance à laquelle participaient des athlètes venus du monde entier.

Le sport de haut niveau et l’exploration polaire sont deux activités très différentes. Deux activités qui partagent toutefois cette exigence de discipline, condition de survie dans les régions polaires, condition de performance sur la piste d’athlétisme. Même si elles sont complémentaires à certains égards, il est difficilement envisageable de se lancer dans une expédition engagée lorsque j’ai une échéance internationale à moyen terme.

Dans le sport de haut niveau, l’entraînement physique est prépondérant, une trentaine d’heures par semaine environ, parfois plus lors de stages spécifiques notamment lorsque je me rends au CNEA à Font-Romeu ou à l’INSEP, parfois moins en phase de récupération.

Stéphanie Gicquel

Dans l’exploration, et plus particulièrement l’exploration polaire, la gestion de projet prend le dessus. Il faut être prêt physiquement, bien sûr, pour faire face à certaines conditions extrêmes, mais être prêt physiquement ne sert à rien si on ne met pas tout en œuvre sur le plan logistique pour prendre le départ.

Dans les deux cas la préparation mentale occupe une place importante. Sur une distance aussi longue, sur la piste comme sur la glace, je pense qu’il est essentiel de visualiser en amont les hauts et les bas. La visualisation, ce n’est pas uniquement imaginer l’objectif atteint et l’accomplissement ressenti. L’objectif risquerait alors de rester pour toujours un idéal. C’est aussi et surtout se projeter dans les moments les plus difficiles, dans les épreuves qu’il faudra surmonter pour faire de cet idéal une réalité. Lorsque je me fixe par exemple comme objectif de franchir la ligne d’arrivée d’une compétition de course à pied sur longue distance, une distance telle qu’il me faudra courir près de vingt-quatre heures et parfois plus, je visualise plusieurs semaines auparavant l’ambiance sur la ligne de départ, l’énergie collective dégagée par les coureurs, le soutien du public le long du chemin, les paysages magnifiques, la ligne d’arrivée et cela me donne un supplément d’énergie. Des ressources dans lesquelles je puise pour m’entraîner plus encore, me préparer physiquement avant de rejoindre la ligne de départ. Je visualise aussi la pluie oblique qui traversera les vêtements, la frontale qui éclairera à peine le sol jonché de racines, la chute que j’aurais dû éviter, le mal de ventre en fin de nuit, la solitude, ce frottement à peine perceptible il y a quelques heures et cette ampoule désormais lancinante. Les jambes qui disent stop. La douleur qui permet au doute de s’enraciner puis de grandir. Ces milliers de kilomètres courus au fil des années m’ont appris que la première source d’abandon lors des épreuves d’endurance n’est pas une préparation physique insuffisante, mais bien plus souvent un mental défaillant. Alors je m’efforce de visualiser le chemin tel qu’il sera, avec des hauts et des bas. Cette préparation mentale me permet le moment venu de gommer les manifestations émotives inutiles pour rester concentrée sur l’objectif à atteindre. Ne pas s’enflammer les jours de beau temps, ne pas reculer les jours de tempête et ne pas s’éteindre sous la pluie diluvienne ou le crachin amer.

Tu es également l’auteure de « On naît tous aventurier ». Pourquoi ce livre ? Sur fond de road-trip en Patagonie, je partage dans ce livre quelques expériences de changements que j’ai vécues, de la banlieue toulousaine à Paris, des bancs d’une prépa et d’une Grande Ecole au chemin périlleux des expéditions polaires, jusqu’aux extrémités glacées de la planète, des cabinets d’avocats sur les Champs-Elysées aux sentiers d’ultra-trail et conférences à travers le monde. Cette longue échappée de la Patagonie Atlantique jusqu’à la Terre de Feu est un chemin introspectif, un moyen aussi de partager ces expériences, notamment mes entraînements pour un marathon autour du pôle Nord géographique par -30°C à -40°C, les 70 heures d’effort hebdomadaire pendant près de trois mois pour venir à bout d’une expédition au cœur de l’Antarctique, la plénitude ressentie sur des ultra-trails, notamment sur le Grand Raid du Morbihan la première fois que j’ai franchi la ligne d’arrivée et la fois où j’ai franchi la ligne d’arrivée la première.

J’ai écrit ce livre comme une invitation. Pour inviter chacun à dessiner son propre chemin, un chemin jalonné d’aventures professionnelles, familiales, entrepreneuriales, sportives. Et oser faire le premier pas. Je suis convaincue qu’on apprend toujours plus lorsqu’on est en mouvement.

Et je suis convaincue aussi que chacun porte en soi quelque chose d’extraordinaire. Certaines personnes ne s’en rendent pas compte et ont tendance à banaliser, voire à réduire ce qu’elles font, peut-être par manque de confiance. Nous sommes tous « aventurier », toutes « aventurière » au sens où nous avons tous et toutes la capacité de sortir de notre zone de confort et de réaliser des choses extraordinaires. Toutes les personnes que j’ai rencontrées, sportifs de haut niveau, salariés, dirigeants, entrepreneurs, explorateurs m’ont beaucoup apporté car leurs expériences, quelles qu’elles soient, sont riches d’enseignements.

Etre une femme, une difficulté dans le milieu de l’exploration et du sport de haut niveau ? J’ai longtemps grandi avec une certaine image élitiste de l’aventure, en noir et blanc, incarnée par des explorateurs virils souvent issus de bonne famille, et souvent barbus aussi à la fin de leur périple. Peu ou pas de femmes sur le cliché. J’ai ensuite côtoyé beaucoup d’explorateurs de près, sur tous les continents, du pôle Nord géographique au pôle Sud géographique. Mais aussi des chercheurs qui cherchent encore, des startupers qui créent, des managers qui gèrent de nouveaux projets, des parents qui répondent inlassablement aux questions de leurs enfants, des professeurs qui enseignent autant qu’ils apprennent eux-mêmes au contact des plus jeunes, des bâtisseurs qui posent les fondations et imaginent déjà l’ouvrage à venir, et plus encore certaines personnes qui sont tout cela à la fois, ou successivement. Cette image élitiste de l’aventure m’a alors semblé bien désuète et réductrice. L’aventure est partout autour de nous, sous tant de formes, n’en déplaise à la nostalgie qui s’obstine à vouloir l’encadrer au mur comme la carte postale de quelques-uns exposée aux yeux de tous. L’aventure ne se contemple pas. Elle se vit.

Cette définition de l’aventure ne ferme la porte à personne. Et si certains ou certaines éprouvent une difficulté à y trouver leur place, alors il faut en faire une force et se battre jusqu’à y parvenir.

Dans le sport de haut niveau, l’approche est un peu différente. Cet environnement est marqué par le respect de la performance et de l’individu quelle que soit la discipline pratiquée et quel que soit le genre de l’athlète, car chacun mesure assez bien l’effort nécessaire pour y parvenir, une sorte de dénominateur commun pour tous les sportifs de haut niveau.

A quoi ressemble ta journée « type » aujourd’hui Stéphanie ? On imagine beaucoup d’entraînement, d’abnégation et… de souffrances physiques ? Il n’y a pas de journée type, beaucoup d’entraînement bien sûr, mais les entraînements sont souvent différents dans leur format, leur intensité, leur volume, pour précisément ne pas s’inscrire dans une routine qui ne serait plus autant bénéfique pour le développement des capacités physiques. Le corps aussi a besoin de variations pour mieux exprimer son potentiel et s’épanouir.

Parce que l’entraînement a pour objectif de façonner, d’adapter le corps afin qu’il puisse faire face à des conditions extrêmes lors d’une expédition ou à une sollicitation maximale lors d’une compétition, cela implique de le pousser dans ses retranchements. Jusqu’à ressentir parfois une douleur pour apprendre à la surmonter. C’est un choix. Cela n’a rien d’exceptionnel.

Il est rare qu’une journée se termine sans une ou plusieurs belles rencontres, que ce soit dans le cadre de mon activité d’entrepreneur, lors d’une conférence, d’une interview, d’un moment de partage dans une école, pour l’Association Petits Princes, sur les réseaux sociaux aussi parfois, surtout sur LinkedIn, lors d’un entraînement avec d’autres sportifs, d’une réunion de travail avec des chercheurs, notamment ceux de l’INSEP ou du CNEA qui m’accompagnent dans la préparation de projets d’expédition ou de compétition, d’un déjeuner avec un sponsor ou avec un autre membre du Choiseul Sport & Business.

Conférence US. Stéphanie Gicquel

Peux-tu expliquer à nos lecteurs comment tu es passé de l’idée à la concrétisation de ton envie ?

Cette question est au cœur de mon dernier livre On naît tous aventurier et il m’a fallu 297 pages pour esquisser une réponse.

J’ai écrit ce livre en alternance de chapitres dans lesquels je décris différentes expériences vécues et de chapitres dans lesquels je réfléchis aux mécanismes permettant de passer de l’idée à l’action, aux mécanismes à l’œuvre dans tout changement.

On naît tous aventurier

Je crois qu’avant de faire le premier pas, il faut accepter de se mettre à nu. Il y a dans la capitalisation des expériences vécues une forme de capitulation avec soi-même. La crainte de perdre le bénéfice des expériences passées, le bénéfice de ce qui a été construit et accumulé, occulte parfois le risque plus grave encore de ne pas vivre pleinement sa vie. A l’instar de celui qui accumule les sommets sans jamais oser réaliser son rêve de prendre la mer.

Pas simple toutefois de se dévêtir ainsi, de se remettre à nu pour mieux se parer d’une nouvelle expérience. Car cela implique non seulement de se détacher du désir illusoire de reconnaissance, mais cela implique aussi, parfois, d’accepter de déplaire, voire d’être pris pour un fou. Il me semble nécessaire pour y parvenir de puiser dans son vécu les ressources suffisantes pour faire preuve d’indépendance d’esprit, tracer son propre chemin et prendre sa place. Car si vous n’allez pas la chercher vous-même, je crains que personne ne vienne vous la donner.

Cela a-t-il renforcé ta confiance en toi ? Oui, chaque expérience vécue contribue à renforcer la confiance en soi. Je ne crois pas que cela soit quelque chose d’innée. Tout changement, parce qu’il permet de mieux se connaître, renforce cette confiance. Ceux et celles qui ont déjà connu un changement sont d’ailleurs souvent plus aptes à changer à nouveau.

As-tu dû lever des barrières psychologiques pour « partir à l’aventure » ? Des peurs, des craintes ? Le doute, tu connais ? Il n’y a pas de changement sans peur ni crainte, sans que le doute vous accompagne au quotidien. Ces éléments font partie de l’équation et sont même un gage de réussite.

Souvent les murs des prisons se dressent immatériels jusque dans nos têtes, sournoisement. Ce sont eux qui nous enferment, immobiles, et nous empêchent de faire le premier pas vers un changement. Le premier pas, c’est la décision d’y aller, de s’engager vers autre chose. Le point de départ est le même pour tous, quel que soit le changement projeté. Une discussion avec soi-même, face à l’inconnu, le dos tourné à la norme, entre la peur et le doute, quatre murs d’une prison nommée immobilisme ou conformisme dont il n’est jamais simple de s’extraire.

Inutile d’attendre en espérant pouvoir faire tomber tous ces murs. Cette attente est mortelle. Le seul moyen d’en sortir consiste à faire le premier pas, à se mettre en mouvement vers l’inconnu, en portant ses peurs et ses doutes, en s’éloignant de la norme autant qu’il le faut. En faisant de chacun d’eux une force ou une source d’énergie supplémentaire.

Stéphanie Gicquel

Sur le plan financier, comment as-tu assuré tes arrières ? Quand je me suis installée à Paris après mes études, avec mon conjoint, notre activité professionnelle nous a permis de rembourser des prêts étudiants et puis de commencer à faire des économies. Quelques années plus tard, pour compléter les fonds mis à disposition par différents sponsors et boucler le budget de mon expédition à travers l’Antarctique, j’ai emprunté une somme importante auprès d’une banque. Aucun assureur n’a accepté de couvrir les risques liés à cette expédition. S’il y avait un retour, je savais qu’il se ferait dans le rouge, plus encore que nous ne l’avions été quelques années plus tôt. Je sais d’où je viens et ce dont j’ai besoin. L’essentiel tient à peu de chose et, à la fin, la valeur d’un compte en banque importe peu face à la richesse des expériences vécues et transmises.

Estimes-tu avoir « trouvé ta voie » ? Je vis au présent et les activités dans lesquelles j’évolue actuellement me passionnent. Mais j’espère avant tout ne jamais perdre l’envie d’aller explorer d’autres voies. La liste est longue.

Merci Stéphanie pour cette interview et plein de belles choses pour la suite !

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Marina Bourgeois, Directrice d’Oser Rêver Sa Carrière

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