De la finance à l’écriture…le jour où j’ai désobéi. Portrait de Sophie Adriansen

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
9 min readDec 21, 2016

ORSC : Bonjour Sophie !

S : Bonjour Oser Rêver Sa Carrière !

ORSC : Sophie, j’entre directement dans le vif du sujet : de la finance à l’écriture, ce n’est pas commun !

S : C’est même un grand écart… deux mondes qui ne communiquent pas, ou très peu. Mais passer de l’un à l’autre n’est pas impossible, la preuve…

ORSC : Mais que s’est-il passé ;-) ?

S : Ecrire des livres est mon rêve de toujours. Les livres m’ont toujours accompagnée, l’écriture a toujours fait partie de ma vie. Salariée dans un grand groupe financier, j’écrivais le soir et le week-end. J’ai ainsi publié mon premier livre, un témoignage (Je vous emmène au bout de la ligne, avec Rodolphe Macia). Lorsque mon deuxième ouvrage est paru, j’ai fait le grand saut, convaincue que si je voulais bien faire ce que je venais de commencer, il me fallait du temps et de la disponibilité intellectuelle…

ORSC : Pourquoi ce choix originel de la finance ?

S : Après mon bac (littéraire), j’ai fait un DEUG d’allemand et un DEUG d’anglais simultanément. Ce double cursus me laissait malgré tout du temps. C’est comme ça que je me suis retrouvée à passer mes samedis au guichet d’une banque… J’ai alors réfléchi à ce qui pourrait me permettre de lier les langues étrangères et la banque (je n’aime pas les chiffres mais j’aime les mécanismes financiers) et je me suis orientée vers la finance internationale pour la suite de mes études. Etudes qui se sont terminées par un stage dans un grand groupe financier… qui m’a gardée.

ORSC : Bonne élève à l’école, une grande école derrière puis la finance…un parcours « exemplaire » sur le papier ?

S : Exemplaire, je n’en sais rien. Ce parcours ne vaut que pour moi. D’autres auraient certainement trouvé plus exemplaire que je poursuive la carrière que je venais d’entamer…

ORSC : Votre envie d’écrire vous a finalement rattrapé ?

S : L’envie d’écrire ne m’a jamais quittée. Simplement, un jour j’ai compris pourquoi, et j’ai décidé de lui donner une place à sa mesure…

ORSC : Vous avez donc « désobéi » … ;-) ?

S : D’une certaine manière oui, j’ai désobéi en choisissant d’écouter mon envie plutôt que de continuer à me conformer à ce que l’on attendait de moi…

ORSC : A qui désobéi-t-on finalement en prenant une telle décision ? L’entreprise ? La famille ? Soi-même ?

S : J’ai clairement désobéi vis-à-vis de l’entreprise, qui avait beaucoup investi et misé sur moi ; mon départ a été perçu comme une trahison. J’ai désobéi vis-à-vis de ma famille également, qui était très à l’aise avec ma situation — une situation en cohérence avec mes études et mes fameuses « capacités ». Vis-à-vis de moi en revanche, je n’ai pas désobéi. Je me suis au contraire retrouvée. C’est en m’engageant sérieusement sur ce chemin de l’écriture que je me suis dit, pour la première fois, que je ne me trompais pas. C’est un sentiment inédit et ô combien galvanisant de savoir qu’on est sinon exactement à sa place, du moins sur la bonne route pour y parvenir !

ORSC : Comment cela s’est-il passé « intérieurement » Sophie ?

S : Il fallait que je sache. Le seul moyen de savoir, c’était de me lancer. J’ai beaucoup rationalisé pour me rassurer : si les choses ne se passaient pas bien, j’avais toujours la possibilité de revenir à un emploi salarié… Je me disais cela tout en sachant pertinemment que redevenir salariée sonnerait comme un échec.

ORSC : Et comment avez-vous pris LA décision ?

S : Je l’ai mûrie pendant un an, en démarchant aussi différents supports (web et papier) à qui j’ai proposé de faire des piges à l’essai. Mon objectif était de vérifier que si besoin, je trouverais toujours de quoi payer mon loyer. Quitte à écrire sur n’importe quel sujet, ou accepter ces ingrates missions que personne ne prend (urgences du week-end, reportages au fin fond de la campagne…) Au bout d’un an, j’avais confirmation que c’était possible. Je m’étais au passage constitué un début de réseau, et j’avais signé pour mon deuxième livre, une commande passée suite à la publication du premier…

ORSC : Souffriez-vous de votre poste salarié ?

S : Pas lorsque je l’ai quitté. J’ai cependant eu une phase très difficile au début de mon contrat, quand j’ai réalisé que la fameuse « reconnaissance professionnelle » qu’on m’avait vantée tout au long de mes études n’existait pas et que je me suis rendu compte qu’à bien travailler, on pouvait s’attirer certaines jalousies… Ça a été assez violent. J’ai eu l’impression qu’on m’avait toujours menti. J’ai réussi à dépasser cela, mais j’avais de plus en plus de mal avec le fait que l’entreprise m’impose des jours et des horaires de présence… Je n’étais tout simplement pas faite pour le salariat tel qu’il est pratiqué en France. En revanche, j’étais à l’aise dans mon métier que j’aimais, qui me permettait d’apprendre beaucoup et de toucher à des domaines passionnants.

ORSC : C’est un choix audacieux et culoté. Comment a réagi votre entourage ?

S : Certains se sont inquiétés — des inquiétudes avant tout matérielles. Je sortais de ma zone de confort, au sens le plus littéral de l’expression, pour sauter gaiement dans la précarité. Quelques rares personnes n’ont pas su comment réagir et ont pris de la distance : j’ai compris avec le temps qu’en affirmant ma liberté je pouvais inconsciemment en renvoyer d’autres à ce qu’ils n’osaient pas faire… La plupart de mes proches m’ont applaudi et encouragée. Les plus proches notamment. C’était important.

ORSC : Comment le leur avez-vous annoncé ?

S : Après coup. Je n’ai pas pris d’avis pendant ma phase de réflexion. J’ai posé beaucoup de questions à des personnes que j’ai pu croiser et qui avaient un parcours « atypiques », avec un virage surprenant ou une audace particulière. Mais je n’ai pas demandé autour de moi « Crois-tu que je fais une bêtise ? ». Car je sais que pour les décisions de cette importance, on est le meilleur juge.

ORSC : Auriez-vous lâché votre poste sans contrat signé avec des maisons d’édition au préalable ?

S : Sûrement pas. Des tas de gens écrivent et rêvent d’être publiés. Je n’aurais pas sauté le pas si je n’avais pas reçu les signaux positifs qu’ont représentés ces premiers contrats d’édition. Malgré tout, un contrat signé avec une maison d’édition concerne un seul livre et ne constitue absolument pas une garantie pour l’avenir. Donc tout restait à faire, à construire et à écrire…

ORSC : Et le doute dans tout ça, (omni) présent ou pas ?

S : Oui et non. J’étais en permanence habitée par deux voix, l’une me disant que j’avais fait le bon choix, l’autre que j’étais complètement folle. Du coup, mon humeur variait d’un jour à l’autre en fonction de la voix qui hurlait le plus fort ! La deuxième voix s’est un peu calmée depuis… mais je l’entends à nouveau à peu près chaque fois que je démarre un nouveau projet J.

ORSC : Matériellement parlant, comment la bascule s’est-elle passée ?

S : J’avais mis de côté et je suis partie via une rupture conventionnelle pour avoir de quoi « voir venir ». J’avais cotisé suffisamment pour avoir le droit à deux ans d’indemnités, ce n’est pas neutre. Et j’ai commencé par accepter diverses commandes d’écriture pour gagner quelque argent et pouvoir plus facilement proposer ensuite mes propres projets… Je savais que je réduirais mon train de vie de façon drastique en faisant ce choix. Ce n’était pas une surprise : les écrivains sont pauvres s’ils ne sont pas ultra riches.

ORSC : Et aujourd’hui, financièrement, comment ça se passe pour vous ?

S : Ma situation reste précaire, et dépend beaucoup de l’énergie que je peux fournir. Les droits d’auteur en France tournent autour de 8–10% en littérature générale et entre 3 et 6% en littérature jeunesse. On peut faire un « succès » sans devenir riche. Mon roman jeunesse Max et les poissons s’est vendu à plus de 15.000 exemplaires mais je ne touche que 20 centimes sur chacun d’eux… Je vous laisse faire le compte. Il m’a fallu quatre ans pour arriver à retrouver un équilibre correct (correct mais inférieur au SMIC). Mais les choses s’améliorent d’année en année, car la visibilité amène de nouvelles propositions, les ventes réalisées permettent des conditions plus intéressantes pour les contrats suivants, etc.

ORSC : Si c’était à refaire Sophie ?

S : Je referais les choses à l’identique. Chaque étape m’a été nécessaire pour la suite, comme autant de briques qui bâtissent et solidifient l’édifice…

ORSC : Ne pas savoir de quoi demain sera fait, comment le vivez-vous ?

S : Dans l’ensemble, très bien. Même s’il m’arrive parfois d’être rattrapée par une angoisse matérielle… Le tout, c’est de ne pas se laisser bloquer par ces angoisses-là. Et de travailler. Je travaille sans cesse, c’est la meilleure solution que j’aie trouvé pour assurer ma sérénité !

ORSC : Vous avez opté pour une certaine forme de liberté Sophie, des jaloux ?

S : Comme je le disais, autour de moi certains ont pris de la distance, mal à l’aise avec ce que mes choix et ma liberté leur renvoyaient. C’est une chose qu’il est impossible d’anticiper : les réactions de chacun. C’est toujours surprenant, inattendu. Il y a aussi de la jalousie ou de l’aigreur de la part de quelques-uns, quelques-unes. Dans ces cas-là, c’est moi qui prends de la distance. Mais il faut avouer également que la liberté amène à soi de nouvelles personnes, plus proches en matière de façon de penser, des personnes qui n’ont pas de problèmes avec la liberté des autres puisqu’elles sont libres elles-mêmes…

ORSC : Vous avez côtoyé l’univers du luxe pendant quelques années, quel est votre plus grand luxe aujourd’hui ?

S : Mon plus grand luxe, c’est de disposer de mon temps comme je l’entends.

ORSC : Sophie, vous avez publié Le syndrome de la vitre étoilée il y a quelques mois. Qu’est-ce que ce syndrome ??

S : Le syndrome de la vitre étoilée, c’est une expression utilisée par ceux qui jouent au flipper. C’est quand tout paraît tenir alors que de près, tout est fendillé et sur le point de partir en mille morceaux. Dans le cas du flipper, il s’agit donc de la vitre. C’est une image qui correspond bien à l’état dans lequel se trouve la narratrice, Stéphanie, dans la première partie du roman. Pour l’extérieur, tout va bien, mais à l’intérieur elle est au bord de l’implosion.

ORSC : Auto-biographique ?

S : Non, même si je suis partie d’une base autofictive autour d’un parcours de PMA (Procréation Médicalement Assistée). J’y ai glissé des thèmes qui me sont chers : le pouvoir de l’esprit sur le corps, et la nécessité de s’affranchir du regard des autres pour devenir soi… avant de revenir vers eux, car ce sont les autres qui valident ce que l’on est. Stéphanie et moi avons pas mal de choses en commun, mais elle n’est pas moi.

ORSC : Merci Sophie pour ce témoignage.

S : Merci ORSC !

Sophie Adriansen est écrivain (édition Nathan, Fleuve…) et tient depuis 2009 le blog Sophielit. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages depuis 2010.

Août 2016 : Le Syndrome de la vitre étoilée (Fleuve éditions)

Juin 2016 : Les Grandes jambes (éditions Slalom)

Février 2015 : Max et les poissons (éditions Nathan)

Pour en savoir plus sur Sophie :

www.sophieadriansen.fr

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