Directeurs juridiques : quelles difficultés ?

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
7 min readAug 24, 2020
Romain Franck, Senior Manager Fed Legal

Romain Franck, Senior Manager chez Fed Legal, spécialiste du recrutement juridique et fiscal, répond à nos questions sur le métier de Directeur juridique.

En quoi consiste exactement le métier de Directeur juridique ?

Le métier de DJ est un métier complexe qui allie à la fois des compétences juridiques et techniques, managériales et organisationnelles, transversales et stratégiques.

En tant que sachant du droit dans l’entreprise, il doit être un facilitateur d’activité et permettre à l’entreprise de réaliser ses projets, de faire du business tout en maîtrisant les risques juridiques et judiciaires liés à cette activité.

Cela passe par plusieurs missions mais la première, je dirais, est l’architecture de tous les contrats, les actes et les différents modèles types qui vont être produits et mis à disposition des opérationnels et qui vont permettre à l’entreprise d’avoir un cadre contractuel clair, légal, sécurisant et dans l’intérêt de l’entreprise, lui permettant de faire du business.

Ce corpus juridique doit être simple pour être compris et surtout il doit être expliqué, vendu et marqueté aux opérationnels.

On entre là dans la dimension la plus importante à mon sens : le conseil.

Comme un avocat pour ses clients, le Directeur Juridique est un conseil en tant que sachant du droit.

Régulièrement consulté pour son expertise, son rôle ne doit pas se limiter à rappeler un cadre légal, à expliquer une règle de droit ou un risque juridique et/ou judicaire.

Il doit appréhender une situation juridique complexe, l’analyser et apporter des solutions à ses clients. Il y a une dimension pédagogique absolument gigantesque dans ce métier.

Il faut en permanence être dans l’analyse du risque, comprendre et retranscrire des situations complexes, proposer plusieurs solutions pratiques et opérationnelles, les expliquer en des termes simples en apportant un éclairage sur les risques/avantages de chacune d’elles.

Un axe important revient aussi au management. Organiser le travail dans sa Direction : recruter, déléguer, mettre en place une organisation cohérente et compétente. Souvent on observe une organisation par pôle d’expertise juridique, comme en cabinets d’avocats. C’est ce qui a le plus de sens.

C’est un véritable travail de chef d’équipe. Il faut pouvoir savoir où en sont les managers, il faut contrôler mais aussi être disponible, arbitrer, orienter, fixer le cap, les objectifs collectifs et individuels, recadrer si nécessaire.

Le Directeur juridique doit faire en sorte qu’une unité existe et soit au service de l’entreprise. Il faut donc d’immenses qualités humaines, savoir fédérer et faire adhérer son groupe à un projet commun.

Enfin le bon Directeur juridique est capable d’anticiper l’orientation prise par son entreprise et doit être en mesure de la guider stratégiquement pour aller plus vite et plus loin que ses concurrents, pour faire en sorte que la réglementation qui impacte son entreprise aille dans le sens souhaité par celle-ci ou en limite les contraintes.

On sous-estime parfois cette compétence mais un Directeur juridique ne peut pas se contenter d’être un bon juriste et un bon manager. Il doit avoir des compétences qui vont au-delà de son métier et de sa fonction. Connaître le milieu dans lequel évolue son entreprise, les pratiques concurrentielles, faire du lobbying (la dimension advocacy ou Public Affairs), avoir des touches et des appuis auprès de personnes influentes au sein des parlementaires ou des ministères. Participer à des réunions dites « de place », s’associer dans des groupes de travail ou de réflexion et d’influence à l’extérieur de son organisation lui permettent d’être un stratège et un businessman avisé. Avoir de très bonnes compétences en finance est aussi un atout précieux.

Quelles sont les contraintes auxquelles ils sont confrontés au quotidien ?

On remarque souvent que le Directeur juridique est à la tête d’une direction qui est sous staffée par rapport à la charge de travail à laquelle elle doit faire face.

Problème de budgets et de recrutements sont hélas récurrents. En tant que fonction support, elle a encore beaucoup trop tendance à être vue comme un centre de coût. Alors on limite le nombre de collaborateurs et si besoin on externalise auprès de cabinets d’avocats.

La seconde difficulté est de pouvoir la positionner au plus haut sommet de l’entreprise. Pour moi un Directeur juridique rattaché à un DAF cela n’a aucun sens et c’est encore trop souvent le signe que cette fonction est sous-évaluée dans l’entreprise et vue comme une fonction support uniquement.

Le Directeur Juridique doit selon moi être rattaché à la Présidence ou à la Direction Générale de l’entreprise. Il doit pouvoir conserver son indépendance. Il doit être au Comex ou au Comité de Direction et être impliqué au plus tôt dans les décisions stratégiques de l’entreprise.

Pour arriver à cette situation, un gros travail de lobbying interne doit être fait pour expliquer l’importance du juridique dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Cela veut dire qu’il faut énormément former et éduquer les opérationnels, leur offrir des outils clairs et fiables et faire en sorte qu’ils sollicitent le Directeur juridique et son équipe au plus tôt, dès le lancement des projets, afin que celui-ci intervienne à bon escient et pas uniquement lorsque des difficultés surviennent.

Quid de la place de la Direction juridique au sein des entreprises ?

On en revient à la difficulté évoquée précédemment. Pour être influente, puissante et opérer un travail à forte valeur ajoutée, elle doit être positionnée au plus proche de la Présidence et de la Direction Générale.

Constatez-vous un turn-over important chez les Directeurs juridiques ?

Ce métier étant à multiples facettes et très exposé, il peut être difficile de tenir sur la durée mais il n’y a pas de turn-over particulièrement fort chez les Directeurs juridiques. Je dirais même que le turn-over est moins important que pour d’autres fonctions comme les Directeurs commerciaux ou les Directeurs financiers. C’est un métier où la longévité est souvent gage de compétence et de savoir dans l’entreprise. Il ne peut pas être jugé sur des KPIs très chiffrés. Si le CA de l’entreprise baisse, ce n’est pas auprès du Directeur juridique qu’on va en chercher les raisons. A cet effet, sa place est donc moins en danger et moins directement corrélée aux résultats de l’entreprise qu’un Directeur commercial, un Directeur des opérations ou un Directeur financier.

En revanche, dans certaines situations, le Directeur juridique peut être directement mis en cause : si les contrats sont mal rédigés et sources de risques, si les contentieux explosent, si les autorités de tutelle et contrôle sanctionnent par exemple.

Nous parlons souvent de l’épuisement des avocats. Qu’en est-il chez les Directeurs juridiques ? Qu’avez-vous pu constater dans votre pratique ?

Les avocats mènent une course effrénée pour maintenir et accroître leur chiffre d’affaires et évoluent dans un métier extrêmement concurrentiel.

Le Directeur juridique n’a pas de chiffres d’affaires à réaliser, d’heures à facturer à ses clients internes et il ne risque pas de voir ses clients internes lui préférer un concurrent.

En revanche, il peut subir comme tous ses collaborateurs la pression du management, le sous staffing auquel il doit faire face, une charge de travail importante, du stress lié à un risque pénal ou civil dans un contentieux à fort enjeu stratégique et financier ou de mauvaises relations avec son N+1.

Quelles sont les causes de cet épuisement ?

La charge de travail et le stress sont les raisons principales mais il ne faut pas négliger l’aspect humain et les mauvaises relations qui peuvent aggraver cette situation d’épuisement.

Voyez-vous beaucoup de reconversion chez les Directeurs juridiques ?

L’avantage de ce métier c’est qu’il nécessite de se mettre au service des autres. En faisant cela, le Directeur juridique doit comprendre le métier de ses clients internes, les opérationnels et après plusieurs années à les conseiller, les accompagner, les assister, il peut lui aussi passer de l’autre coté de la barrière et devenir un opérationnel à part entière.

J’ai l’exemple d’un éminent Directeur juridique, dans le secteur de la promotion immobilière, Stéphane Gaux pour le citer, qui a occupé ce poste pendant de longues années chez BNP Real Estate et qui est devenu il y a moins d’un an, Directeur des patrons de régions du pôle résidentiel de BNP Paribas Real Estate. C’est ce qu’on appelle une reconversion par la grande porte et c’est amplement mérité pour quelqu’un qui a su développer d’autres compétences que ses compétences juridiques au cours d’une carrière riche chez BNP Paribas Real Estate.

Vers quels métiers se tournent-ils ?

Tout dépend du secteur d’activité au sein duquel il a évolué mais pour reprendre l’exemple cité précédemment, se tourner vers le métier opérationnel dans des secteurs bien réglementés comme l’immobilier ou la banque cela peut faire sens.

De façon plus globale, il peut aussi rester dans un métier support et plus transversal comme Secrétaire Général ou plus dans une fonction de contrôle et d’audit proche du juridique comme Directeur de la Conformité. Tous les métiers liés au règlementaire, au contrôle, à l’éthique, aux sanctions qui sont des métiers dits aujourd’hui de compliance sont parfaitement calibrés pour des Directeurs juridiques.

Également les métiers de lobbying et les missions liées aux Public Affairs/Regulatory/advocacy se prêtent également bien à la reconversion des Directeurs juridiques.

Enfin je dirais qu’il peut se tourner vers une autre profession juridique.

Soit reprendre la robe d’avocat s’il l’avait délaissée ou bien le devenir. L’ancien Directeur Juridique d’Icade Promotion, Patrick Mula pour le citer, a quitté son poste pour devenir avocat en droit immobilier et s’installer en province.

Il peut aussi devenir ou redevenir Notaire, Huissier de Justice, Administrateur judiciaire.

Tout dépend de ses compétences, de ses diplômes et de ses affinités.

Merci pour cette interview Romain.

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Marina Bourgeois, Directrice du Cabinet Oser Rêver Sa Carrière.

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