Entrepreneurs : pourquoi opter pour la SAS ?

Jean-Pierre Bertrel est professeur émérite à ESCP Europe. Il nous éclaire sur les avantages et inconvénients de la SAS.
Oser Rêver Sa Carrière : Jean-Pierre, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Jean-Pierre Bertrel : C’est toujours un plaisir de participer à la promotion de l’entrepreneuriat.
ORSC : Jean-Pierre, tu es professeur émérite à ESCP Europe et expert en droit des sociétés. Tu vas donc pouvoir répondre à nos questions relatives aux différents statuts juridiques à la disposition des créateurs d’entreprise. Première question : faut-il mieux choisir l’entreprise individuelle ou la société lorsque souhaite lancer son activité ?
Jean-Pierre Bertrel : C’est effectivement le premier choix que doit faire un créateur d’entreprise. En règle générale, il faut mieux choisir la société, l’entreprise individuelle ne pouvant être envisagée, sous la forme de l’auto-entreprise ou, comme on l’appelle désormais, de la micro-entreprise, que pour les projets destinés à produire un chiffre d’affaires relativement faible : jusqu’à 170 000 euros par an pour les activités commerciales d’achat-vente, de restauration et de fourniture d’hébergement et jusqu’à 70 000 euros par an pour les prestations de service et les activités libérales. Au-delà, le statut de micro-entreprise, qui n’est qu’une variété d’entreprise individuelle bénéficiant d’un régime simplifié de déclaration et de versement des cotisations et contributions sociales, n’est plus accessible.
Différentes raisons justifient de privilégier alors la société à l’entreprise individuelle: une raison financière (la possibilité, lorsque l’entreprise se développe et a besoin de renforcer ses capitaux propres, d’ouvrir son capital à des partenaires), une raison patrimoniale (protéger son patrimoine personnel en choisissant une forme de société au sein de laquelle l’entrepreneur a une responsabilité limitée, même si cet avantage doit être nuancé), une raison sociale (permettre au dirigeant d’être socialement assimilé à un salarié au titre de la rémunération que lui verse le cas échéant sa société) et, enfin, une raison fiscale. Cette dernière raison est désormais essentielle. Le mouvement en cours de baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) et, depuis le 1er janvier 2018, la réforme de la fiscalité des dividendes, avec l’institution de la fameuse « flat tax » (le prélèvement forfaitaire unique) de 30% prélèvements sociaux inclus, ont effectivement renforcé, pour un créateur d’entreprise, l’intérêt du choix de la société dans la majorité des cas.
Oser Rêver Sa Carrière : Puisque tu conseilles de privilégier, le plus souvent, la société à l’entreprise individuelle, peux-tu éclairer nos lecteurs sur la forme de cette société ? Quelle est la forme sociale que tu recommandes pour une création d’entreprise ?
Jean-Pierre Bertrel : Sans hésiter, la société par actions simplifiée (SAS). C’est un choix qui se révèlera adapté à la majorité des projets de création d’entreprise. La SAS a les avantages des sociétés par actions sans en avoir les inconvénients. En outre, elle se caractérise par une très grande souplesse qui permet d’ajuster ses statuts aux exigences de chaque cas particulier et donc, lorsque cela est nécessaire, de faire vraiment du « sur mesure » juridique. Cette flexibilité se révèlera particulièrement précieuse lorsque l’entreprise est créée par deux ou plusieurs personnes ou lorsque, après avoir été créée par une seule personne, le chef d’entreprise décide de prendre un ou des associés. Dans ces différents cas, il faut en effet organiser un partenariat et il est utile de pouvoir disposer, comme disent les juristes, d’un maximum de liberté contractuelle.
Oser Rêver Sa Carrière : Justement, est-ce un statut juridique que peut utiliser un entrepreneur qui souhaite rester seul, autrement dit ne pas s’associer ?
Jean-Pierre Bertrel : Absolument, la SAS a cet avantage supplémentaire de pouvoir être unipersonnelle, c’est-à-dire créée par un seul associé. On parle alors de SASU, société par actions simplifiée unipersonnelle. Etant précisé qu’en cas de besoin, le créateur peut faire entrer ultérieurement un ou plusieurs associés, la SASU devenant une SAS « normale », c’est-à-dire pluripersonnelle.
Oser Rêver Sa Carrière : Mais cet avantage n’existe-t-il pas aussi pour la SARL ?
Jean-Pierre Bertrel : C’est vrai que la SARL peut aussi être unipersonnelle. On parle alors d’EURL, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Ceci étant, la SARL comme sa petite sœur à associé unique l’EURL, ont des inconvénients que n’ont pas la SAS et la SASU. En effet, les premières sont des sociétés émettrices de parts sociales, non cessibles et non négociables, c’est-à-dire des sociétés « fermées », pouvant être considérées comme des pièges à capitaux, ce qui peut être répulsif, et donc constituer un obstacle dirimant en cas de nécessité d’ouvrir le capital social. A l’inverse, la SAS et la SASU sont des sociétés émettrices d’actions, librement cessibles et négociables, c’est-à-dire des sociétés « ouvertes », beaucoup plus attractives pour des partenaires financiers et notamment pour des business angels ou des professionnels du capital investissement. Par ailleurs, les dividendes, dont on vient de rappeler que le régime fiscal a été récemment bonifié par la loi de finances pour 2018, ont un régime social plus intéressant dans les SAS ou SASU que dans les SARL ou EURL. En effet, dans les premières, ils ne sont pas assujettis aux charges sociales alors qu’ils peuvent l’être en partie dans les secondes lorsque le créateur est gérant et associé majoritaire ou unique.
Oser Rêver Sa Carrière : Existe-t-il une « mise de départ » obligatoire pour créer une SAS ?
Jean-Pierre Bertrel : Non, c’est encore un avantage de la SAS sur les autres sociétés par actions que sont la société anonyme (SA) ou la société en commandite par actions (SCA) : il n’y a pas au départ, dans la SAS, de capital social minimum imposé par la loi. On peut ainsi créer une SAS avec un capital de 10 000 euros, de 1000 euros ou encore de 100 euros. Même si on ne doit jamais conseiller de sous capitaliser une entreprise lors de sa création, cette absence de contrainte capitalistique est souvent perçue par les créateurs comme un avantage non négligeable. Rappelons que le capital social minimum est de 37 000 euros dans les SA et SCA. De même, les créateurs de SAS apprécient souvent de ne pas avoir besoin de nommer au départ de commissaires aux comptes, ces derniers (le titulaire et le suppléant) ne devenant obligatoires que lorsque la société s’est développée et dépasse certains seuils.
Oser Rêver Sa Carrière : Lui vois-tu des inconvénients pour un entrepreneur qui démarrerait ?
Jean-Pierre Bertrel : Non, je n’en vois pas. C’est d’ailleurs ce qui explique le succès impressionnant de la société par actions simplifiée et l’augmentation quasi exponentielle du nombre de SAS dans notre pays. C’est vraiment un magnifique outil juridique que le législateur a mis à la disposition des créateurs d’entreprise en France. On peut dire que la SAS, véritable « pépite » de notre droit des sociétés, est parfaitement adaptée aux contraintes de l’économie moderne (la plupart des « start up » étant des SAS) et que son institution a vraiment renforcé la compétitivité du droit des affaires français.
Oser Rêver Sa Carrière : Merci pour cette mise en perspective, mais, en pratique, est-ce compliqué de créer une SAS ?
Jean-Pierre Bertrel : Pas plus que de créer n’importe quelle autre forme de société, comme par exemple une SARL.
Oser Rêver Sa Carrière : Finalement, pour qui est-elle faite exactement ?
Jean-Pierre : Pour tous les types d’entrepreneurs : aussi bien pour ceux lançant des projets à faibles perspectives de développement (tout en dépassant les seuils de chiffre d’affaires susvisés de la micro-entreprise) que pour ceux qui envisagent des projets plus ambitieux, pouvant les conduire à lever des fonds. La SAS n’a sous cet angle qu’une limite : elle ne peut pas offrir ses titres au public pour récolter des capitaux propres ni les coter sur un marché financier. Ceci étant, cette limite n’est pas gênante dans l’immense majorité des cas, surtout dans la phase de démarrage. Rares sont effectivement les entreprises nouvelles qui finiront cotées en bourse et, si une introduction sur un marché financier devait un jour être envisagée, l’entreprise en forme de SAS pourrait toujours, le moment venu, être transformée en SA ou en SCA.
Oser Rêver Sa Carrière : Merci papa ;-) et à très vite dans nos colonnes !
Jean-Pierre Bertrel : Merci et bonne chance à tous les lecteurs d’Oser Rêver Sa Carrière qui envisagent de se reconvertir en créant leur entreprise.
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Marina Bourgeois
