Paul, ex avocat, reconverti après un burn-out

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
5 min readNov 28, 2016

ORSC : Bonjour Paul, merci de répondre à mes questions.

P : Merci à vous Marina.

ORSC : Paul, vous avez fait un burn-out il y a six ans. Vous aviez 46 ans. Racontez-nous.
P : Je me rendais à mon cabinet un matin, j’étais le premier à arriver. J’ai ouvert la porte et, dans le hall d’accueil, je suis tombé. Littéralement. Mon associé et ma secrétaire m’ont retrouvé allongé. J’ai mis quelques instants avant de reprendre mes esprits après qu’ils m’aient redressé. S’en est suivie toute une batterie d’examens qui n’ont rien donné. C’était un vendredi. Je suis retourné au cabinet le mercredi suivant mais j’étais extrêmement fatigué. J’ai dû écourter mes journées de travail pendant les trois semaines qui ont suivi, jusqu’à ne plus pouvoir me lever du tout le matin.

ORSC : Que ressentiez-vous alors ces matins là ?

P : Une grande fatigue qui a fortement inquiété mes proches, surtout mon épouse et ma fille. Je ne parvenais plus à me traîner jusqu’à la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. Ma fille m’apportait un bol de ses céréales dans mon lit lorsque ma femme ne pouvait pas le faire, j’étais l’enfant…par chance, ma fille était en vacances au début de mon alitement, elle m’a été d’un grand soutien.

ORSC : Combien de temps cette fatigue a-t-elle perduré aussi intensément ?

P : Cinq mois.

ORSC : Paul, aviez-vous d’autres « symptômes » inhabituels en plus de cette fatigue ?

P : Le plus handicapant, avec la fatigue, a été l’impossibilité à me concentrer. Moi qui étais habitué à éplucher des dizaines de pages par jour, à écrire sans aucune difficulté et à envoyer des mails à toute vitesse, je ne savais quasiment plus lire, ni écrire. J’ai buggé en quelque sorte. Ecrire un SMS était compliqué, c’est dire… J’avais les nerfs à vif, je ne dormais quasiment plus. J’étais « hors d’usage ». Il m’est arrivé de pleurer.

ORSC : Comment avez-vous fait pour vous refaire une santé ?

P : Je suis resté alité pendant de nombreuses semaines. Mon corps a repris ses forces, tout doucement, au moment où j’ai commencé à accepter la situation. Cela a été dur au départ : j’avais jusque là une vie chargée et, c’est vrai, stressante. Je jonglais entre mes dossiers et la gestion du cabinet, sans compter les cocktails et nombreuses soirées pour lesquelles mon associé et moi étions régulièrement conviés. Et puis, plus rien ! du jour au lendemain, je ne pouvais plus assumer mes responsabilités professionnelles (ni personnelles d’ailleurs). Je culpabilisais vis-à-vis de mon associé, de nos collaborateurs, des clients, de mon épouse, de ma fille. Je n’ai pas pu rendre visite à ma mère qui habite en Corse pendant des mois alors qu’elle était malade. Je culpabilisais pour tout. Ça n’a évidemment rien arrangé. Un samedi, mon associé m’a rendu visite. Il m’a avoué être passé tout prêt du burn-out lui aussi, un an auparavant. Il a alors consulté un psychologue, je ne le savais pas. A partir de là, j’ai commencé à « me détendre ». Je me suis senti moins seul face au problème. Il faut dire que mon associé m’a rendu la vie facile : il a tout géré : mes dossiers, les collaborateurs et il a même emmené ma fille une semaine en vacances pour nous soulager un peu (et la soulager aussi !), ma femme et moi. Je me suis reposé, je somnolais beaucoup la journée, je me suis forcé à manger sainement. Petit à petit, j’ai pu aller dans la cuisine, le salon et puis enfin ressortir.

ORSC : En dehors de votre associé, de votre femme et de votre fille que vous avez évoqués, avez-vous trouvé d’autres soutiens ?

P : je faisais régulièrement le point avec mon médecin qui m’a écouté au début et transmis les coordonnées de l’un de ses confrères lorsqu’il m’a senti prêt…un psychiatre consultant à une station de métro de mon domicile. C’était parfait. Lorsque j’ai pu « remarcher » correctement, je suis allé le voir deux fois par semaine. J’ai aussi eu un traitement qui a ajouté à la fatigue. Quand j’ai recouvré la concentration, j’ai lu, beaucoup lu. J’ai cherché à comprendre ce qui avait pu me faire basculer. Le burn-out des avocats, j’en avais déjà entendu parlé mais je me disais que ça n’arrive qu’aux autres.

ORSC : Le burn-out est fréquent chez les avocats ?

P : aujourd’hui je peux dire que oui ! mais il est souvent caché.

ORSC : Pourquoi selon vous Paul ?

P : Le culte de la performance ! Il faut se montrer fort, endurant, ultra-connecté, charmant avec tout le monde, être concentré à longueur de journée. On travaille beaucoup, on ne compte pas nos heures. C’est comme ça que ça déborde. Et pourtant j’en avais vu de toutes les couleurs quand j’étais collaborateur, à mes débuts. Il m’arrivait de rentrer à 23h et de rempiler quelques heures plus tard…quelle idiotie ! Et puis j’étais jeune…mon corps supportait mieux. J’espère que ma fille ne connaîtra jamais ça. Nous lui apprenons d’ailleurs à envisager son métier plus tard comme un élément de sa vie parmi tant d’autres.

ORSC : S’en est-il suivi des changements ?

P : Oh que oui. J’ai d’abord…arrêté d’exercer. Terminé. J’ai réalisé pendant ces longs mois de convalescence que je ne pouvais plus continuer à avoir un rythme de vie aussi dense. Je gagnais bien ma vie mais tout d’un coup, ça n’avait plus d’importance. Je m’en fichais. Je n’avais qu’un but : ne pas revivre une telle épreuve. J’ai pris une année pour régler un certain nombre de choses avec mon associé. Et huit mois pour élaborer un nouveau projet professionnel.

ORSC : Et qu’avez-vous décidé ?

P : J’ai décidé de retourner à mes premiers amours : le vin.

ORSC : Comment avez-vous fait ?

P : Je n’étais pas dans le besoin financièrement, il me restait de quoi voir venir et ma femme, antiquaire, gagnait correctement sa vie. J’ai rencontré un excellent professeur qui m’a ensuite formé à l’œnologie. Aujourd’hui j’envisage de créer mon propre centre de formation en œnologie.

ORSC : L’avez-vous vu venir votre burn-out Paul ?

P : pas du tout. J’aurais aimé…

ORSC : Qu’est-ce qui, selon vous, est déterminant pour ne pas subir un burn-out ?

P : C’est une question difficile. Je dirais : apprendre à en reconnaître les signes. On en parle davantage aujourd’hui. L’entourage peut, et doit alerter. Les médecins aussi. Créer des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes arrivant sur le marché du travail pourrait aussi être pertinent. Aucun travail ne mérite d’y sacrifier notre santé…

ORSC : Merci Paul !

ORSC : Je vous en prie Marina.

Pour en savoir plus sur le burn-out : Marina Bourgeois. Burn-out. Le (me) comprendre & en sortir, 2018.

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