Laura, ex-cadre reconvertie après un burn-out

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
9 min readOct 25, 2016
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ORSC : Bonjour Laura, merci d’avoir accepté cette interview ! Ce n’est pas toujours évident de se dévoiler et d’évoquer un épisode difficile de son parcours, d’autant qu’il y a encore aujourd’hui un énorme tabou social autour des aspérités d’ordre psychologique qu’un individu peut connaître au cours de sa vie. Dépression, burn-out sont encore synonymes, pour certains (mal informés selon nous) de faiblesse ou de manque de volonté. Tu as cependant accepté de témoigner et de faire part de ton expérience à Oser Rêver Sa Carrière. Pourquoi ?

Laura : Parce que le burn-out est le mal de la génération Y en entreprise. C’est quelque chose qui peut arriver à n’importe qui et à n’importe quel âge, pour peu que la personne soit investie. On croit toujours que cela n’arrive qu’aux autres jusqu’au jour où cela nous arrive ! Si mon expérience peut aider quelqu’un d’autre à ne pas tomber dedans ou bien à s’en remettre plus vite alors tant mieux ! Je ne suis pas pour faire du burn-out un tabou. En réalité, j’en parle très librement même si les gens ont du mal à me croire et qu’ils sous-estiment complètement ce que c’est par pure méconnaissance du sujet.

ORSC : Laura, as-tu senti venir le burn-out ? Si tu rembobines ton magnéto personnel, parviens-tu à cibler les signes avant-coureurs ?

Laura : En fait, oui je l’ai senti venir si je rembobine le magnéto. Mais en réalité, c’est très pernicieux, je ne l’ai pas vu venir sur le coup. Je suis quelqu’un de très actif, et dynamique. Je déborde d’énergie alors je fais une foule d’activités depuis que je suis ado. Si je peux mettre 48h en 24h alors je le fais. C’est déjà le premier signe : un tempérament addict aux activités. Mais ce qui aurait dû m’alerter c’est tous les petits signes périphériques. D’abord, les horaires de travail : je faisais 50h par semaine en moyenne. En 2013, aucun problème avec ces horaires mais en 2014 ce même volume horaire était devenu insupportable. Pourquoi ? beaucoup de stress en plus : le double de recrutement que l’année passée dans le même laps de temps, une collègue qui passait de 100 à 90% de temps de travail, une troisième personne recrutée en soutien qui ne connaissait ni l’entreprise ni le travail, j’étais donc chargée de former le CDD, de récupérer les 10% de temps de travail de ma collègue, de récupérer (les premiers temps) ce que ne pouvait faire le CDD, plus ma propre charge de travail, plus la charge que me rajoutaient mes clients internes qui préféraient passer par moi. A tout cela, s’ajoutait ce que je me rajoutais toute seule comme une grande, perfectionniste et ambitieuse que je suis…

En dehors de cela, ma vie personnelle était aussi très chargée entre les amis, mon conjoint de l’époque, mes loisirs, la gestion du quotidien et mon chaton qu’il fallait donner en « nourrice » le matin et récupérer le soir. Ce qui donnait au final des horaires impossibles. Le stress était tel que je mettais très longtemps à m’endormir et dormais peu. Pourtant un ami, qui avait également fait un burn-out deux mois avant moi, m’a prévenue que cela ressemblait à ce qu’il avait vécu. Pour moi, je gérais parfaitement. Il affabulait. Nos deux cas n’avaient rien avoir.

Donc, ce qui doit alerter à mes yeux :

- un caractère de base très perfectionniste ;

- un tempérament têtu (difficile de lâcher prise et perdre le contrôle) ;

- un caractère très volontaire et acharné au travail ;

- des horaires de travail de plus en plus denses ;

- un stress croissant ;

- une hiérarchie ou une équipe qui en demande toujours plus ;

- une vie personnelle aussi chargée que la vie professionnelle.

ORSC : Sur le moment, as-tu compris que tu faisais un burn-out ?

Laura : Non, je ne crois pas que j’ai réalisé. Je connaissais le burn-out, ma mère m’en avait parlé car elle avait lu sur le sujet et disait que des caractères comme le mien étaient sujets au burn-out et au harcèlement moral (devinez ? j’ai fait les 2 !). Pour moi le burn-out c’était extrêmement grave avec des conséquences de l’ordre de un à trois ans d’arrêt maladie. Ayant une santé fragile mais l’habitude de travailler très malade, je n’ai pas percuté sur le coup.

ORSC : Peux-tu nous décrire ce que tu as concrètement vécu pendant ce burn-out ?

Laura : C’était un dimanche midi, j’étais en plein dans un week-end consacré à mes loisirs, en plein cambrousse. J’ai reculé d’un pas et crac ! Une douleur épouvantable m’a pris dans le dos. Je me suis écroulée par terre sans pouvoir me relever ni bouger. Cela me coupait la respiration. Je suis restée environ deux heures allongée par terre jusqu’à ce que les médicaments et un infirmier dans mon entourage réussissent à me hisser dans la voiture. Là, direction les urgences. Résultat ? Un énorme lumbago doublé d’une sciatique (qui elle ne me lâchait pas depuis deux ans)… comme les petits vieux dans les films. La morphine a juste permis de tenir assise dans la voiture sans hurler. S’en sont suivis des mois de séances d’ostéopathie et de relaxation bio-dynamique. Une semaine d’arrêt maladie au lieu de trois minimum. J’ai donc travaillé avec les médicaments et leurs nombreux effets secondaires. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps de douleur et de stress chaque jour pendant des semaines. Le moral était moyen mais je n’étais pas en dépression pour autant. Après cela, fin de mon contrat et quatre mois de chômage où j’ai enfin pu dormir. J’ai repris dans la même entreprise dans une autre unité et sur un autre poste, folie que j’ai faite ! C’est là que j’ai réalisé que le burn-out ce n’était pas que physique c’était surtout psychologique. Boule au ventre d’aller au travail, sentiment d’être nulle, de ne jamais y arriver… Insupportable sensation, doublée d’un stress qui ne faisait que croître et d’un chef…à mon sens très limite dans son management on va dire. En même temps le pauvre était aussi dans un non-sens (avec un niveau d’exigence envers lui-même inhumain et des horaires absolument impossibles — 100h par semaine), donc en surmenage très probablement même s’il n’a pas explosé en vol. Je ne développerai pas plus cet aspect car je n’aimerais pas qu’on retrouve qui était mon chef et que cela me pose des problèmes. Tout ce que je peux dire c’est que ce fut horrible. Mon médecin n’a pas voulu me mettre en arrêt ! Le moral était très bas et j’ai compris ce jour là pourquoi tant de salariés se foutent en l’air. Là, j’ai attaqué une psychothérapie de type TCC (thérapie cognitivo-comportementale) pendant environ un an et anxiolytiques pendant six mois.

ORSC : Laura, combien de temps cet épisode a-t-il duré ?

Laura : Si on prend le tout cumulé, je dirais que cela a duré un an et demi…si tant est qu’il soit fini, ce qui n’est pas totalement dit, vu que je refuse de redevenir salariée et surtout d’avoir un poste à responsabilités. Et je suis encore assez en colère contre cette machine à broyer qu’est l’entreprise.

ORSC : Avec du recul, qu’est-ce qui t’as permis de rebondir ?

Laura : mon entourage, c’est vital ! Ma mère a été très présente pour moi. Mais c’est aussi d’accepter d’être aidée, de prendre des médicaments de manière temporaire s’il le faut, de suivre une forme de thérapie. C’est aussi d’accepter d’avoir mal et d’être triste. C’est de garder cette énergie de vie et tout faire pour refuser la dépression, car c’est très facile d’être en dépression et d’avoir des pulsions de mort. C’est con à dire mais mon chat m’a aidé, devoir prendre soin de quelqu’un d’autre qui n’a rien demandé et profiter de ses ronrons. Je suppose que les enfants doivent faire le même effet. Ensuite, il y a le jeu de rôle, qui m’a permis de me vider la tête. Il ne faut surtout pas arrêter ses loisirs ! Dormir aussi ça aide beaucoup, apprendre à gérer son stress aussi. S’accorder du temps. J’ai du apprendre à m’écouter un peu plus (je reste toujours boulimique d’activités) et savoir reconnaître ses limites, apprendre à dire stop/non. Pour les cadres, je conseille aussi de ramener son salaire à un taux horaire en fonction de son nombre d’heures travaillées, ça aide énormément à déculpabiliser de bosser moins et de dire non.

ORSC : Cet épisode a-t-il influencé ton choix de vie professionnelle ?

Laura : à 100% ou presque. Je suis à mon compte maintenant, je fais les horaires que je veux, je m’autorise à dormir le matin car je préfère travailler le soir, je stress pour l’aspect financier mais plus pour le reste. Le point positif c’est que sans ce burn-out, je ne me serais jamais mise à mon compte car trop peur. Il faut rester positif car à tout malheur il y a un versant positif. J’ai appris plein de choses grâce à mon burn-out. Ce que je retiens de mon vécu et du vécu de ceux qui sont passés par là, c’est que ça force à changer des comportements qui étaient inadaptés voire malsains. Donc ceux qui vivent cela, haut les cœurs, vous verrez que cette épreuve terrible fera de vous quelqu’un de plus fort et paradoxalement plus heureux.

ORSC : Aurais-tu pu continuer dans tes fonctions antérieures ?

Laura : plutôt mourir pour ce qui concerne ma fonction en 2015. Pour celle de 2013–2014 je ne suis pas sûre, je n’en eu ai aucune envie mais j’adorais le job donc peut-être mais avec des conditions très drastiques que j’aurais dû m’imposer…mais en même temps je ne suis plus du tout en accord avec cette entreprise, ses valeurs, son management, ce qu’elle véhicule officiellement et ce qui se passe en réalité.

ORSC : Quels conseils donnerais-tu à une personne traversant un burn-out ?

Laura : dormir, manger sainement, faire du sport, avoir des horaires fixes, sortir, voir son entourage et les gens qu’on aime, avoir un animal, suivre une thérapie, prendre temporairement des médicaments si besoin, se fixer des limites.

ORSC : Laura, on parle aujourd’hui de bore-out, de burn-out et de brown-out, ces différences terminologiques sont-elles importantes d’après toi ?

Laura : bien sur, le bore-out c’est tout aussi terrible dans le sens où tu viens pour ne rien faire…c’est insupportable. J’ai connu ça aussi, faire des amplitudes horaires de fou (50h à 60h par semaine) en tant que stagiaire et paradoxalement avoir plusieurs heures sans rien avoir à faire. Qu’est ce qu’on s’ennuie ! Moi c’était à un petit niveau et pour un laps de temps court, mais cela doit rendre fou quand ça dure sept heures, voire plus par jour, pendant des mois ou des années.

Le brown-out, je l’ai découvert la semaine dernière, cela me parle aussi. Mais je me demande si, quand on fait un burn-out, il n’est pas automatiquement lié à brown-out. Dans le sens où dans le cadre d’un burn-out on en arrive à une perte de sens aussi. Pour moi, dans les deux cas, la notion de perte de sens et d’absurdité étaient présents.

ORSC : Une dernière petite question : à ton avis, comment lever les tabous existant aujourd’hui autour des troubles psychologiques type dépression, burn out ? D’ailleurs Laura, fais-tu une différence entre les deux ? Ce sujet sera abordé plus tard mais ton point de vue serait un point de départ.

Laura : en parler et ne pas avoir honte ! Quand je dis en parler c’est aussi expliquer ce que c’est. Car la peur, l’incompréhension et la haine viennent très souvent de ce qu’on ne comprend pas, justement.

Bien évidement je distingue dépression et burn-out car on peut avoir un burn-out sans dépression je crois (enfin je ne suis pas sûre mais ayant, ado, fait 2 sévères dépressions, je n’ai peut-être plus tout à fait la bonne définition de la dépression). Et surtout on peut faire une dépression sans être en burn-out. Donc les deux peuvent être liés mais il n’y a pas de condition sine qua non.

ORSC : Merci Laura pour ton témoignage !

Pour en savoir plus sur le burn-out : Marina Bourgeois. Burn-out. Le (me) comprendre & en sortir, 2018.

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