Ce serait tellement dommage de se rater

alexandre mézard
OuiShare NouvelleAquitaine
3 min readMar 26, 2018

A-t-on le temps et les moyens de connecter la génération en voie de disparition des détenteurs des savoir-faire ancrés localement et celle des nouveaux arrivants vaccinés des grands centres urbains et de l’économie tertiaire ?

Il y a une vingtaine d’années, un cri sourdait d’Amazonie. Il ne s’agissait pas comme on y était habitué d’une énième et légitime alarme concernant la protection du patrimoine naturel menacé. Ce cri voulait nous sensibiliser sur un phénomène en accélération inquiétante: l’acculturation. Aujourd’hui, dans notre ère de transformation digitale et organisationnelle, l’acculturation revêt une dimension positive: on aide les cadres dirigeants à comprendre le nouveau monde qui déboule. Dans la bouche d’un Raoni (chef indien, célèbre lanceur d’alerte sur la disparition du patrimoine naturel et immatériel dans les années 80), l’acculturation se teinte d’une note beaucoup moins mélodieuse puisque pour lui cela consiste à imposer par infusion la culture dominante en faisant fi de la culture préexistante.

Ce cri d’alerte avait en effet pour but de nous informer du fait que les jeunes indiens, aveuglés par les strass de la culture occidentale, s’éloignaient de plus en plus de leurs tribus créant une rupture de chaîne dans la transmission de leurs savoirs majoritairement orale. Les anciens craignaient donc de voir disparaître à leur mort, faute d’oreilles pour l’entendre, un corpus de connaissances d’une richesse inestimable.

Raoni Metuktire

Aujourd’hui le monde entier est à la même croisée des chemins. Les savoirs et savoir-faire fusionnent dans un souci d’industrialisation. L’optimisation fait loi et ce qui marche quelque part doit marcher partout. Il n’y aura bientôt plus qu’une façon de faire un couteau ou du tissu damasquiné comme il n’y a déjà plus qu’une façon de faire du miel ou de cultiver des pommes. Ces autres manières de faire autrefois vivaces sont nées et se sont développées au regard de ressources et de besoins locaux. Leur genèse, et maintenant leur transmission, sont une fenêtre ouverte vers la résolution de problématiques liées à des contextes et à des enjeux spécifiques nés localement (pourquoi un manche en corne plutôt qu’un manche en bois, pourquoi du fil de lin plutôt que du fil de soie). Ces savoir-faire ancrés et pourtant universels sont en risque de disparaître à la mort de leurs derniers porteurs. Désertification, attrait pour le tertiaire et le numérique, perception de rudesse et manque de débouchés de l’apprentissage, ont fait fuir les deux générations suivantes qui jusque-là recevaient de manière quasi-héréditaire ce savoir.

Sauf qu’aujourd’hui on voit poindre un désir fort de relocalisation de l’économie. Loin d’un protectionnisme croupi, elle incarne la volonté de redonner aux échanges de valeurs un visage humain et d’en maîtriser collectivement la qualité et la provenance des objets.

Matthew B. Crawford, auteur de l’éloge du carburateur

Le premier constat est que, si on assiste à un besoin de relocalisation dans des villes moyennes ou en territoire rural des 25–40 ans diplômés et vaccinés par les bullshitjobs et le roulis permanent des métropoles, cela signifie qu’il y a désormais deux exodes, celui de la survie qu’on ne connaît que trop bien (de territoires désolés vers les métropoles aimantant les valeurs) et celui de la quête d’authenticité associée au bonheur (des métropoles vers les zones isolées). Ce mouvement de « désurbanisation » s’accompagne de la part de ses jeunes émissaires d’une volonté de s’investir dans l’économie réelle par l’acquisition de compétences souvent manuelles.

La question est donc, pourrons-nous créer l’opportunité que la génération des détenteurs du savoir artisanal dont l’âge avancé réduit de façon alarmante les effectifs et ces néo-ruraux avides d’apprendre ces techniques ancestrales. Ce serait vraiment dommage qu’ils se ratent !

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alexandre mézard
OuiShare NouvelleAquitaine

humble bridge maker - Integral vision & real economy enthusiast- Coordinator in Centrinno porject for Fabcity Grand Paris — teacher