Nous avons des valeurs, avons-nous des racines ?

alexandre mézard
OuiShare NouvelleAquitaine
3 min readApr 5, 2018

Dans un précédent article nous exposions le fait que la génération des détenteurs du savoir-faire artisanal en voie de disparition et la génération de ceux qui veulent se réancrer localement, risquaient de se croiser sans avoir l’opportunité de faire un passage de relais. Mais si nous pouvions par miracle étirer le temps et permettre à ces néo-ruraux ou néo-artisans de rencontrer leurs potentiels mentors, le dialogue serait-il possible ? Ne verrait-on pas poindre le bout de leur nez un dialogue houleux, fait de différence de statut social et un labyrinthe d’incompréhension entre les très éduqués théoriquement et les très expérimentés pratiquement ?

Et c’est maintenant aux représentants de ce deuxième exode (celui de la fuite des grands centres urbains vers les villages et villes moyennes avec l’ambition d’y exercer un métier manuel) que nous souhaitons nous adresser directement.
Vous êtes pétris de bonnes intentions car comme dit le proverbe « chat échaudé craint l’eau froide ». Vous êtes pour la plupart traumatisés par vos premières années de travail dans de grands immeubles de grandes boîtes de grandes villes, aussi grands qu’était petit le périmètre d’action (la responsabilité) que vous aviez l’impression d’avoir. Ce manque d’expression, cette carence dans le déploiement de soi, vous ont conduit à faire votre des valeurs fortes, militantes, vous voulez faire pivoter les choses en embrassant un « back to basic » salutaire. Vous voulez faire les choses bien, nous dirions même, vous voulez faire les choses au mieux.

Et donc vous vous êtes jetés corps et âme dans l’apprentissage, comme on se jette au front, multipliant les recherches et les formations accélérées de votre futur métier (incollable sur les tutos youtube, vous avez épluché tous les manuels, vous êtes abonnés à 62 newsletters , avez terminé 5 MOOCS et avez assisté à 12 conférences dont 3 de Pierre Rabhi). Vous maîtrisez sur le bout des doigts les arcanes complexes de votre nouvelle corde. Et plus que cela, vous y avez ajouté toutes ces valeurs nouvellement acquises (sauvegarde de l’environnement, circuits courts, respect humain), vous triez, vous dites bonjour à tous ceux que vous croisez dans les rues de ce village dans lequel vous vous êtes fraîchement installés.
Vous y montez votre boutique, votre ferme, votre atelier et, passionnés que vous êtes, vous claironnez que vos produits ou services sont faits avec les meilleures méthodes actuelles, les plus vertueuses, les plus respectueuses et vous avez sans doute raison.

Là où le bât blesse, c’est que quelque part vous passez à côté d’une chose, ténue, fragile, qui est l’histoire du lieu dans lequel vous rattachez vos nouvelles manières de faire. D’aucuns appellent ça le terroir, d’autres le patrimoine, bref ce fil tissé sur les spécificités de ce territoire, fruit lui-même d’évolutions sociologiques et symbiotiques entre ce bout de terre et les groupes qui au fur et à mesure l’ont peuplé. Peut-être alors, en levant le nez de vos écrans ou vos livres, vous auriez vu que dans le domaine que vous voulez réancrer, préexistait une tradition séculaire, bâties brique par brique sur une connaissance profonde de l’écosystème… pas forcément la plus vertueuse théoriquement parlant mais de loin la plus authentique car d’un pragmatisme ayant fait depuis longtemps ses preuves.

Ce « vous » désormais, j’aimerais le transformer en « nous » car je serais bien en peine de vous jeter la pierre étant en tous points dans les mêmes biais et les mêmes travers. Nous adoptons souvent cette posture un peu arrogante, nourrie de connaissances théoriques, gonflée de « bien commun » et de « transition écologique » et un peu condescendante vis-à-vis de nos voisins directs dont les familles sont parfois installées depuis des lustres. Nous toisons, il est vrai sans mauvaise pensée, mais le coup part tout de même. Nous finissons dans le sac des « il pète plus haut que son cul et bien il n’a qu’à aller se le faire cuire ! ».
Et les portes se ferment et le savoir se terre de nouveau.

Cependant nous avons là une chance, la chance énorme d’intégrer des endroits où la rencontre n’est pas une montagne insurmontable. Elle passe souvent par le fait de juguler un peu l’enthousiasme de ce qu’on sait déjà pour écouter l’étendue de ce qui nous reste à savoir. Elle ne tient souvent qu’à une poignée de main au café ou sur la place. Et cette main serrée, si nous y prêtons attention, a peut-être en elle le savoir-faire qui nous permettrait de reconnecter harmonieusement l’endroit où on a choisi de poser ses valises avec ce que nous voulons profondément y faire. Alors si nous avons des valeurs, recréons-nous des racines.

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alexandre mézard
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humble bridge maker - Integral vision & real economy enthusiast- Coordinator in Centrinno porject for Fabcity Grand Paris — teacher