L’innovation urbaine viendra de la multitude

Comment les villes et les territoires nouent de nouvelles alliances avec les citoyens

Ghislain Delabie
Ouishare
18 min readNov 22, 2017

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Comment et avec qui les villes peuvent-elles se réinventer ? Si les usages et les services sont au centre des projets d’urbanisme, alors c’est la multitude qui prend le pouvoir, qui est la source de l’innovation. À l’heure où le dépôt des manifestations d’intérêt pour Réinventer Paris 2 vient d’être clôturé, revenons plus en détails sur la façon dont les villes et les territoires nouent de nouvelles alliances avec les citoyens.

Cet article s’appuie sur nos expériences récentes de participation à des groupements porteurs de projets, ainsi que celle, qui démarre tout juste, d’accompagnement de la Ville de Paris et ses partenaires pour évaluer et faire mûrir les innovations et les projets de Réinventer Paris 2.

Pour faciliter votre lecture de cet article de fond, vous pouvez accéder aux différentes parties à partir des liens ci-dessous.

Introduction : les villes, l’innovation et la multitude

Qu’est-ce qu’une innovation urbaine ?

Comment qualifier les innovations urbaines ?

Pistes d’innovation et enjeux de Réinventer Paris 2

Pour aller plus loin & échanger

Introduction : les villes, l’innovation et la multitude

Hier seule initiatrice des grands projets technologiques et d’innovation, la puissance publique (locale comme nationale) voit aujourd’hui son monopole remis en cause par l’arrivée d’une multitude d’acteurs disposant d’importantes capacités d’innovation : grands groupes, startups, et même individus. Dans le même temps, l’innovation (technologique autant que sociale) est devenue le moteur central de la concurrence entre les villes pour rayonner mondialement. La récente annonce que Google SideWalk Labs allait prendre en charge l’intégralité du réaménagement du quartier Quayside de Toronto a suscité des réactions contrastées, entre enthousiasme de l’écosystème startup qui y voient une extension du domaine des plateformes, et indignation de ceux qui considèrent que la ville est essentiellement l’affaire des pouvoirs publics, seuls garants de l’intérêt général.

La vigueur des réactions démontre à quel point le sujet est sensible, mais elle masque la réalité des nombreux projets où les acteurs privés jouent d’ores et déjà un rôle d’aménageur, de prescripteur voire de fournisseur de services urbains de plus en plus complexes et éloignés du métier de promoteur immobilier. Cela pose nécessairement la question des finalités poursuivies. Lorsque nous avons travaillé au sein du Lab OuiShare x Chronos sur la manière dont les villes accueillent les technologies et les acteurs du numérique, nous nous sommes rendus compte que la technologie peut être appréhendée de 3 manières :

  • Comme un moyen de satisfaire des besoins essentiels de base (hygiène, communications, transport), communs à l’ensemble d’une population ;
  • Comme un outil de rayonnement et de puissance. De Versailles à Masdar ou NEOM, rien ne compte tant que de satisfaire la magalomanie du roi, du cheikh ou du président ;
  • Comme un levier pour servir la multitude. Non plus seulement satisfaire des besoins communs à tous ou servir la puissance de quelques-uns, mais donner du pouvoir (empowerment) à chacun, dans son individualité, sa spécificité, son contexte.
Présentation de l’Enquête Les Villes à l’épreuve de la technologie — Auteurs : Ghislain Delabie & Adeline Karampounis (Le Lab OuiShare x Chronos)

Si l‘implication de Google dans le développement de ce quartier de Toronto fait débat, c’est parce que la finalité pousuivie, au-delà d’une hypothétique rentabilité financière directe (Google raisonne plutôt en termes de plateforme globale), n’est pas tout à fait claire : s’agit-il d’attester de la puissance d’une entreprise géniale et de ses dirigeants ? Ou bien de déployer des solutions au service des citoyens et du bien commun ? La réalité peut bien être entre les deux, la confusion crée l’inquiétude. La maire de Paris de son côté a inauguré en 2015 une démarche singulière qui tente de lever ces ambiguïtés sur les finalités, à travers une coopération ouverte mais étroite, d’un nouveau genre, entre la ville, les citoyens et les acteurs privés. La finalité de Réinventer Paris était plus claire : inventer la ville de demain, mais au service de l’intérêt général et en mobilisant la multitude.

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Réinventer la ville de demain

Réinventer Paris 2 — Les dessous de Paris est la dernière illustration en date de nouvelles dynamiques initiées par des villes pionnières qui veulent se transformer en mobilisant toutes les énergies de leur écosystème : impulser et orienter des projets, créer un environnement favorable, tout en libérant la créativité et l’énergie entrepreneuriale des citoyens et entreprises du territoire. La démarche elle-même est bien connue depuis Réinventer Paris, qui a essaimé par la suite, dans des démarches certes variées en fonction du contexte, mais partageant un ADN commun : Réinventer la Seine, Inventons la Métropole du Grand Paris, Nanterre, le plateau de Saclay, Bordeaux ou Angers. Des démarches de ce type essaiment aussi à l’international, poussées par Anne Hidalgo, présidente du C40, à travers Reinventing Cities. À chaque fois, une démarche assez similaire : un appel à projet ouvert, avec des sites mis à disposition pour des propositions de nouveaux usages et projets. À charge pour les porteurs de projet de réunir une équipe variée, de combiner des innovations dans un projet cohérent et de construire avec la ville, l’aménageur et les autres parties prenantes, une proposition qui emporte l’adhésion. L’équilibre entre toutes les parties prenantes est nécessairement précaire et complexe, mais il est explicitement recherché dans la démarche.

Je vous propose d’approfondir la nature des innovations qui peuvent être proposées dans ce type de démarche Avec OuiShare et un groupement d’experts en ingénierie technique, environnementale et financière, nous venons d’être sélectionnés par la Ville de Paris et ses partenaires

La spécificité de Réinventer Paris 2 est de présenter sur plusieurs sites (parmi les 34) de véritables défis techniques, voire technologiques, à cause du caractère souterrain de plusieurs des sites proposés : des tunnels, des sous-sol (sous les Invalides par exemple, ou d’anciennes stations de métro), des sites atypiques, parfois avec une dimension historique. La réussite des projets dépendra d’une bonne maîtrise technique par les équipes qui répondront. Pourtant l’objectif de cet appel à projet n’est pas fondamentalement d’inventer et expérimenter de nouvelles solutions techniques : c’est plutôt de trouver de nouveaux usages et modèles pour des sites qui aujourd’hui paraissent atypiques, et qui demain correspondront à des situations de plus en plus communes parce que les villes entrent dans une nouvelle phase de transformation majeure. Elles ne cessent jamais de se transformer, mais nous entrons dans une phase de transformation qui n’a peut-être pas grand-chose à envier à l’époque du baron Haussmann !

Réinventer Paris — Les dessous de Paris

La démarche Réinventer Paris a été critiquée par le passé : par les architectes s’inquiétant de leur rémunération pour un investissement important en phase projet (pourtant ils se précipitent au côté des maîtres d’ouvrage pour profiter de l’opportunité de participer à des projets ambitieux et à forte visibilité), ou par des grincheux qui pointent les limites de l’exercice, notamment le risque d’uniformisation des solutions proposées (il est légitime de pointer ce risque). Il n’en demeure pas moins que ces démarches sont l’occasion de pousser des solutions, des modèles et des innovations à la lumière, dans des projets à l’échelle 0, en conditions réelles, qui seront visibles dans le monde entier. Tout autant que les solutions proposées sur le papier, ce sont les équipes, l’attention portée aux usages, l’irruption des services urbains dans l’offre des promoteurs, qui sont remarquables.

Je vous propose dans cet article de pointer quelques champs d’innovation d’intérêt dans le cadre de cet appel à projet, avant de poser la question du type d’innovation qui pourrait être mis en œuvre, de ses « qualités ». Mon option ? Réinventer Paris 2 doit permettre à quelques innovations de « faire le grand saut », de passer de l’expérimentation ou du marché de niche à une phase d’adoption grand public. Prêts à plonger ?

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Qu’est-ce qu’une innovation urbaine ?

Question récurrente à laquelle je vous propose d’apporter quelques éléments généraux et des idées d’application au contexte d’un projet urbain.

Éléments de théorie de l’innovation

La définition de l’innovation est parfois polémique, quand elle n’est pas tout simplement incomprise. La dimension la plus évidente est celle présentée dans le Manuel d’Oslo de l’OCDE. Il s’agit d’une “novation”, un procédé, une technique ou un modèle nouveau, qui est implémenté généralement par une entreprise, ou une organisation.

Cette définition est restrictive à plusieurs titres. D’abord elle s’applique essentiellement à des innovations technologiques et scientifiques et permet mal d’appréhender toutes les formes d’innovation aujourd’hui reconnues (notamment sur le service, l’organisation, le marketing, le modèle d’affaires ou la réponse à des besoins de la société). Le plus souvent on s’arrête à la dimension novatrice de l’innovation, particulièrement dans la technologie. Toute nouveauté sur un produit, issue de la R&D, ou nouvelle technologie est présentée, souvent à tort, comme une innovation. Le Manuel d’Oslo reconnaît implicitement néanmoins que l’innovation a une dimension de “réussite”. En effet une novation qui a été implémentée et qui perdure, c’est une “réussite”, et cela caractérise une réelle innovation.

Qu’est-ce que la réussite qui caractérise donc l’innovation ? Pour les économistes, les premiers à le théoriser, comme Franck Barnu, l’innovation est donc une novation qui trouve un marché, un débouché économique à travers sa commercialisation. C’est une définition plus précise, qui s’applique bien à des innovations sur le produit, l’organisation de l’entreprise, la commercialisation. Toutefois il convient de généraliser ce cadre restrictif pour appréhender toutes les formes d’innovation.

L’innovation est “une novation, une nouveauté qui crée de la valeur”. Pour qui l’innovation crée-t-elle de la valeur ? L’innovation peut et devrait créer de la valeur pour l’innovateur lui-même (songez à Apple et ses confortables revenus tirés d’innovation majeures sur ses produits et les modèles économiques associés), pour les usagers de l’innovation (songez aux clients d’Apple, qui en sont généralement assez satisfaits) et pour la société dans son ensemble aussi bien que pour l’écosystème qui l’a vue naître (en Europe nous avons parfois des doutes sur l’équité fiscale des pratiques d’Apple dans son modèle économique, les conditions de fabrication de ses produits ou bien la multiplication de produits technologiques fortement consommateurs d’énergie et de ressources naturelles, par exemple).

Application : définition de l’innovation dans le contexte d’un projet urbain

Je vous propose donc d’adapter la définition générale de l’innovation formulée précédemment au contexte d’un projet urbain : “l’innovation est une nouveauté qui crée de la valeur pour le projet lui-même (les porteurs de projet et les futurs bénéficiaires), pour la ville dans son ensemble, pour les habitants et les acteurs économiques ou sociaux du quartier en particulier”. Dans quel champs peut-on innover ? Il n’y a pas de limite, masi des classifications peuvent éclairer l’exploration. BPI France a publié 6 dimensions génériques de l’innovation dans son étude Innovation Nouvelle Génération (2015) qui lui a permis de remettre à plat son modèle d’évaluation des innovations (figure ci-dessous).

6 dimensions de l’innovation de Bpifrance — Source : Innovation Nouvelle Génération (Bpifrance)

La Ville de Paris a proposé de son côté (dans le cadre de Réinventer Paris 2) 9 défis concrets d’innovation pour les projets urbains. C’est un très bon cadre généralisable, pour l’essentiel, à des contextes similaires :

  • l’innovation dans le champ des usages ;
  • l’innovation sociale : s’adapter, anticiper les nouveaux modes de vie ;
  • l’innovation c’est la participation et la concertation ;
  • l’innovation c’est valoriser le patrimoine parisien ;
  • l’innovation c’est investir de nouveaux lieux et développer de nouveaux services ;
  • l’innovation au service de la résilience urbaine et l’efficacité énergétique ;
  • l’innovation au service de l’attractivité et du rayonnement de Paris ;
  • l’innovation pour faire mieux et plus vite ;
  • l’innovation au travers de modèles économiques viables.

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Comment qualifier les innovations urbaines ? Le “grand plongeon” !

Évaluer la maturité des innovations et leur impact

Chaque site, chaque quartier, ont leurs spécificités, et les attentes de chaque ville et propriétaire actuel de site sont certainement différentes, en matière de programmation et d’impacts sociétaux de l’innovation produite.

Toutefois les différentes démarches ont en commun de valoriser deux caractéristiques d’une innovation qui peuvent servir de point de repère :

— Sa maturité, et comment celle-ci évolue dans le cadre du projet d’une part (ce qui détermine son rayonnement, notamment à l’international) ;

Son impact sur le projet et le site où elle est mise en œuvre d’autre part (en termes économiques, environnementaux, sociétaux).

Nous pouvons alors classer les innovations proposées, dans le contexte de chaque projet, en fonction de ce qu’elles vont apporter à celui-ci, et du rayonnement qu’elles vont avoir pour la ville considérée.

Potentiel et impact d’une innovation pour un site Réinventer Paris 2 — Source : Ghislain Delabie (OuiShare)

L’impact local de l’innovation peut être apprécié selon des modèles d’analyse assez classiques, mais aussi tenir compte de toutes les externalités sociales et environnementales.

Le rayonnement d’une innovation, quant à lui, n’est pas tant lié au fait qu’elle serait « disruptive » ou spectaculaire, au contraire d’incrémentale ou locale, mais au fait que sa mise en œuvre dans le cadre d’une démarche du type Réinventer Paris va lui permettre de gagner en maturité, d’évoluer, d’être plus visible, reconnue comme étant valable. Sa mise en œuvre réussie (ou les évolutions qui auront été nécessaires), en conditions réelles, qu’elle soit source d’inspiration pour d’autres projets à travers le monde, voilà qui constitue le rayonnement d’une innovation urbaine.

L’un des enjeux majeurs, en particulier en termes d’impact social de l’innovation, c’est donc la capacité d’une innovation à « mûrir » grâce à sa mise en œuvre sur un projet spécifique. Comment identifier ces pépites ? Comment sélectionner et mettre en cohérence des innovations qui aient du sens dans le contexte spécifique d’un site ?

Privilégier les innovations qui connaîtront un “saut qualitatif”

“Le projet “Nouveaux cyles”, à Bobigny, permettra à Volumes d’expérimenter une extension de son modèle, d’ajouter une brique supplémentaire à la démarche FabCity Paris, de crédibiliser et rendre opérationnel la vision de villes productives, durables et fondées sur l’économie circulaire.”

Geoffrey Moore est depuis de nombreuses années une source d’inspiration pour les innovateurs qui cherchent à comprendre la manière dont les usages de leurs innovations se développent et croissent jusqu’à parfois devenir prévalents. Ses travaux tendent à montrer que les usages n’ont pas un profil linéaire, que l’adoption d’une pratique, d’une technologie ou d’une solution va être exponentielle, mais surtout que la condition en est bien souvent de franchir un cap difficile entre une adoption par une minorité investie (des innovateurs, des technologues, des activistes selon les cas), et une adoption par les influenceurs et précurseurs de la majorité des utilisateurs. Cette non-linéarité, qui se manifeste par un « chasm » — un gouffre — a des raisons très variées en fonction de la nature de l’innovation. Fondamentale, ce gouffre existe parce que les attentes d’activistes ou d’innovateurs ne sont pas les mêmes que celles du grand public, parce qu’une expérimentation à petite échelle n’a pas les mêmes contraintes techniques, économiques ou politiques qu’une implémentation en conditions réelles et à long terme, parce que le modèle économique, la gouvernance et la nature des acteurs nécessaires pour faire émerger un concept ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui pourront le populariser auprès du plus grand nombre.

Cycle de diffusion d’une nouvelle technologie ou d’une innovation — Geoffrey Moore

La principale vertu des grands appels à projet ouverts, c’est de permettre à des concepts, des modèles et des solutions de « faire le grand saut» (« cross the chasm » pour Geoffrey Moore), de franchir un seuil qualitatif qui non seulement les fasse connaître ou en démontre la pertinence, mais les rende transférables dans des villes, dans des projets et des contextes très larges, qui ne bénéficient pas de tous les moyens et de l’attention déployés pour une démarche Réinventer Paris (qui mobilise de nombreux partenaires et experts en phase de conception). Pour les innovations qui bénéficieront de cette transformation, l’effet de levier sera déterminant, et l’impact ira bien au-delà d’une réalisation sur un site, lui-même limité dans son extension.

“Nouveaux Cycles” — Ecoparc Ouest Bobigny (Source : groupement Pichet, Advento, Gautier Conquet, AGI2D, Écodev, OuiShare, Volumes, Veolia)

Ce raisonnement s’applique à tout type d’innovation, technologique, de modèle économique, sociale, de rupture ou incrémentale. Il permet d’identifier des innovations qui sont déjà suffisamment mûres pour être proposées sur un site à forte visibilité qui engage le rayonnement de la Ville, mais qui disposent d’un potentiel pour être révélées à travers cette démarche, et s’inscrire à cette occasion comme des innovations pour le plus grand nombre. Un exemple simplement : dans le cadre d’Inventons la Métropole du Grand Paris, nous avons proposé avec Volumes et Groupe Pichet le projet “Nouveaux Cycles” pour l’Eco Parc Ouest de Bobigny, en bordure de canal. Ce projet lauréat permettra à Volumes d’expérimenter une extension de son modèle, d’ajouter une brique supplémentaire à la démarche FabCity Paris, de crédibiliser et rendre opérationnel la vision de villes productives, durables et fondées sur l’économie circulaire.

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Pistes d’innovation et enjeux dans Réinventer Paris 2

“À l’échelle d’un site, l’impact sociétal ou environnemental d’une innovation peut être limité. Il convient toutefois de « factoriser » le potentiel que cette innovation soit reprise et développée à travers le monde”

Une source d’inspiration et de rayonnement international

OuiShare accompagne la Ville de Paris et ses partenaires pour faire émerger des innovations au service du bien commun

L’appel à projets Réinventer Paris 2 présente des caractéristiques très originales, de par la diversité des sites impliqués, la complexité technique, organisationnelle et économique de leur valorisation (notamment liée au caractère souterrain et aux infrastructures existantes), mais aussi leur potentiel d’innovation sociale aussi bien que technique. Pour plusieurs sites, le potentiel d’innovation dépasse le périmètre du site lui-même ou bien le rayonnement que l’innovation qui y sera proposée aura à l’échelle du quartier, de la Ville ou de la Métropole. C’est en particulier le cas de la dimension sociale, programmatique et d’usages de l’ensemble de ces innovations.

Sur la plupart des sites, ce qui sera mis en œuvre, démontré, validé (ou qui sera amené à évoluer et s’adapter) servira d’inspiration pour des déclinaisons en France et à travers le monde pour des lieux et infrastructures similaires. À l’échelle d’un site, l’impact sociétal ou environnemental d’une innovation peut être limité. Il convient toutefois de « factoriser » le potentiel que cette innovation soit reprise et développée à travers le monde à cause de la démonstration faite par ce premier projet à Paris. Suivent quelques exemples de champs d’applications où les innovations produites ont un potentiel démultiplicateur.

Transformer la ville pour l’adapter à l’époque

“Dans le contexte d’une ville comme Paris, creuser de nouveaux espaces ou de nouvelles liaisons est complexe et hasardeux. Exploiter ces volumes existants est une opportunité fantastique pour réaliser des projets ambitieux rapidement et à coût maîtrisé.”

La question de la reconversion (réversibilité) totale ou partielle de parcs de stationnement (au moins 4 sites concernés) qui n’ont pas été conçus pour une telle opération, concerne toutes les villes du monde qui cherchent à changer la place de l’automobile en ville, qui l’ont déjà amorcée et qui s’apprêtent à l’accélérer notamment à l’aide de toutes les applications des véhicules autonomes. À une autre échelle, l’usage des stations essence urbaines, dont le nombre décroît déjà depuis des années à cause d’évolutions du modèle économique, est utilement traité dans le cas des stations Champerret, dans la mesure où la volonté de sortir des carburants fossiles en ville dans les années qui viennent imposera nécessairement la mutation de ces lieux, pour certains aux caractéristiques très particulières. Les lieux souterrains de cet appel à projet ont souvent, dans leur histoire, été liés aux transports et à la mobilité dans la ville. Dans le contexte d’une ville comme Paris, creuser de nouveaux espaces ou de nouvelles liaisons est complexe et hasardeux. Exploiter ces volumes existants est une opportunité fantastique pour réaliser des projets ambitieux rapidement et à coût maîtrisé.

Les thématiques de logistique urbaine sont essentielles pour toutes les grandes villes qui ont l’ambition de la neutralité carbone à horizon 2050 ou au-delà, et qui toutes sont confrontées à la rareté et au coût prohibitif des surfaces / volumes au cœur des villes. Une dizaine de sites au moins présentent un potentiel d’expérimentation de solutions valorisant des infrastructures existantes, tunnels, citernes, entrepôts ou locaux techniques.

Rayonnement culturel

En matière culturelle, les lieux souterrains ont inspiré de longue date des projets pérennes tels que des discothèques et autres lieux festifs. Le caractère souterrain est souvent un avantage pour réduire les nuisances au voisinage, tout en étant naturellement adapté à ces activités. La nature des sites proposés dans réinventer Paris 2 invite ou impose davantage d’ambition et de créativité pour exploiter des lieux atypiques, proposer une offre culturelle ou festive plus inclusive et mieux intégrée dans le quartier, exploiter des volumes parfois hors-normes. Au-delà des contraintes techniques qui s’imposeront aux projets à dimension culturelle, artistique et festive, on ne peut ignorer le potentiel et la contrainte que représentent l’exploitation d’un lieu au caractère historique ou situé dans un quartier historique / classé au patrimoine de l’UNESCO.

Une conception à impact environnemental positif

En matière environnementale, outre l’exigence, pour l’ensemble des projets, d’atteindre des niveaux de performance technique (énergie, traitement des eaux, économie circulaire) exemplaires, plusieurs sites se prêtent à expérimenter et explorer des modes de végétalisation ou de production agricole peu envisagés jusqu’ici. Si la végétalisation des toits et des surfaces verticales est dans l’air du temps et dans de nombreux projets actuels, que peut-on réaliser dans des lieux partiellement couverts ou enterrés, voire entièrement souterrains ? Quel bénéfice écosystémique peut-on attendre à l’échelle de la ville ? Peut-on créer des modèles économiques pérennes autour de telles solutions ? Une nouvelle fois, ces problématiques et ces enjeux dépassent les sites eux-mêmes, qui offrent avant tout un potentiel d’exploration et de faire-valoir pour des premières mondiales.

Dans un contexte où la Ville de Paris décide de prendre son destin en main en développant une stratégie de neutralité carbone à horizon 2050 et assume un leadership au sein du C40, la conception des projets et leurs innovations comptent autant que les performances atteintes, car ils doivent préfigurer aujourd’hui et alimenter les visions que le territoire veut demain réaliser.

Le numérique au service de la Cité et de l’intérêt général

Enfin le numérique présente de nombreux défis qu’il convient de prendre en compte, car désormais ses impacts non seulement dans le monde physique mais à l’échelle du territoire, ne peuvent être ignorés. Les modèles de plateforme ont ouvert des possibilités nouvelles dans le domaine de la logistique et de la mobilité des personnes, tout en posant des problèmes d’impact sociétal, d’occupation de l’espace public et de modèle social, qui doivent être traités. Le numérique est un accélérateur de nouveaux modèles, qu’il s’agisse des circuits courts, des applications de l’Intelligence Artificielle à de nombreux processus et tâches existants, ou bien de la relation / de l’expérience des usagers d’un site ou d’un service. À l’échelle du bâtiment le numérique ne change pas seulement la gestion technique des fonctions de celui-ci par les professionnels (créant au passage de nouveaux métiers et de nouveaux acteurs), mais aussi la relation entre les usagers et les gestionnaires, l’expérience des usagers, et ouvre de nouvelles problématiques autour de la maîtrise des données, de la continuité de service qui doit être assurée (si un prestataire change, que deviennent les données, sont-elles toujours disponibles ?) et de l’équilibre entre protection de la vie privée des individus et exploitation des données pour améliorer les services urbains. Ces thématiques essentielles, nous les avons traitées avec de multiples partenaires dans l’exploration DataCités, débouchant sur des recommandations pratiques à l’usage de l’ensemble des acteurs de la ville. Enfin le numérique ouvre la voie à des modalités différentes de financement, de partage de la valeur et de suivi de la réalisation d’un projet. Les monnaies virtuelles, les applications de la BlockChain et des plateformes comme Ethereum offrent de nombreuses possibilités pour des projets à l’échelle locale.

De nouveaux modèles pour changer d’échelle ?

Parmi toutes les problématiques qui peuvent être adressées, toutes les innovations techniques et d’usages qui pourront être proposées et développées, une question essentielle devra être traitée par toutes les équipes : quels modèles économiques inventer et mettre en œuvre qui assurent la réussite de projets non à une échelle expérimentale pour un temps limité, mais sur le temps long, dans des conditions économiques normales. Ce défi ne peut être résolu, étonnamment, sans s’assurer que le projet et ses solutions techniques sont adaptés au lieu, au quartier, à ses habitants et usagers. La réussite du modèle économique, donc du projet sur chaque site, est indissociable de la qualité des usages qui se déploieront, de leur adéquation au lieu, de l’implication du voisinage. Dans la mesure où le niveau d’innovation sur chaque site est élevé, que la plupart d’entre eux sont atypiques, la prise de risque sur les usages et le modèle économique sera toujours présente, et essentielle dans l’évaluation comme dans la réussite du projet.

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Pour aller plus loin

La forte visibilité des démarches menées par Paris, la Métropole du Grand Paris, Bordeaux ou même le C40 à une échelle internationale pourrait laisser croire (à tort) que la seule méthode pour transformer nos villes est de reconstruire ou de construire en associant la collectivité et des acteurs privés selon le modèle de Réinventer Paris. Malgré tout l’intérêt de ces démarches, il n’en est évidemment rien. Quelques exemples pour poursuivre la discussion.

Samuel Roumeau et Clémentine Malgras publient aujourd’hui même les résultats de l’exploration Sharitories, qui a initié un réseau de 8 villes en Europe abritant des démarches collaboratives variées. Ce ne sont pas de grandes métropoles mais des “villes moyennes” qui prennent leur destin en main, et cela passe souvent par des initiatives citoyennes et/ou entrepreneuriales. Il est possible d’organiser des restitutions dans votre ville à l’avenir. Vous pouvez aussi nous retrouver à Lyon le 28 novembre pour une soirée dédiée.

Amsterdam a lancé la démarche Amsterdam Sharing City avec nos amis de ShareNL pour encourager et soutenir des démarches participatives et collaboratives contribuant à la qualité de vie et au rayonnement de la ville.

La ville de Gand a établi avec la P2P Foundation un “plan de transition vers les communs” ambitieux, qui documente 500 projets et intiatives qui “promeuvent l’usage de ressources et pratiques communes”. Le plan propose des méthodes pour développer de nouveaux services et communs urbains.

Nous organisons une trilogie de soirées consacrées aux « Les villes : une évolution à la croisée des chemins » les 28, 29 et 30 novembre prochains (inscription pour les 3 évènements avec le lien précédent). L’occasion idéale de nous rencontrer et d’échanger sur ces sujets.

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Les villes : une évolution à la croisée des chemins — 28, 29 & 30 novembre 2017 — Lyon

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Ghislain Delabie
Ouishare

Business model innovation, alternative & collaborative models for society Mobility connector @OuiShare Co-founder @LeLabosc @Fab_Mob Lecturer @ESTACA_twit