La politique du temps libre

Si je vous dis “Post-It”, vous me dites 3M !

Quentin Villot
OuiSpoon
5 min readMar 20, 2019

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La naissance du Post-It

3M est aujourd’hui une multinationale bien implantée qui fait plus de 20 milliards de chiffre d’affaire annuel et est propriétaire plus de 23 000 brevets différents. En grande partie grâce à sa politique des 15% de temps libre.

Créée en 1902, la Minnesota Mining and Manufacturing Company pensait exploiter une mine de coridon, matériau idéal pour faire du papier de verre. Sauf qu’il s’agissait en fait d’anorthosite, un minéral de faible valeur.

Les investisseurs ont dû réinjecter de l’argent pour maintenir l’entreprise à flot. Puis l’entreprise s’est installé à Saint Paul et c’est là qu’elle a développé certaines inventions clés dans sa réussite : le ruban de masquage (très utile quand on peint une pièce par exemple) et le scotch.

En 1948, en pleine après-guerre et alors que les entreprises sont extrêmement hiérarchiques et pratiquent le taylorisme, 3M lance son programme des 15% de temps libre. C’est la suite logique de son expérience passée et de la leçon qu’elle en a tirée : innover ou mourir.

En 1974, un des scientifiques de 3M fait une invention géniale lors de ses 15% de temps libre : le Post-It ! Arthur Fry était membre de la chorale de son église et en avait marre que son marque-page ne tienne pas dans son livre de chants. Il s’est alors dit que s’il pouvait appliquer un adhésif au dos d’un bout de papier, il pourrait créer le marque-page parfait. Le Post-It était né.

Comment ça marche ?

Donner du temps libre à ses salariés fait partie de l’ADN de 3M. On peut même dire que c’est une des clés de la stratégie commerciale de l’entreprise.

“C’est l’une des choses qui distingue 3M en tant que société innovante, en s’inscrivant dans cette culture qui consiste à donner à chacun de nos employés la possibilité de suivre son instinct pour tirer parti des opportunités qui s’offrent à lui,” dit Kurt Beinlich, l’un des directeurs techniques de 3M.

Le programme est implémenté de la façon suivante. Chaque employé de 3M peut consacrer 15% de son temps à la poursuite d’une chose qu’il a découverte pendant son temps de travail mais qu’il n’a pas eu le temps d’explorer davantage à ce moment.

Et une fois par an, environ 200 employés de divers départements de l’entreprise présentent les projets sur lesquels ils ont travaillé pendant leurs 15% de temps libre. A l’image des projets scientifiques présentés par de jeunes écoliers lors de “science fair” américains, les employés réalisent des posters en carton décrivant leur projet et passent la journée à côté de ceux-ci pour récolter les retours et les suggestions de leurs collègues et potentiellement trouver des co-collaborateurs.

Des résultats probants

Mise à l’épreuve du temps, cette répartition du temps de travail atypique a porté ses fruits et permis à l’entreprise de sortir plusieurs produits qui font aujourd’hui partie de ses best-sellers.

Ce modèle s’est avéré être une telle réussite qu’il a été repris par Hewlett-Packard et Google, qui a largement contribué à le populariser.

Chez Google, la part de temps libre est de 20% mais cela concerne uniquement les ingénieurs (hors personnel administratif). Grâce à cette règle, certains des produits de l’entreprise californienne ont vu le jour. Et pas des moindres : Google Earth, AdSense ou encore Gmail !

Quels bénéfices ?

Evidemment, quand un salarié, sur son temps libre, développe des produits comme Post-It ou Gmail, l’entreprise en tire d’importants bénéfices financiers. Mais ce n’est pas le seul bénéfice induit.

Il existe à ce sujet une anecdote extrêmement parlante. Dans les années 1970, de 1973 à 1976 pour être exact, Steve Wozniak n’a pas encore créé Apple et travaille chez Hewlett-Packard. En 1970, il a déjà créé son premier ordinateur qu’il appelle Soda Cream Computer et lors de ses années chez HP, il leur propose de construire un ordinateur portable. Il le fera 5 fois. Et à chaque fois l’entreprise refuse sa proposition. La suite, vous la connaissez.

Un des bénéfices de ce temps libre consacré au développement de projets annexes est le recrutement de personnes talentueuses. Le salaire ne fait pas tout — bien que les salariés de Google soient très bien payés — et ce que l’entreprise propose c’est de la liberté. Et la liberté peut être extrêmement attirante pour les bonnes personnes, qui sont en réalité souvent des personnes talentueuses qui ont également envie de travailler sur des projets personnels ou annexes.

Donner du temps libre aux salariés pour travailler sur des projets annexes a également un impact sur la productivité : elle incite les ingénieurs à travailler plus rapidement pour pouvoir dégager ces 20 % de temps de création personnelle. Évidemment, des mécanismes de contrôle de la qualité du travail évitent qu’ils ne le bâclent.

Cela peut-il marcher partout ?

Sur le papier, cette initiative prônée par 3M, Google ou HP semble idéale mais elle ne marche pas dans toutes les situations. De nombreuses entreprises ont essayé de mettre en place ce principe mais ont totalement échoué car elles se sont montrées trop frileuses pour accompagner le développement des nouvelles idées proposées par leurs salariés. Il est évident que ce genre d’initiative marche beaucoup mieux dans les entreprises où la compétitivité entre salariés est forte, c’est à dire dans celles où impressionner ses pairs est tout aussi important que l’innovation elle-même.

D’ailleurs Google a mis en place un système de peer reviews. L’ingénieur qui a développé sur son temps de travail une idée peut donc la proposer à ses collègues. Si elle leur paraît pertinente, elle devient un projet financé par l’entreprise. Mais, en la soumettant ainsi à l’opinion des autres, il joue sa réputation, ce qui l’incite à donner la priorité aux idées susceptibles d’intéresser l’entreprise. C’est donc un moyen de s’assurer que le temps libre des salariés est consacré à des innovations qui servent les desseins de l’entreprise, tout en leur permettant d’impressionner leurs pairs.

D’autres moyens d’engager vos salariés

Ce qu’il y a d’intéressant dans cette idée du temps libre offert aux salariés, c’est que c’est un moyen de les engager et c’est terriblement important aujourd’hui alors que le taux d’engagement des salariés en France est de 6%.

Je vous rassure, d’autres entreprises ont trouvé des idées tout aussi géniales pour stimuler la créativité de leurs salariés et les garder engagés :

  • tous les 7 ans, Stefan Sagmeister ferme son studio new-yorkais pour une année sabbatique et pour laisser le temps à ses employés de rajeunir et rafraîchir leur vision créative. Il en parle dans un Ted Talk ;
  • Hubspot laisse la possibilité à ses salariés d’intégrer une autre équipe que la leur pour une période donnée pour voir ce qu’ils font et comment ils travaillent ;
  • GitHub place chaque mois un de ses meilleurs développeurs au support technique. Cela leur permet de mieux prendre la mesure des problèmes, amène des réparations plus rapides et fait germer des idées innovantes ;
  • chez Microsoft, l’ancien bureau de Bill Gates a été aménagé en un endroit recelant de gadgets technologiques et auquel les employés peuvent avoir accès pour travailler sur des projets innovants.

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Quentin Villot
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