L’Europe —Introduction — Lundi

Philippe GUILLAUME
Outé l’Europe, Outé
16 min readNov 30, 2015

Outé l’Europe, outé…

Ils sont quatre. Deux vivent à Barcelone, cet observatoire des pays baignant dans la Méditerranée, une autre est à Londres, le bastion financier et le quatrième est en Algarve, à la proue sud-ouest de l’Europe, proue fragile mais dirigée vers les rivages de la réussite.

Le 9 mai,

Il fait beau, les fleurs sont en pleine floraison, les oiseaux sont heureux. Euphrosine est attirée par l’Hymne à la Joie, qui s’écoule de la fenêtre de son grand-père. Intriguée, elle demande à entrer.

Entends-tu, lui dit l’aïeul, ce superbe hymne ? C’est le dernier mouvement de la Neuvième symphonie de Ludwig von Beethoven et au cours duquel les chœurs interviennent pour chanter l’Ode à la joie de Friedrich von Schiller. Je l’écoute aujourd’hui car c’est la Journée de l’Europe et l’Hymne à la Joie est avec le drapeau bleu aux douze étoiles l’un des symboles de l’Europe.

Euphrosine veut en connaître davantage. Elle entend parler de cette Europe par les plus âgés et, principalement par la grand-mère espagnole de son amie d’enfance Albertine. Pour elle, l’Espagne, dont le reste de l’Europe n’accepte pas le Général Franco alors qu’il l’est aux Etats-Unis, est aux bans de l’Europe. Espagne blessée, Espagne humiliée par les Européens. Espagne qui entre dans l’Union européenne et se voit ainsi quasi purifiée par l’Europe. C’est très émouvant et fondamental dans les relations entre l’Espagne et l’Europe. Puis, sont venus les problèmes de l’installation d’un régime parlementaire avec sa dérive militaire que le Roi arrête, le développement économique difficile et la réapparition d’un régionalisme parfois meurtrier. Depuis lors, certes, il y a des problèmes importants mais ils sont certainement plus faciles à résoudre grâce à l’Union européenne. Sa foi en l’Europe est donc intacte.

Mais qu’en est-il des autres pays? L’Europe est au coeur de toutes les discussions, entre la montée des extrémismes, la peur de “perte d’identité”, les vagues migrantes… Leur famille est le plus pur produit de l’Europe. Euphrosine a son nono, belge qui vit en Algarve, et sa grand-mère française; son autre coté est Polonais, et vit a Londres. Depuis des centenaires, ses ancêtres se sont amusés à faire une compétition à qui aura le mélange de sang le plus original. Elle aime ses pays. Mais ses pays ont connu des périodes de troubles énormes. La roue tourne, comment aider ceux qui fuient leurs guerres intestines aujourd'hui, comme ses ancêtres ont été aidés dans le passé? D’ou viennent ces problèmes européens? Son unité a-t-elle un sens?

Reviens lundi et je t’expliquerai les premières notions sur l’Europe .

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Lundi,

L’été attend, l’automne s’impatiente. Euphrosine a, au début de l’année, déroulé un nouveau calendrier : 2016. Elle cherche le jour de son anniversaire pour mettre sa nouvelle robe écarlate qui se marie si bien avec ses cheveux châtains et ses yeux bleus. Un souvenir très puissant : ce Camino pris pour marcher jusqu’à Saint Jacques de Compostelle: rencontre d’Européens du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Rencontre d’Israéliens, de Coréens, d’Américains venus se baigner dans cette Europe de la pensée, dans celle de l’espoir. Une autre année des vacances au bord de la Méditerranée : une autre façon de vivre, de nouveaux amis, un climat moins contraignant et une richesse éblouissante. C’est l’Europe se dit-elle.

Ce jour-là elle rend visite à Nono, son grand-père. Il est heureux. Pourquoi demande-t-elle ? A cause de l’Europe.

Etonnée, elle lui dit que tout le monde pense que c’est la fin de l’Europe. Il y a trois ans c’est la crise économique, puis la Grèce et aujourd’hui les immigrés, les terroristes. Avec les copains nous disons que l’Europe est malade, l’Europe ne va pas bien, l’Europe va se déliter, l’euro n’aura pas une longue vie. Il y a une ambiance de fatigue de l’Europe, d’incompréhension de son rôle, de nostalgie de l’ancien système. En même temps, pas question de toucher aux acquis de l’Europe, à la liberté de circulation, à la sécurité des normes européennes, à la sphère grandissante du domaine juridique et, sans s’en rendre compte, à la paix européenne.

Quelles contradictions !

Mais c’est aussi la démonstration que « quelque chose » ne va pas.

La vie en Europe se réduit souvent à un « métro-boulot-dodo » peu réjouissant mais indispensable pour assurer le pain quotidien et un certain niveau de vie. Parmi les exclus du marché du travail, les chômeurs ont un petit revenu qui leur permet de vivre, les vieux ont une pension. C’est devenu morose, sans accroc. La télévision, dans chaque foyer, est sans souffle, mais sa qualité technique est bonne. Bref, tout est trop bien. Et l’Europe s’ennuie.

Et, Nono, je pense que tu es pour l’Europe. Alors je ne comprends pas.

Il lui répond : prends une feuille blanche et marque un point noir au centre : demande autour de toi de décrire la feuille et on te répondra en parlant de ce petit point noir sans dire un mot de la feuille blanche. L’Europe, aujourd’hui, est décrite comme le point noir et personne ne pense à la feuille blanche. Tâche de comprendre le vrai sens de l’Europe et ses réalisations massives et tu seras aussi heureuse que moi.

Nono se rapproche des quatre vingt dix ans. Son souvenir de la guerre et de ce qui a suivi est vif. Euphrosine est prête à dévorer sa mémoire. Elle s’assied confortablement face à Nono.

Raconte Nono.

Et Nono raconte.

Avant de commencer il emmène Euphrosine dans le jardin. Le jour de la signature du Traité de Rome créant la Communauté européenne, j’ai planté plusieurs arbres : un chêne pour sa force, un bouleau pour son élégance, un olivier car il nourrit et un pin toujours vert. Regarde-les maintenant. Ils ont grandi, ils sont beaux et leurs racines s’étendent dans tout le jardin. C’est cela l’Europe avec ses beaux troncs, sa verdure et ses racines profondes. Un ouragan ne les arracherait pas.

Certains ont voulu voir en l’Europe une tour de Babel, où tout serait unifié, géré par un centre, un peu comme l’Union soviétique. L’Europe est, au contraire, animé par l’esprit de la Pentecôte, donnant à chacun sa propre voie, son autonomie intellectuelle. C’est cela sa force. Elle est une réussite humaine jamais entreprise, jamais imaginée.

Pourquoi une Union Européenne ?

De 1914 à la fin de la guerre froide en 1989, entre 120 et 200 millions de morts horribles, inutiles et sauvages transforment l’Europe en une immense machine à tuer: une hémorragie horrible.

Comment en est-on arrivé à cela ?

C’est la certitude d’avoir raison qui conduit les bourgeoisies à déclencher la première folie : la Première guerre mondiale. C’est la certitude d’avoir raison jusqu’à la folie destructrice qui conduit les Prolétaires russes et allemands à déclencher la seconde guerre mondiale et à s’entre tuer.

Que reste-t-il de cela en 1945 ? Les fières bourgeoisies perdent leur superbe, leur pouvoir. Le mouvement socialiste d’avant la Première Guerre mondiale se délite.

Maintien de la II Internationale socialiste où chaque parti conserve sa liberté: ils gardent le nom de socialistes et restent regroupés dans la II° Internationale.

Regroupement derrière un parti, celui de l’U.R.S.S., qui dirige les autres. Ils fondent la III° Internationale et prennent le nom de communistes.

Création des faisceaux (fascisme) socialistes italiens par Mussolini. Pollués par le nationalisme : ils prennent le nom de fascistes révolutionnaires d’action internationale. Suivis par les Allemands qui prennent le nom de parti ouvrier allemand national-socialiste (NSDAP).

Tous ces régimes sont nettement d’origine populaires et se basent sur une direction totalitaire de leurs populations. Seuls les socialistes de la II° Internationale échappent à cette rigueur.

De plus, la Russie communiste, héritière de Byzance et l’Allemagne de l’Ordre teutonique, perpétuent la vieille querelle Rome/Byzance. C’est entre eux qu’existe la vraie fracture de l’Europe.

Cependant, la première bataille commence par une guerre civile en Espagne entre 1936 et 1939 avec des participations claires ou occultes de toutes les nations d’Europe et, plus particulièrement, les Soviétiques qui aident le Front populaire et les Allemands qui soutiennent le Général Franco.

Au même moment, un génocide a lieu au sein de l’empire russe : le nouveau régime, sorti indemne de la crise économique de 1929, exécute la petite bourgeoisie et les rebelles ukrainiens.

De son côté, Hitler reconstitue l’empire allemand : il unifie l’Allemagne, reprend les Suèdes et l’Autriche, pays du «Deutschtum” : il fonde le III° Reich allemand.

Euphrosine demande à Nono pourquoi Hitler commence ses guerres. Il y a, dit-il, une volonté allemande, reprise par Hitler, de rétablir une relation dominante de l’Allemagne, perdue par un armistice et une paix mal comprise dans une Allemagne qui ne se considère pas comme battue en 1918. De plus Hitler considère que l’Allemagne doit s’agrandir vers l’Est pour avoir un espace vital (Lebensraum)suffisant.

En 1939 la Russie et l’Allemagne signent le Pacte Ribbentrop –Molotov qui attribue aux deux co-signataires les pays situés entre eux. Peu après, l’Allemagne, puis, la Russie envahissent la Pologne. Les Russes annexent les Etats que les Allemands leur laissent.

L’Allemagne décide en 1940 de s’assurer le contrôle de la sortie de la Baltique, l’accès à la Mer du Nord (Anvers et Rotterdam) et l’accès au fer norvégien. Elle envahit la Belgique, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg et le nord de la France.

En 1941, l’Allemagne se lance dans une guerre contre la Russie pour prendre du territoire afin de pouvoir nourrir les Allemands. Elle perd la bataille à Stalingrad (1042/43)et, frustrée de ne pouvoir disposer du Lebensraum sibérien pour y déporter les juifs polonais et ukrainiens, décide de les tuer ainsi que les soldats russes prisonniers. Des millions sont ainsi massacrés dont beaucoup déjà amassés dans des camps.Ayant vécu en Allemagne pendant l’après-guerre, Nono se souvient de quelques rencontres troublantes. Un jour, en visite chez une veuve d’un grand industriel, elle a tenu à lui montrer un album de photos. On y voit clairement son mari avec le Chancelier Hitler, le Maréchal Göring et d’autres dignitaires venus visiter leur usine. On peut imaginer les soirées où se décident le futur de l’industrie allemande. On peut comprendre qu’un ministre ait prénommé son nouveau-né Adolphe, nouveau-né retrouvé 35 ans plus tard dans les salons de la bourgeoisie de Bonn aux côtés d’un fils dont le père avait été exécuté parce qu’il avait cherché à tuer le Chancelier Hitler. Un Secrétaire d’Etat, un Professeur d’université lui ont raconté les années passées en Belgique pendant la guerre. Ils avaient, en plus, fait une collection d’œuvres de peintres belges. Un jour, étant en déplacement officiel dans une des villes d’eau le long du Rhin, le Bourgmestre lui a montré une colline où les Américains ont emprisonnés des militaires allemands sans toit, sans eau, sans nourriture : ils en sont morts. Ils exécutaient un ordre du Général Eisenhower d’affamer les prisonniers de guerre. Un diplomate israélien, chargé de parler à des étudiants de la politique nazie vis-à-vis des juifs, s’est vu demandé par des étudiants ce qu’ils pouvaient faire pour réparer les dommages faits par leur père nazi. Il a retrouvé à Varsovie un Secrétaire d’Etat allemand qui, membre du parti NSDAP nazi et diplomate à l’ambassade d’Allemagne à Copenhague, transmettait aux juifs danois la liste de ceux qui devaient être arrêtés de façon à leur donner le temps de s’enfuir en Suède pendant la nuit. L’ambassadeur allemand à Tel Aviv, ancien membre de l’état major pendant la guerre, a suivi la guerre des Six jours pendant laquelle les Israéliens utilisaient les techniques de la Blitzkrieg.

Nono a bien connu l’ambassadeur italien à Santo Domingo qui portait au doigt la bague en fer des Italiens qui ont volontairement donné leur bague en or pour payer la guerre en Ethiopie. A Bonn, les anciens de l’armée de Rommel en Afrique du Nord et leurs alliés italiens se réunissaient annuellement.

Dès que l’Allemagne capitula le 8 mai 1945, le Gouverneur Militaire américain, le général Eisenhower, diffusa un «courrier urgent» dans toute la vaste zone qu’il commandait, faisant pour les civils allemands un crime punissable de mort le fait de nourrir des prisonniers. C’était un crime passible de mort même de rassembler de la nourriture à un endroit dans le but de la donner aux prisonniers … L’ordre, [traduit] en allemand, fut envoyé aux gouvernements des provinces, leur ordonnant de le transmettre immédiatement aux autorités locales. Des copies des ordres ont été récemment découvertes dans plusieurs villages près du Rhin … Le message [reproduit par Bacque dans son livre] disait entre autres: «… sous aucune circonstance, des approvisionnements en vivres ne doivent être rassemblés parmi les habitants du lieu dans le but de les donner aux prisonniers de guerre. Ceux qui violent ce commandement et même qui essayent de tourner cet ordre en permettant à quelque chose de parvenir aux prisonniers, se placent eux-mêmes en danger d’être abattus». James Bacque.

Les Américains entrent dans la guerre aux côtés des Britanniques contre l’Allemagne. La Russie devient leur alliée. L’Allemagne est battue par cette grande coalition. Les accords de Yalta et de Potsdam entre les vainqueurs reconnaissent aux Russes la frontière décrite à l’accord Ribbentrop-Molotov. La plupart des pays voisins de la Russie perdent du territoire et doivent le donner aux Russes. Cela a été fait sans demander leur accord et, de fait, s’ils sont parmi les vainqueurs, ils sont néanmoins traités en vaincus comme l’Allemagne.

Commence alors la dernière partie de cette guerre : la guerre froide. Deux camps, l’Atlantique et le Soviétique, se font face. Les affrontements ont lieu hors d’Europe : Corée, Moyen-Orient, Algérie, Angola, Cuba pour citer les principaux.

Tous ces carnages rendent les Européens fatigués de tant de morts. Aucune famille n’est épargnée. Seuls cinq Etats n’auront pas eu de troupes étrangères dans leur pays : le Royaume-Uni, l’Irlande, la Suède, la Suisse et le Portugal, ces quatre derniers déclarés neutres.

Nono raconte sa guerre : la présence ennemie armée dans les rues, les exactions de la police, les attaques, les nuits sans sommeil, la faim, le froid, l’horreur quotidienne, la mort des proches. Il n’en garde qu’un souvenir atroce. Il ferme les yeux et une grande tristesse s’imprègne sur son visage.

Il a ré-ouvert ses beaux yeux. Le sourire revient.

Il a un geste de tendresse car ses explications émeuvent terriblement Euphrosine. L’émotion est grande et ses lèvres sont serrées. Oui, on a eu raison de fermer ce livre des horreurs européennes, oui il faut créer par consentement mutuel, sans emploi de la force, une nouvelle Europe. Son sol ne sera plus souillé par le sang, l’herbe y poussera verte et belle. Mais les six Etats européens, qui seront les fondateurs de l’Union européenne, sont épuisés physiquement et moralement par cette guerre et ses monstruosités.

Le sage chinois, voyant un moustique sur son testicule, s’est rendu compte que tout ne peut être réglé par la force.

Euphrosine demande à Nono comment s’établissent les premières fondations de l’Union européenne.

Nono continue à expliquer l’Europe.

Sur ces débris le Vatican utilise son influence pour rétablir un climat de paix. Certes le Vatican avait condamné le nazisme et le communisme dans deux encycliques en 1937. Il faut maintenant tout reconstruire. Les principales idéologies existantes sont le libéralisme et le socialisme : aucune ne plait au Pape mais il en extrait certaines idées. Dans son message de Noël 1944, le pape Pie XII donne le coup d’envoi à une démocratie chrétienne porteuse des valeurs humanistes : dignité, liberté et égalité. Cette démocratie à construire aurait besoin du concours de l’Eglise, d’“une élite d’hommes spirituellement éminents et au caractère ferme”, de convictions chrétiennes solides. Des partis chrétiens se créent.

C’est un succès : ce sont Schumann, De Gasperi et Adenauer, l’Europe carolingienne, auxquels se joignent d’autres hommes, Spaak, Bech, Boutselaer, etc., qui vont s’entendre et créer une nouvelle Europe. L’enjeu est important : en effet, à l’ancienne entente entre l’Allemagne, l’Italie et la France pendant la guerre se substitue un nouvel accord, sur d’autres bases, avec d’autres personnes, avec d’autres convictions politiques mais aussi avec le poids de l’histoire millénaire entre ces trois Etats. Ainsi la France de 1945 a découvert qu’elle est l’alliée des Anglo-Américains et n‘est pas occupée mais jouera un rôle moteur dans la nouvelle Europe; l’Allemagne, battue militairement et politiquement, aux bans des nations à cause des atrocités hitlériennes, encore occupée par les Alliés, se voit offrir un siège de fondateur aux discussions européennes et, de ce fait, réintègre la famille européenne : elle cherchera à gagner la guerre économique; l’Italie, enfin, réussi à se faire accepter dans l’Europe en construction. Face à cela, déjà à Londres pendant la guerre, l’hostilité froide et séculaire entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg se transforme en une entente. Ils acceptent de s’intégrer au nouvel accord européen des trois autres pays. En créant le Benelux, ils deviennent même le guide à l’intégration européenne.

A l’inverse des accords internationaux existants, la principale innovation est la création d’une structure supranationale, démocratique, défenderesse des valeurs humanistes de dignité, liberté et égalité. Les Etats membres allaient donc ouvrir leurs livres les uns aux autres, partager leurs expériences et refuser ce repli nationaliste initiatrice de tant de guerres. Entre eux allait régner une ère de paix, ce qui n’excluait pas des opérations militaires en dehors de leurs frontières (Kenya, Indochine, Algérie, et, avec l’élargissement de l’Union : Angola et Falkland).

Telle est l’aventure incroyable de ces six hommes qui se serrent la main et boivent le même vin. L’atmosphère était encore lourde des échos de la guerre mais l’enthousiasme prévalait.

Ces six Etats ont été sérieusement épaulés par Jean Monnet, considéré comme un des pères de l’Europe. Dès 1943, ses projets pour l’Europe intègrent les exigences américaines concernant les suppressions des droits de douane et des contingentements européens, ainsi que la création d’une « unité économique européenne commune ». Il œuvrera sans relâche pour une Europe nouvelle.

De son côté, devant l’ampleur financier de la reconstruction du continent, le Secrétaire d’Etat américain, Général Marshall propose un plan d’aide, le plan Marshall, assorti d’une organisation où les pays membres échangent leurs informations et critiques mutuelles dans le domaine économique. (OECD devenu OCDE). Ces réunions fréquentes au sein de l’OECE ont brisé les méfiances séculaires entre les membres et sont les premières pousses du nouveau jardin européen. C’était une idée géniale.

Mais quel est l’enjeu? “Chaque Etat, seul, a le droit de faire des lois et, si quelque doute s’élevait, de les interpréter, de décider si la législation a été respectée, enfin, d’entrer en guerre, d’établir et d’offrir des conditions de paix ou d’accepter celles qui seraient offertes par l’ennemi” (Spinoza). C’est au démantèlement progressif de ces droits et à leur transmission aux Institutions européennes nouvellement créées que s’attèleront les Etats membres de l’Union. Cette décision, prise en temps de paix par des Etats volontaires, est incroyable. Elle s’oppose aux essais infructueux d’union tentés par Napoléon et Hitler par la voie des armes.

Drapeau de la CECA

C’est ainsi que six Etats forment une première union, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, — les deux industries les plus importantes à l’époque, — avec une structure supranationale et une liberté complète de circulation de ces marchandises. (1952). Nono se rappelle les images du premier train chargé de charbon et d’acier, traversant la frontière franco-allemande sans s’arrêter aux douanes. Les femmes n’en croyaient pas leurs yeux : après tant de guerres leurs enfants pourront entrevoir une possibilité de paix ! ce n’était pas banal.

Puis, devant le succès de cette organisation, on décide de franchir une étape suivante et c’est le Traité de Rome qui crée la Communauté européenne (1957). Il abolit les douanes à l’intérieur de l’Europe en créant un marché unique et permet la libre circulation des travailleurs. C’est une très importante étape.

L’Union européenne s’est ensuite élargie à d’autres Etats et a mieux assis ses fondements juridiques en signant de nouveaux traités dont les principaux sont l’Acte Unique européen (1986), les traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997), de Nice (2001), de Lisbonne (2007) et le Traité sur l’Union européenne (2010).

Pendant les années 1950/70 l’Europe a aussi été confrontée au démantèlement de son empire colonial en Asie et en Afrique. Cela a conduit à des accords de coopération entre l’Union et ces pays : aide technique et financière.

C’est en 1989 que la guerre froide cesse et que les tensions en Europe depuis 1914 prennent fin. 75 ans : c’est long et s’étend sur deux générations.

C’est à ce moment-là que les Etats de l’Europe de l’Est rompent leur alliance avec la Russie et se joignent à l’Union européenne.

L’Europe est, alors, presque complète. Il manque la Suisse, la Norvège et l’Islande.

Pendant ces 75 années, beaucoup de choses changent grâce à l’amélioration étonnante du niveau de vie. De nombreuses maladies sont éradiquées, la longévité moyenne de la population s’allonge au point de créer des problèmes pour le paiement des retraites, les règles morales se modifient, surtout depuis l’apparition de la pilule contraceptive pour les femmes, l’enseignement s’élargi à de plus larges couches de la population, les communications (automobiles, avions, téléphone, internet, etc.) deviennent accessibles à un très grand nombre d’habitants. Enfin, l’internet, Facebook et twitter deviennent des moyens de transmission des idées et des relations entre personnes aussi révolutionnaires que l’introduction de l’imprimerie.

Et, surtout, depuis la signature du Traité de Rome (1957), l’Europe de l’Ouest ne connait plus de guerre en Europe de l’Ouest.

Euphrosine comprend maintenant pourquoi cette Union européenne crée une zone de paix à nulle autre pareille.

Nono s’arrête.

Euphrosine regarde autour d’elle : depuis un siècle tout est bouleversé. Cette aristocratie terrienne dribblée par la bourgeoisie industrielle, ce monde socialiste qui hésite entre l’union des prolétaires de tous les pays et la solidarité au sein de chaque pays. Que de sang, de cris pour ? pour ? pour rien. Elle pleure silencieusement et prend les mains de Nono : alors, tu as vécu une partie importante de cette tragédie ?

Nono lui dit que demain viendra sa cousine Babka.

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