L’Europe — Mercredi

Philippe GUILLAUME
Outé l’Europe, Outé
8 min readDec 1, 2015

Mercredi….

Euphrosine voit sa curiosité en éveil. Après avoir écouté Nono décrire les motifs qui ont conduit à la fondation de l’Union européenne et à la description vivante par Babka des grands courants, elle revient voir son grand-père.

L’atmosphère est plus sévère car Nono va rapidement décrire les principaux organes de l’Union européenne. C’est technique mais important.

Nono commence.

Le principe fondateur et novateur de l’Union européenne est la construction supranationale à la tête de l’Union. A la différence des autres organisations, internationales, qui ne sont qu’une réunion d’Etats qui, éventuellement, donnent des directives, comme l’O.N.U., l’Union européenne est dotée d’un pouvoir autonome, au dessus des Etats. Comprends-tu, Euphrosine, ce que signifie un abandon de souveraineté ? La souveraineté désigne le droit exclusif d’exercer l’autorité politique sur une zone géographique ou un groupe de peuples. Abandonner une partie de celle-ci comporte, pour le gouvernement, le risque d’être tenu par ce pouvoir autonome à faire une politique qui n’est pas celle qu’il voudrait réaliser. C’est donc très important et il convient de bien comprendre le mécanisme de fonctionnement de ce pouvoir.

Ce pouvoir est constitué par un exécutif, la Commission, d’un législatif, le Parlement et le Conseil de l’Union et d’une Cour européenne de Justice. Dans le domaine monétaire, depuis le 1 janvier 1999, une union monétaire et une monnaie commune, l’euro, en remplacement des monnaies nationales, et une Banque centrale européenne sont crées. 17 des 28 membres de l’Union en font partie.

Enfin, il y a de nombreux accords dans différends domaines dont les plus marquants sont les accords sur la libre circulation des personnes (accord de Schengen), la Banque européenne d’investissements et les accords dans le domaine militaire (euro group, etc.).

La Commission.

C’est la Commission qui a le droit d’initiative en matière réglementaire. Le Conseil et le Parlement doivent donner leur accord sur ses propositions. Mais parfois c’est le Conseil qui donne l’impulsion.

Pour rendre à l’Union son souffle supranational il faudrait modifier quelques aspects de son fonctionnement. Tout d’abord, le Président de la Commission devrait être nommé par le Président de l’Union européenne et choisi de façon à avoir une majorité au Parlement.

De son côté, le Président de l’Union devrait, dans un avenir prochain, être élu par la population européenne. Ce sera un pas important qui sera difficile à franchir car il faudra trouver des moyens de faire campagne dans toute l’Europe, c’est à dire dans toutes ses langues. Ce n’est pas impossible mais difficile.

Les pouvoirs du Président de l’Union devraient être spécifiques à sa fonction: par exemple, la nomination du Président de la Commission, les principales nominations à la Commission, la Représentation de l’Union hors de l’Union.

A son tour, il reviendrait au Président de la Commission de former sa Commission en tenant compte des accords politiques de majorités. Cela supprimera l’usage actuel où chaque pays désigne son commissaire en fonctions de critères nationaux.

La formation de partis européens qui remplaceraient les partis nationaux donnerait aux élections leur vrai enjeu : l’Europe. La Commission, formée de membres d’une même sensibilité politique, pourra être plus efficace.

A l’inverse de la tradition américaine, la Commission devrait suivre la tradition européenne et ne pas se considérer nommée pour la législature. Un vote de défiance constructif devrait permettre la formation d’une nouvelle Commission qui aurait la confiance du Parlement et du Conseil des Ministres.

Enfin, la Commission est un organe exécutif qui ne doit pas être élu : aucune constitution n’oblige les ministres à être élus à leur fonction car cela reviendrait à devoir organiser des élections à chaque changement de ministre.

Il faut se rendre compte de l’importance de l’ego pour tous ceux qui ont une charge exécutive dans l’Union : à chaque parcelle de pouvoir européen correspond un abandon de pouvoir au niveau national. Et pour les nationaux, cela fait mal. De chef de gouvernement on devient, peu à peu, une sorte de gouverneur de province. Et pour se rattraper, on fait des gamineries comme Helmut Schmidt et Valery Giscard d’Estaing qui faisaient concours de celui qui parlait le meilleur anglais ou de celui dont l’avion partirait le premier après une réunion.

Mais,il n’y a pas que l’ego. Pour un pays comme la France, l’appartenance à l’Union a certes des avantages énormes. Mais il y a un certain gallicanisme qui cherche à supprimer ou réduire le rôle de la Commission. C’est ainsi qu’à l’automne 1974, le système économique mondial était à la recherche d’un nouvel équilibre à la suite de la décision américaine de décrocher le dollar de l’or. La France a saisi cette occasion pour proposer une organisation internationale, donc sans la Commission, pour gérer tous les aspects internationaux non couverts par le Traité de Rome. Nono se souvient d’avoir, avec son ambassadeur, expliqué aux ministres belges venus à Paris l’enjeu de cette proposition. Le repas qui a suivi à l’Elysée a été l’occasion d’un violent échange de vues et les Belges furent priés de faire de nouvelles propositions. Cela fut fait et c’est devenu l’embryon de l’organisation européenne actuelle de diplomatie. Quelques semaines plus tard le Royaume Uni et les Etats scandinaves entraient dans l’Union : la France avait voulu les mettre devant le fait acompli.

Le Conseil de l’Union européenne.

Face à la Commission, le Conseil de l’Union européenne représente les Etats membres. Il se réunit chaque semaine au niveau des représentants permanents et, irrégulièrement, au niveau des Ministres ayant un problème particulier dans leur compétence (agriculture, communications, etc.). De fait, son fonctionnement s’apparente à celui du Bundesrat allemand, composé de délégués des Länder. Le Conseil se réunit aussi avec les Ministres des Affaires étrangères pour les problèmes plus généraux.

Le Conseil européen.

Le Conseil européen est formé des Chefs de gouvernement et d’Etat ainsi que du Président du Conseil européen et le Président de la Commission européenne. Il définit les orientations et les priorités politiques générales de l’Union européenne. N’étant pas l’une des institutions législatives de l’Union européenne, il ne prend pas part aux négociations sur la législation de l’Union ni à l’adoption de celle-ci

Le Parlement.

Le Parlement manque de visibilité. Il est étonnant de noter que l’Union manquerait aux dires de certains de crédibilité démocratique alors qu’une très faible attention est donnée aux débats importants qui se déroulent au Parlement.

Le faible intérêt de l’opinion publique pour le Parlement est aussi dû au fait qu’il contrôle un budget très étroit, à peine 1% de la richesse de l’Union. Un élargissement du budget ne serait faisable qu’en transférant à la Commission des compétences nationales comme l’armée, la sécurité sociale ou l’éducation.

Il revient aux journalistes, qui forment le relai entre les parlementaires et l’opinion publique, de suivre les débats du Parlement. Une grande étape vers la transparence de son fonctionnement serait franchie en supprimant les sessions à Strasbourg. Les journalistes pourront, alors, maintenir un contact étroit avec les députés lors des séances plénières qui se tiendraient à Bruxelles. Refuser le transfert de toutes les sessions du Parlement à Bruxelles c’est refuser un fonctionnement normal de la démocratie.

Administration.

Ecoute Euphrosine, j’ai beaucoup réfléchi à la question lors de mes années au ministère, et discuté autour de moi. Il a beaucoup de bonnes choses, mais d’autres que je modifierais.

Au niveau administratif, les fonctionnaires ne pourraient exercer leurs fonctions au sein de la Commission plus que, par exemple, quinze ans. Revenus dans leurs ministères, ils y formeront un corps d’agents rompus aux affaires européennes et en harmonie avec les mêmes ministères dans les autres Etats membres. C’est ainsi que, petit à petit, les décisions prises à Bruxelles seront exécutées dans le même esprit à travers l’Union. Inversement, c’est grâce à leur connaissance des rouages de la Commission que ces mêmes fonctionnaires pourront plus facilement faire des propositions d’amélioration de la réglementation européenne.

Un pas supplémentaire pourrait être franchi en créant une école pour les fonctionnaires nationaux. Ce serait des sessions courtes, d’une ou deux semaines, pendant lesquelles les fonctionnaires de la Commission viendraient expliquer le fonctionnement de leur secteur. En dehors de l’aspect purement éducatif, ces cours permettraient aux fonctionnaires de chaque pays à apprendre à se connaître. L’hémicycle de Strasbourg, rendu libre par le regroupement des activités du Parlement à Bruxelles, est un lieu idéal.

Fonctionnement de l’Union européenne

Enfin, l’Union européenne est en perpétuelle construction et, à chaque étape, on considère qu’il faut un nouveau traité pour fixer les buts et les limites de la nouvelle étape. Ne serait-il pas plus simple de créer une sorte de canevas qui guiderait les améliorations futures. Il faut éviter le mot de constitution qui irrite, il faut éviter un traité aux allures constitutionnelles.

Rédigeons ensemble un texte qui reprendrait les éléments suivants : les grands principes de l’Union (déclinaison des libertés), les buts recherchés (marché unique, euro, politiques économiques mieux coordonnées, politique générale commune, etc.). Ensuite, une liste des organes de l’Union avec les grandes lignes de leurs fonctions. Il faudra, surtout, énumérer les différentes majorités nécessaires pour l’adoption de nouvelles règles dans chaque domaine.

Cette liste permettra d’éviter de créer chaque fois un nouveau traité et de modifier l’ordre existant par petites directives. On pourrait demander à un groupe de juristes de rassembler les textes existants dans des codes, ce qui en faciliterait la lecture. Ensuite, si l’entrée dans l’Union d’un nouveau membre reste soumis à un accord à l’unanimité, il faudrait prévoir la méthode à suivre pour quitter ou être expulsé de l’Union.

Ce canevas, rédigé et adopté par consensus, n’aurait pas le caractère prégnant d’un nouveau traité à faire approuver par certains pays par référendum, mais, par le seul poids de son existence, il servirait de modus vivendi. De plus, au fil de l’expérience, ce canevas pourra évoluer sans problème et sans irritation. Après tout, le Royaume-Uni a un régime parlementaire mais pas de constitution.

Dans ce même ordre d’idées, on pourrait mettre en route des pratiques qui ne seraient pas sanctionnés par des textes. Par exemple, pourquoi ne pas prévoir une certaine forme de rotation entre fonctionnaires nationaux d’un pays avec ceux d’un autre ? Cela donnerait du sang neuf dans les administrations et, à la longue, créerait une expérience européenne commune. Cette pratique conforterait l’européanisation des traditions administratives commencée avec l’envoi de fonctionnaires à la Commission.

Euphrosine remercie son Nono pour cet exposé court et partage ses propositions d’amélioration du fonctionnement de l’Union.

Nono lui répond que le lendemain viendra son neveu Piet. Tu verras qu’il a l’âme plus à gauche et donnera ses idées sur le fonctionnement de l’Europe.

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