L’Europe — Vendredi

Philippe GUILLAUME
Outé l’Europe, Outé
7 min readDec 1, 2015

Vendredi…

C’est Lars qui accueille Euphrosine. Nono est aussi présent. Avec Lars, c’est une Europe septentrionale, avec sa longue tradition Viking, ses relations aux quatre coins du globe qui donne une autre perception de la réalité. L’harmonie règne dans la famille. Nono propose que Lars donne son avis sur les relations extérieures de l’Union européenne. Lars accepte car il connaît bien le secteur.

Et Lars commence.

Hors de l’Europe, l’Union européenne a-t-elle une présence ?

A la célèbre question de Kissinger « quel est le numéro de téléphone de l’Europe ? », la réponse reste hésitante : on sait maintenant que c’est un numéro de Bruxelles et non de Berlin, Paris ou Londres. C’est beaucoup et c’est beaucoup trop peu. Beaucoup car cela signifie une volonté de politique étrangère commune qui tente de se mettre en place. Trop peu car cette politique se heurte constamment aux egos des dirigeants nationaux et à la crainte de leurs électeurs de ne plus connaître leurs dirigeants.

Certes, il est difficile de proposer aux chefs de gouvernement de réduire, voire supprimer leur présence sur la scène internationale. Mais, si l’Europe doit se faire pour survivre, il faut aussi unir ses forces et ne parler que d’une seule voix.

Nous touchons maintenant à un enjeu grave : c’est le transfert des pouvoirs régaliens à la Commission : Justice, Défense, Intérieur, Finances et droit de battre monnaie, Affaires étrangères. Ces pouvoirs sont déjà transféré par morceaux et laissent souvent aux pouvoirs nationaux une partie de ces pouvoirs. Citons comme exemples : les accords de Schengen sur la libre circulation des personnes, l’Eurocorps dans le domaine militaire, la présence diplomatique de la Commission à l’étranger, le contrôle du budget, la Banque centrale européenne et les accords en matière juridique. Il faudrait, bien sûr, un transfert plus complet des pouvoirs régaliens.

L’histoire récente, connue du public ou pas connue, regorge de récits d’Etats tiers jouant un pays contre l’autre au grand dam de chacun. C’est ainsi que Nono a appris en étant à Paris pendant la guerre froide que les Français avaient placé en Alsace des missiles à moyenne portée. Ils n’étaient pas dirigés contre les pays du Pacte de Varsovie mais contre les Allemands ! Les diplomaties russes, américaines et chinoises ont été particulièrement actives pour utiliser un Etat membre contre l’autre pour aboutir à leurs demandes. Lorsqu’elles sont mécontentes des décisions communautaires, elles n’hésitent pas à prendre des sanctions qui touchent les intérêts des seuls Etats qui sont les bénéficiaires majeurs de ces politiques. Ayons donc une attitude commune.

La diplomatie.

Le premier domaine est celui de la politique étrangère. L’ambassadeur est, avant tout, un lien juridique reconnu et officiel entre pays accréditant et pays accréditaire. A ce titre, il lui revient de représenter son Etat, de protéger ses intérêts, voire de négocier. Il lui revient aussi de s’informer de la politique de l’Etat accréditaire et de promouvoir les relations amicales entre les deux Etats. Le rôle est donc très important et assure la cohésion des relations internationales.

Récemment, en 2011, on a mis sur pied un corps diplomatique européen avec une direction européenne. Mais la tentation des Etats nationaux de continuer leur politique est très forte.

Ces Etats ont plusieurs outils que la diplomatie européenne n’a pas encore maitrisés. Tout d’abord, il y a une homogénéité intellectuelle naturelle entre les diplomates nationaux qui est le fruit de siècles de diplomatie. Ensuite, ces différents ministères conservent jalousement leurs archives, laissant à la diplomatie européenne le soin de constituer les siennes. On imagine combien celles des différents corps diplomatiques recèlent d’informations, voire de décisions. Mises en commun, elles risquent d’avoir un effet explosif car elles dévoileraient les rivalités entre européens.

Il est donc impératif de mettre sur pied cette diplomatie européenne en exténuant le plus rapidement possible les initiatives nationales. La fermeture des ambassades nationales, supprimant ainsi les moyens d’information des Etats, serait un pas décisif, difficile à admettre, mais indispensable. Cette fermeture devrait se faire par la mise sur pied d’un organe très puissant pour gérer la politique étrangère commune.

Cette administration doit évidemment assumer le rôle plénier d’un ministère traditionnel des Affaires étrangères. Elle doit, à cet effet veiller à ce que les intérêts d’aucun pays membre ne soient négligés. Chacun, dans l’Union, doit se reconnaître dans la politique décidée. Il y a donc, en plus, un effort important d’information du public qui doit être instillé pour faire ressortir le bien-fondé de cette politique. Cependant, elle ne doit pas être une addition de politiques nationales mais l’expression d’une puissance européenne.

Quelques grandes lignes de cette politique extérieure devraient être définies et approuvées par le Conseil et le Parlement. Voici quelques lignes :

  • l’Europe devrait participer d’une façon permanente aux grandes décisions mondiales. Pour y parvenir, il faudrait, pour chaque question, établir le point de vue européen et, ensuite, le faire connaître.
  • vis-à-vis de la Russie, elle doit montrer une attitude non agressive mais ferme, attitude suivie par tous les Etats membres.
  • Vis-à-vis des pays à développement plus lent, l’Europe doit cesser de poursuivre cette politique néo-colonialiste qui voudrait que chaque Etat devienne démocratique. Il y a 500 ans cette même Europe a voulu christianiser ces mêmes Etats avec les mêmes raisonnements. Ayons des relations normales d’Etat à Etat.
  • La politique d’infiltration, en Europe et dans le monde, de la Chine doit bénéficier de la meilleure attention critique.
  • Avec le monde islamique, la tranquillité ne reviendra que lorsque la peur aura changé de camp. Cela implique une meilleure organisation de la sécurité par un élargissement des compétences et des méthodes de travail d’Interpol et un échange organisé des informations des services de renseignement. Cela pourrait déboucher sur la mise sur pied d’un organisme comme la CIA américaine mais avec les méthodes européennes de recherche de renseignements basées traditionnellement sur de relations personnelles et non uniquement sur des ordinateurs.

Or la diplomatie européenne, pour le moment, ne fait que réagir aux événements. C’est déjà beaucoup mais très insuffisant. Elle devrait prendre des initiatives avec une résonance et une influence mondiale. Par exemple, pourquoi ne pas proposer un traité international sur l’exercice des religions. Signé par les gouvernements et les chefs religieux, il réglerait les droits et devoirs des religions entre elles et, en particulier, lorsque une religion veut établir des lieux de culte sur le territoire d’une autre religion.

On pourrait proposer la création d’un centre entre l’Union européenne, les Etats-Unis et la Chine dans les domaines économiques, politiques et militaires. Une sorte de mini Conseil de sécurité réservé aux trois puissances principales et qui se réunirait souvent.

L’armée.

Le deuxième domaine est celui des forces militaires. La tradition militaire des pays européens est une subordination des forces armées au gouvernement. Pour éviter que ces armées ne deviennent trop puissantes, il leur est interdit de posséder l’agriculture et les usines de fabrication des armements nécessaires à son fonctionnement.

Ensuite, la réalisation d’une politique militaire européenne cohérente implique un commissaire européen de la défense. Face à celui-ci, un état-major européen, remplaçant les états-majors nationaux, chargé de la gestion du personnel et de l’équipement militaires et la conduite de toute action militaire sous l’autorité du commissaire.

Une armée européenne implique nécessairement un budget européen de la défense. Celui-ci devra être adopté, annuellement, par les instances communautaires.

Il faut admettre que les armées actuelles, éparpillées, ne sont guère efficaces et coûtent cher. Elles n’ont pas le même équipement. Pour toute opération elles ont besoin du soutien logistique américain, ce qui donne à Washington un pouvoir de décision déterminant qui ne s’exerce pas nécessairement dans l’intérêt de l’Europe. Les unités européennes mises sur pied sont un bon début. Cette force militaire serait non seulement le bras armé de la politique extérieure européenne mais aussi un facteur très important de l’unification européenne. Elle aurait, bien entendu, le contrôle des armes nucléaires européennes. Elle s’inscrirait dans la ligne du défunt projet de Communauté européenne de défense qui avait été négocié entre les Six pays fondateurs. Au dernier moment, la France qui terminait sa guerre en Indochine pour recommencer en Algérie, n’était pas prête à accepter une armée européenne. Nono se souvient d’un déjeuner où le Maréchal Juin avait dit que jamais un soldat français n’obéirait à un sergent allemand : on était loin de l’esprit européen.

Le commerce extérieur.

Le commerce extérieur ressort du domaine exclusif de l’Union. L’article 113 (re-numéroté 133) du Traité de Rome est très clair sur ce point. A première vue cette compétence est indiscutée. La réalité est plus nuancée et, pour obtenir la pleine matérialisation de cette compétence certaines modifications devraient être mises en place. Ce ne sera pas une opération simple car il faudrait que les ministres nationaux soient sourds aux demandes de leurs exportateurs.

Une première façon d’enrayer cette nationalisation rampante du commerce extérieur est d’interdire aux Etats de signer des accords économiques qui ne sont que des accords commerciaux déguisés. Il reviendrait à la Commission de veiller à cela.

Ensuite, il faudrait créer un organe européen de garantie à l’exportation et fermer les organes nationaux. Il s’agit essentiellement de garantir la bonne fin politique d’un contrat. C’est différent d’une garantie par une compagnie d’assurance qui ne garantit que la solvabilité de l’acquéreur. Les conditions d’assurances seront alors harmonisées.

Une autre façon de créer des liens économiques avec des pays tiers est la coopération au développement. Les accords au niveau national devraient être remplacés par des accords entre la Commission et chaque Etat récipiendaire : cela évitera aussi que les Etats récipiendaires ne jouent un Etat contre l’autre.

Ces mesures réduiraient le braconnage intensif qui sévit dans le domaine du commerce extérieur. Enfin, on pourrait encourager des missions économiques européennes dans les autres Etats du monde.

Euphrosine remercie Lars pour son exposé clair et ses suggestions de développement des relations de l’Union européenne avec l’étranger. Elle se rend compte que le sujet est très sensible mais déterminant pour l’Europe.

Lars quitte la réunion en remerciant Nono pour cette occasion d’expliquer ce qu’il avait à cœur.

--

--