Récit de Pierre — Dimanche 8 au Mardi 10

Loïc CHOLLIER
Oxygen Catana 50
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5 min readApr 12, 2018

Dimanche 8 avril 7h50 heure locale, 16h50 France. Ça y est, à 6h53 nous étions dans le chenal de sortie de Marina Del Rey à LA.

Tout le monde est sorti de sa cabine de son plein gré vers les 6h30. Pas besoin de battre le rappel. Le jour se levait, les premiers bateaux touristiques de pêche commençaient à sortir.

Guy a frotté les semelles de nos chaussures sur l’évier : elles ne devraient plus connaître la terre ferme avant un moment.

Un dernier coup de jet sur le pont. Tout le monde est attentif. On fait gaffe aux moindres remarques du capitaine. Je suis enthousiaste, après le chenal il n’y aura plus rien que 3000 milles de mer. Isabelle est à la barre.

On cale le pilote et le compas : 10/15° d’écarts et sur l’écran le bateau marche à l’envers. Guy enlève un câble stocké à proximité du capteur. Tout rentre dans l’ordre. Claude semble intimidée.

Ciel bleu, sur la digue de rochers côté ouest sont alignés en rang serré des centaines d’oiseaux bien plus gros que ceux de Méditerranée : des pélicans, des espèces de hérons, des cormorans. Les cailloux sont couverts de leurs chiures.

Dès la sortie, sans vent, une houle ouest soulève le bateau. Grég aperçoit tout de suite les premiers dauphins, et même quelques instants plus tard, furtivement une masse noire qui émerge à fleur d’eau avant de disparaître sans doute une baleine.

8h19 on lève la grand-voile. En principe c’est fait pour 3 semaines, 17 jours me dit le capitaine… On verra bien. On marche plein sud. A 8h39 de nouveau un gros dauphin fait un bout de surf avec nous.

La veille, en 24h, un rayon de quelques km a suffi pour nous montrer que nous étions en Californie. Claude un vu un groupe de dames mures très extraverties, certaines avec des bigoudis, jacasser et rigoler tandis qu’elles se faisaient faire en même temps les ongles des mains et des pieds devant leurs Porsches qui les attendaient sagement dans le parking.

Tout est plus gros plus grand que chez nous, mis à part peut-être les bateaux.

Le port est plein d’otaries vautrées les unes sur les autres, sur les pannes, en tas comme des gros sacs à patates. Elles se chauffent au soleil et de temps en temps l’une d’elle lève le museau pour râler parce que l’autre l’écrabouille et finit par tomber dans l’eau comme une masse. Avec Grég on s’est approché suffisamment pour sentir leur puissante pestilence. Une vraie infection. La nuit on les entend aboyer dans le silence, rappelant le temps des âges farouches.

Autre cliché californien : la start-up. On y a eu droit ! devant Oxygen un radeau étrange avec 2 écrans plats sur chaque côté du bateau. En fait des écrans led de bien 60 m2 chacun. L’idée est de projeter des pubs et de les balader sur les zones de grandes fréquentations. Il reste de sérieuses mises au point à faire. La prise au vent que représente les écrans n’a pas été considérée, et je crois que les jeunes créateurs ont eu de belles frayeurs. On a eu de long débats pour savoir si le radeau devait se transformer en trimaran, s’il fallait envisager des moteurs d’étraves pour résoudre le problème.

Les 5 premières heures se sont faites au moteur. Le repas fut pénible : on a du s’interrompre deux fois pour s’extasier sur des bancs de dauphins curieux venus voir à quoi on ressemblait de près.

Le vent se levant, on sort le génois et c’est parti. C’est même un peu trop parti. Le vent monte rapidement jusqu’à des trente nœuds et la houle de travers, tortille Oxygen et nous aussi. On essaie quelques trucs : prendre un ris, rentrer le génois, sortir la trinquette, au final on laisse le génois un peu enroulé. Le soir venu certains se sentent tout chose… Beaucoup choisissent la position allongée au fonds de sa bannette. La nuit tombe dans ces circonstances, on oublie de manger, les quarts s’organisent tacitement avec les valides.

Votre serviteur en pleine nuit à même pris une sérieuse gerbule alors et d’une qu’il n’avait rien mangé et de deux qu’il ne se rappelle pas avoir été victime de ça depuis très longtemps. Le bon côté des choses c’est qu’on avance. En 36 heures on aura taillé 300 milles. On se prend à rêver, on va arriver dans 2 semaines.

La journée du lundi 9 avril est un peu mitigée. Cette foutue houle de travers est toujours là. Le vent s’est un peu calmé, mais l’allure reste inconfortable. Les vagues sont grosses, difficile de dire leur taille. Le bateau a 2 mètres de hauteur et elles semblent nous dépasser d’un bon mètre cinquante. Il fait beau mais ça caille un peu. Trop tôt pour les tee shirts.

Les prévisions météos sont justes, petit à petit le vent se calme et passe à l’arrière. On reprend de l’appétit. On organise des vrais quarts et la nuit s’écoule sereinement.

Le matin du mardi 10 est un rêve. Les vagues assagies nous poussent doucement, le vent est passé à l’arrière, la température monte. Guy nous annonce 300 milles au compteur. Petit déj sur la plage arrière à regarder le soleil monter, à discuter de tout de rien et même de politique. Il vaut donc mieux monter, enfin le spi. Incroyable, la drisse glisse avec entrain et facilité le long du mât grâce à une petite poulie miraculeuse dénichée par Guy au Marin en Martinique. Un vrai bonheur, on le monterait et le descendrait par plaisir.

Oxygen file souvent à bien 10 nœuds, avec un vent qui oscille entre 17 et 22 nœuds. Un peu de stress quant à l’idée de passer une nuit sans lune avec cette grosse bulle de 180 m2 (un S4 de chez NORTH) qui nous aspire. On la voit, se tortiller d’un côté à l’autre du bateau comme si elle cherchait à se faire la malle. Du coup, on cale OXYGEN franchement vent arrière et tout se calme.

La nuit très noire, fut d’une sérénité reposante avec pourtant une belle moyenne de 10 nœuds entre 20h et 4 heures. C’est lorsqu’Isa prenne son quart vers 4H30, que le vent tombe et notre moyenne aussi.

Mais cela nous a offert un matin lumineux style premier matin du monde comme dans les images que distribuent les témoins de Jéhovah pour dire qu’avant c’était vachement bien.

La journée a tenu les promesses du matin, teeshirt, farniente, lecture sans limite, cuisine d’été, sieste, on se refait une beauté, Claude me tond à l’avant du bateau et Grégoire y passe aussi.
Il parait que je ressemble au héros de Breaking bad…

Et puis, à la lecture de la météo, le vent s’annonce avec remontée en puissance et réorientation, cela nous incite à ranger notre belle voile et à dérouler le génois. Tout cela dans une sérénité incroyable, je n’ai même pas eu le temps de sortir de ma douche que tout était plié.

Nous voilà quittant un peu notre route directe, laissant gronder le vent pour le retrouver demain.

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