Une ville à vivre — Emmanuel Javal, cofondateur Le Grand Réservoir

Cap Digital
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9 min readDec 5, 2018

— Cet article fait partie du dossier de veille sur la construction et l’aménagement de la Ville Durable. Retrouvez l’édito et les autres interviews ici et retrouvez le dossier complet ici !

Après ses débuts dans le secteur des médias, puis dans les nouvelles technologies, c’est vers l’immobilier qu’Emmanuel Javal s’est tourné. En alliant ses compétences de communicant et sa connaissance des nouvelles technologies, il repense avec Le Grand Réservoir la façon d’occuper les espaces commerciaux. Les lieux de commerce deviennent des lieux d’expression, le dialogue et l’humain sont remis au centre des discussions. Il nous expose sa vision du secteur et des changements immanquables à venir.

J’ai commencé ma carrière dans les médias, j’ai travaillé au sein du groupe Canal +. Mon associé, Olivier Pluquet, a fait une longue carrière dans la publicité, au sein du groupe Havas. C’est le fondement de nos deux métiers, raconter une histoire, qui nous a réunis : une bonne publicité, un bon film, une bonne série télé c’est d’abord un bon scénario. Le fondement de l’humanité c’est l’histoire que l’on se raconte (les religions, les films, les livres…), ça fait partie de ce qu’on est : l’Homme est fait d’histoires. Ça c’est notre point de départ.

Emmanuel Javal, cofondateur du Grand Réservoir

Chez Canal +, j’étais l’un des directeurs de la filiale Medialab. On commençait à parler de nouvelles technologies. Le numérique investissait l’image. C’était l’époque de Jurassic Park, Titanic, Matrix, avec l’apparition des effets spéciaux numériques… Mais aussi le début de la réalité virtuelle, des jeux vidéo et de l’animation en 3D. Naturellement, je me suis orienté vers ces innovations et j’ai créé en 1998 une société d’édition de logiciels, dans le domaine des effets spéciaux numériques et de la visualisation. Je suis parti vivre dans la Silicon Valley. Je dialoguais avec des start-ups comme Google, Facebook ou des acteurs plus confirmés comme Apple ou Microsoft… J’ai revendu mon entreprise à Autodesk, dans le milieu des années 2000 et suis revenu en France. Jeune père de famille, j’ai pensé qu’au lieu de réinvestir ce que j’avais gagné dans les secteurs que je connaissais bien mais par définition assez risqués, des médias et de la technologie, l’immobilier correspondait peut-être d’avantage à mes objectifs.

Le premier objet auquel je me suis intéressé était rue Saint Honoré. Projet que j’ai vendu à Chanel en 2011 et pour lequel j’ai multiplié la valeur par cinq en quatre ans. Je n’ai pas construit de mètres carrés, je n’ai pas poussé les murs, mais je l’ai repositionné dans un autre usage, en l’occurrence le luxe. Par la suite, j’ai refait une opération similaire avec LVMH et aussi transformé immeuble en hôtel dans le 10ème.

La construction d’un modèle alternatif

J’ai rencontré par hasard une agence événementielle, La Lune Rousse. Ils occupaient le rez-de-chaussée de Cité de la Mode et du Design, au bord de l’eau. Ils organisaient des soirées, des événements pendant l’été en 2014. En voyant le lieu, j’ai instantanément pensé qu’il fallait continuer de l’exploiter et inscrire cette occupation éphémère dans la durée.

Aujourd’hui on peut donner une autre vie à des lieux « atypiques ». C’est d’autant plus vrai si l’on raconte la bonne histoire (donc nos premiers métiers), que l’on se sert de la technologie pour informer les gens de l’existence de ces lieux (les réseaux sociaux, la géolocalisation, l’« instagrammabilité » du lieu. On peut avec peu de moyens faire exister le lieu sans qu’il soit sur un axe central).

Cette première rencontre a été un déclencheur. L’année suivante, ils ont lancé le premier espace Ground Control rue Ordener, Porte de la Chapelle que l’on a visité ensemble. Le lieu était encore plus incroyable que la Cité de la Mode, mais en termes d’investissement c’était bien trop grand pour nous à cette époque. Je ne me suis donc pas intéressé au sujet tout de suite, mais j’ai quand même constaté qu’avec une vidéo sur Facebook et une histoire qui tient la route, le premier soir, au lieu d’avoir 200–300 personnes, 6 000 visiteurs étaient devant la porte. L’été 2015, il y a eu 200 000 personnes sur le site. A l’été 2016, avec Grand Train, 450 000 personnes ont été réunies. Aujourd’hui, à Charolais, ils sont environ à un million de visiteurs.

Nous avons néanmoins répondu à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) de la SNCF sur le site d’Ordener. Nous nous sommes associés à La Lune Rousse, Vinci et WeWork. Le quartier était en pleine transformation. On le comparait à Brooklyn à New York ou Shoreditch à Londres.

Il y avait beaucoup de choses à faire, on ne s’y trompait pas. C’est à ce moment-là qu’est né Le Grand Réservoir. La réunion de l’histoire qu’on raconte, des nouvelles technologies qui redéfinissent le territoire et des lieux exceptionnels en devenir s’est faite naturellement. Ce premier projet a défini notre business model, et notre ambition : avec le sens, les nouveaux médias et la chance de pouvoir s’exprimer dans un lieu physique emblématique, on peut créer des lieux de commerce centré autour de l’expérience et beaucoup de valeur avec des moyens raisonnables.

Nous ne sommes que les garants d’un écosystème, les agrégateurs de ces innovations et ces idées, avec un modèle économique d’exploitation alternatif.

Cluster des Univers Virtuels — Charenton Bercy

Grâce à notre connaissance des médias et de la technologie, qui sont des leviers extraordinaires, nous proposons une nouvelle approche aux acteurs de l’immobilier. Nous avons gagné avec Bouygues Immobilier l’un des plus gros projets d’Inventons la Métropole du Grand Paris : Charenton-Bercy, 360 000 m² où l’innovation des usages est au cœur de l’ambition. Ici l’histoire porte sur les Univers Virtuels : au Nord de Paris on trouve la Cité du Cinéma, les studios de Saint Denis ; à l’Ouest il y a la diffusion et la production avec les chaînes de télévision, les agences de pub. Pourquoi ne pas imaginer créer un troisième pôle à l’Est de Paris centré autour des univers virtuels, les effets spéciaux, l’animation et les jeux vidéo, la simulation, la conception assistée par ordinateur ou encore la VR ou l’AR ? Nous avons gagné en bonne partie grâce l’ambition qu’on a proposé : pas sur les contenants, mais sur les contenus.

Nous nous intéressons avant tout aux lieux de commerce, aux lieux qui sont en contact avec le public. Dans nos actions, il n’est pas question de nous, mais des acteurs, des marques, entreprises et plus largement des gens qui vont s’exprimer dans les lieux. Nous ne sommes que les garants d’un écosystème, les agrégateurs de ces innovations et ces idées, avec un modèle économique d’exploitation alternatif.

Le Grand Réservoir est un animal atypique à la convergence de la communication, des nouvelles technologies et de l’immobilier !

Les centres commerciaux, manquent de sens. Il s’agit davantage d’un alignement de magasins qui vendent de produits dont nous n’avons souvent pas vraiment besoin. Ce ne sont pas des lieux d’expérience. Sans le sens, sans l’expérience, la vie a beaucoup moins d’intérêt. L’individu a été oublié ou négligé, et je pense qu’aujourd’hui nous avons les ressources pour remettre l’individu au centre. Finalement, nous avons réunis trois métiers. Le Grand Réservoir est un animal atypique à la convergence de la communication, des nouvelles technologies et de l’immobilier !

Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle économie. Nous souhaitons prouver que notre modèle est au moins autant, si ce n’est même plus efficace que le modèle actuel et surtout plus pérenne et compatible avec l’idée d’un développement durable. L’économie est née sur l’échange de matières premières, les produits transformés ont pris la suite, puis on est entrée dans l’économie de services. A présent, on entre dans l’économie de l’expérience : qui est d’ailleurs parfois même plus valorisée que la propriété. Si j’ai déjà beaucoup est ce que j’ai besoin de plus ? Ce qui importe c’est ce que l’on vit, pas ce qu’on accumule. L’expérience est une denrée rare et chère, comme le temps, parce que c’est ça l’essence de la vie !

L’expérience c’est comme la connaissance, elle peut être consommée sans modération, se partager.

Cette expérience passe par une forme de relation à l’objet qui est différente. Par exemple, la marque Seb était en grande difficulté, notamment parce que l’entreprise souffrait d’une concurrence redoutable des marques asiatiques. Puis ils ont pris la décision de produire des objets durables, c’est-à-dire réparables, designés autrement parce qu’on les gardera 30 ans. C’est le leader mondial du petit électroménager désormais ! Les gens préfèrent payer plus pour un objet plus durable, peu importe s’il y a une option bluetooth ou non. La lutte contre l’obsolescence programmée a du sens, une valeur économique. Ce n’est pas un idéal politique, c’est une autre forme d’économie. L’idée n’est pas de freiner la croissance mais de développer un autre mode de consommation principalement fondé sur l’expérience. L’expérience c’est comme la connaissance, elle peut être consommée sans modération, se partager.

Repenser la relation des humains à la ville

Le plus remarquable c’est que Le Grand Réservoir intéresse aujourd’hui les investisseurs institutionnels. Notre modèle économique alternatif de l’immobilier commercial fait des émules : pour nous les marchés, les boutiques, le boucher le poissonnier et même les grandes surfaces, ce sont des lieux de rencontre, des lieux d’expérience. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. On ne peut pas dire que les grandes surfaces aient été pensées comme des lieux d’expérience.

Les lieux de commerce de demain seront des points de rencontre entre les marques et le public.

Notre modèle est assez proche du co-working. Les marques ne viennent pas essentiellement chez nous pour vendre leurs produit mais d’avantage l’expérience de sa marque : les gens achèteront sur Internet ou ailleurs ensuite, l’expérience est l’avenir du click. Les lieux de commerce de demain seront des points de rencontre entre les marques et le public. Le meilleur exemple, ce sont les Apple Store : avec 360 millions de visiteurs par an qui représentent seulement une partie marginale du chiffre d’affaires. C’est beau, lumineux, agréable parce que l’équipe des « Ambassadeurs d’Apple » prend son temps.

Les grandes marques ont besoin de lieux d’expression, d’expérience. Cette expression, ses expériences sont d’autant plus efficaces qu’elles sont amplifiées les réseaux sociaux.

Il faut développer une relation sincère avec l’humain, il faut qu’il y ait un réel échange.

Les grandes marques, les grands groupes sont loin parfois trop loin de leurs clients. Par exemple Suez sont les rois du recyclage. Ils recyclent aussi bien les mégots de cigarettes que les immeubles, et je doute que tout le monde le sache! Pourtant c’est fantastique, c’est sociétal, c’est bon pour nous tous. Le meilleur moyen de le faire savoir c’est probablement de le montrer, donc de faire vivre l’expérience de leur métier et de leurs produits. Il faut développer une relation sincère avec l’humain, il faut qu’il y ait un réel échange.

Parce qu’aujourd’hui, plus que jamais les utilisateurs sont des prescripteurs, la qualité de l’expérience doit être au cœur de la stratégie des entreprises et des marques. On ressent le besoin de revenir à ce qui est authentique, sincère. C’est fondamental.

Le Grand Réservoir est une PME, mais l’écho que nous avons est bien plus grand. On est dans l’air du temps, ce qu’on propose est attendu : on ne l’a pas inventé. Ce modèle alternatif basé sur l’expérience et l’authenticité a tout son sens. C’est un bel espoir d’imaginer que la société peut évoluer dans une direction qui soit plus saine que celle dans laquelle on a évolué jusqu’à présent, dans cette frénésie et ses conséquences néfastes pour les gens et pour l’environnement.

Je pense que c’est très culturel : l’Homme domine la nature, qui se plie à ses désirs. Peut-être qu’à terme on imaginera que l’on fait partie d’un tout. Ce sont des théories qui rejoignent des philosophies asiatiques comme le confucianisme, le bouddhisme… C’est très apaisant : si l’individu n’est plus le centre du monde, il continuera de tourner.

Le Grand Réservoir est d’abord une entreprise, mais c’est aussi et surtout une ambition. Je pense que c’est ce qui nous fait nous lever le matin : on donne du sens à ce que l’on fait. La liberté ce n’est pas de faire ce que l’on veut mais de vouloir ce que l’on fait. Aujourd’hui on a très envie de ce qu’on fait.

Dossier de veille Ville Durable

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