Orphelinat

5_Volontariat, Quotidien et Quiétude 2/4

Hood
5 min readMay 11, 2016

Les thaïlandais célèbrent l’arrivée de la nouvelle année par de grandes festivités, durant lesquelles le pays s’arrête pour se consacrer à de prodigieuses batailles d’eau. Hasard du calendrier, la Full Moon Party sur Khao Phangan, plus gros rassemblement de touristes crédules, se déroule sur les mêmes dates, pour « célébrer » la pleine lune.

Initiée au début des années quatre-vingt dix par quelques hippies heureux de découvrir cette île paradisiaque, elle est depuis devenu une machine infernale, prétexte futile aux comportements les plus débridés. Capitalisant son succès, elle a lieu tous les mois, se déclinant aussi dans sa version Half-Moon, ratissant à chaque occasion une marée d’occidentaux trop heureux de faire la fête sur la plage.

Vos compatriotes, désireux de connaître l’évènement, profiteront de la mansuétude d’Aek pour s’éclipser définitivement. Après tout, qui ira vérifier qu’ils ont bien effectué les deux mois réglementaire. Une petite griffe sur le papier et le tout est réglé.

Ils persuaderont Aek de leur laisser une bonne appréciation, ils lui dicteraient presque. Leur stage écourté, ils s’envolent prestement, découvrir les méandres touristiques du royaume Siam. Seul un couple s’efforcera de rester une semaine supplémentaire, puis s’en ira finalement sous des cieux plus cléments.

Dès lors, la lenteur s’installera sur le chantier. Peu de volontaires s’y essayeront, ces trois semaines d’intense activité demeureront alors un souvenir heureux, plaisant à se remémorer, à évoquer ces dix corps s’échinant sans relâche. Si quelques téméraires s’y inscriront par la suite, ils ne seront jamais plus de quatre, et ne resteront qu’une semaine.

Un des grands tort de l’association, le peu de suivi, de continuité des chantiers. Peu de volontaires, s’inscrivent dans la durée, ils ne sont là que pour un mois, il veulent connaître le maximum de programmes disponibles, ils sont là pour s’amurer, le volontariat n’est qu’un prétexte utile à des vacances animées. Alors, les programmes ne promettant pas une chevauchée à dos d’éléphant, un trek dans la jungle, où de la bronzette sur une île, sont condamnés à n’avancer que par sursauts éphémères, nocifs pour leur évolution.

Car après une période d’inactivité, le travail consiste souvent à recommencer, à revenir en arrière. Les Clay Houses, en sont l’exemple typique. Edifiées avec des matériaux se dégradant rapidement ­­– toit en chaume, enduit ­– les travaux se répètent, dans un cycle sans fin. Aek est optimiste de croire à la fin du chantier dans une décennie. Probablement, les trois mêmes maisons persisteront dans leur solitude, rendant votre passage superficiel, inutile. Mais l’espoir existe. Deux mois furent suffisant pour construire le gros œuvre d’une maison et l’orner de ses menuiseries.

Ce n’est pas le cas de tout les programmes. Même ceux promouvant une action louable s’avèrent vains par instants. L’orphelinat, par exemple. Allez-y lorsque les joies telluriques des Clay Houses n’enchantent personne.

Situé à trois quarts d’heure de route de Singburi, Paiwan, le coordinateur, y conduit, après la tournée des résidences, tous les volontaires. Un programme, là encore, favorable aux stages. Beaucoup d’étudiantes en sciences de l’éducation arrivent ici pour valider une expérience à l’étranger.

Il ne connaît jamais l’inactivité, même pendant les vacances et l’absence des orphelins. A l’approche de Songkran, ils regagnent leur famille, la plupart établies dans le Nord, mais trop démunies pour s’occuper d’un enfant supplémentaire à charge. Greenway les accueille gracieusement, dans cet orphelinat, en bordure d’un monastère bouddhiste.

Cet période de répit est propice à l’entretien du complexe. Sans l’agitation enfantine, il devient plus aisée de mener à bien un chantier. Paiwan foisonne d’idées pour améliorer l’orphelinat : séchoir, réfectoire, vestiaires ; il ne passe pas un jour sans qu’une nouvelle proposition germe en lui.

Au moment de votre venue, la chantier se focalisait sur les vestiaires ; capharnaüm d’haillons, de cartables, de livres, de crayons, abandonnés là par les orphelins. La casiers défoncés, aux porte chancelantes ou absentes, refuges de crapaud et autres ; l’accès défoncé où affleurent des cailloux.

Pendant qu’une partie des volontaires s’affèrent à nettoyer l’intérieur des vestiaires ; avec Tom, aidez Tha, un thaï du coin recruté pour l’occasion, à couler une dalle de béton, sécurisant l’accès. Une besogne artisanale, précaire, où le béton mélangé à grand peine dans deux grandes bassines, est déversé négligemment, sans ferraillage, ajusté à l’œil, raccordé hasardeusement. En une semaine, et plus d’une tonne de béton pétri à la force des bras, l’allée n’attendra plus que d’autres volontaires, pour se parer de ses plus beaux attributs céramiques.

En même temps, Paiwan décide de repeindre les murs des vestiaires. Initiative accessoire, au vu de l’état d’indigence générale ; encore plus absurde lorsque les murs exposent fièrement la date de leur dernier rafraîchissement, 10 mois de cela, à peine. Gaspiller autant d’énergie et de ressources pour de la simple décoration, de l’apparat, au lieu de résoudre des problèmes plus urgents, laisse pensif.

Si ces programmes de volontariat n’étaient qu’une vaste plaisanterie, une grande bouffonnerie, une illusion d’utilité ? Si chaque labeur n’était voué à se recommencer un an après, dans une amnésie générale, accepté ? Si, tout ne se résumait qu’aux seuls instants de détente, de plaisirs, à ces batailles d’eau, de boue, à ces larges sourires enjoués, à ces enfantillages frivoles ? Si, finalement votre présence n’avait aucun effet bénéfique, si votre passage était, après tout inutile ?

Ce sentiment atteint son apogée dans les semaines suivantes, lors de l’amorce d’un nouveau projet. Paiwan souhaite construire un séchoir, sur le terrain vague en contrebas des vestiaires, où quelques piliers préfabriquées sont disséminés. Il faut d’abord nettoyer le terrain, le défricher, dégager le pied de ces piliers, avant d’entreprendre toute autre action.

Mais, rapidement, la stupeur remplace l’ardeur initiale. A chaque coup de bêche, exhumez des reliques de la société de consommation thaï. Emballages plastiques, vêtements, ballons troués, brosses à dents, un amas de fossiles s’amoncèle, découvrant en archéologue ou en danaïde moderne, les mœurs des jeunes orphelins.

Venez-en à questionner l’utilité de ce déblaiement. Si ces ordures sont enfouies ici, une raison existe, certainement le manque d’information, d’éducation. Sans parents pour les élever, ils n’apprendront probablement pas ces geste simples ; cette conscience nouvelle de la civilisation mondialisée. Soyez certain qu’une fois le terrain aménagé, les déchets rempliront le prochain terrain vague, si ce n’est le fleuve à proximité. L’absurdité kafkaïenne guète.

D’autres le constateront aussi amèrement, lors du retour des enfants. Combien de remontrances leur adresseront-ils lorsqu’ils jetteront distraitement l’emballage plastique de leur jus de fruit ? Combien d’efforts stériles pour tenter d’implanter ce idée dans leurs comportement quotidien ? Tout cela réduit à néant, dès qu’ils s’en iront, renvoyés à l’état de souvenir suranné, d’images éphémères de la bonne conduite à adopter.

Mais, le rappel constant de sa propre vacuité est facile à affronter. Personne n’est crédule, personne n’espérait apporter un changement significatif. Une fois la journée terminée, cette préoccupation disparaît — tant soit peu qu’elle soit apparu un jour– pour laisser place à une angoisse hautement plus féroce : l’ennui quotidien.

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